La vodka interdite dans l’Arctique québécois en raison de la pandémie

Un bouteille de vodka traîne sur le sol à Quaqtaq, au Nunavik. (Alain Abel/Radio-Canada)
Pour éviter la consommation excessive d’alcool en temps de pandémie, les autorités du Nunavik ont interdit jusqu’à nouvel ordre la vodka et tout autre alcool fort sur leur territoire.

« En limitant l’alcool, on prévient des crimes, on évite les rassemblements et le non-respect des consignes de la Santé publique, comme la distanciation sociale », explique Josée Lévesque, agente de communication de la Régie régionale de la Santé et Services sociaux du Nunavik, dans un message envoyé à Radio-Canada. Cette interdiction est en vigueur depuis le 26 mars.

La vente de bière et de vin est aussi limitée. À Kuujjuaq, principal village de la région, un adulte peut seulement acheter douze bières ou un litre de vin, trois fois par semaine.

À Puvirnituq, situé sur la côte est de la baie d’Hudson, les élus municipaux sont allés encore plus loin et ont voté un arrêt complet de toute vente d’alcool dans la communauté. Ils ont pris cette décision dès l’apparition, début avril, du premier cas de COVID-19 dans le village.

Les résultats de cette décision n’ont pas tardé à se faire sentir. « Il y a eu une diminution de 90 % du nombre d’arrestations », dit Jean-François Morin, directeur adjoint aux opérations du Corps de police régionale Kativik, joint à Puvirnituq.

« Partout au Nunavik, les statistiques ont diminué considérablement. Le nombre de dossiers et d’arrestations est très bas. »Jean-François Morin, Corps de police régionale Kativik

Tony Paquet, capitaine au sein de la Police régionale Kativik à Salluit, confirme cette tendance. Le nombre d’appels reliés à l’alcool a diminué de moitié dans son village. « L’annulation des vols de passagers a également eu un impact sur la quantité d’alcool qui entre dans la communauté », ajoute-t-il.

Au Nunavik, plus de 70 % des méfaits sont reliés à l’alcool.

La vente de bière et de vin dans ce village a repris lundi, mais en quantité très limitée.

Dans les communautés où il était déjà interdit de vendre de l’alcool, il est toujours possible de commander en ligne de la bière et du vin, mais là aussi les limites ont été resserrées.

Le village de Salluit, au Nunavik. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)
Les ravages de la contrebande

En février dernier, Enquête a révélé que des contrebandiers font des affaires d’or dans certains villages du Grand Nord en revendant de la vodka dix fois son prix initial. Ce commerce illégal prospère même si la Société des alcools du Québec, les transporteurs aériens et Postes Canada sont au courant.

Enfants privés de nourriture, violence conjugale et agressions, la contrebande d’alcool entraîne son lot de misères.

« Des gens meurent. Les enfants sont violés, les aînés sont violés », expliquait la chanteuse inuk Beatrice Deer, qui avait décidé de dénoncer les contrebandiers.

Quelques semaines après la diffusion de ce reportage, le Québec est frappé de plein fouet par la  COVID-19.

Regardez le reportage Imialuk : la méchante boisson

La pandémie n’arrête pas les contrebandiers

La décision d’interdire la vodka, un alcool très répandu au Nunavik, a fait gonfler son prix, selon des témoignages diffusés sur la page Facebook Your Voice on Nunavik (Votre voix au Nunavik) qui regroupe près de 6500 membres.

« Le Nunavik est le paradis des contrebandiers. Ces limites ne font qu’aggraver les choses. Maintenant les gens dépensent encore plus d’argent », écrit l’un des membres du groupe.

La bouteille de 375 ml, qu’on appelle un mickey dans le Grand Nord, se vendrait maintenant entre 150 $ et 200 $ dans certaines communautés au lieu de 100 $. Le même flacon est offert à 14 $ à la Société des alcools du Québec (SAQ).

À l’heure actuelle, les vols en direction du Nunavik transportent uniquement l’équipement médical, les denrées alimentaires, la poste, les travailleurs des services essentiels et les Inuit qui ont des rendez-vous médicaux.

« L’alcool de contrebande est dissimulé dans des colis postaux », indique Eli Aullalu, maire du village d’Akulivik. Il reconnaît toutefois que son village est beaucoup plus calme depuis cette décision d’interdire la vodka.

Jean-François Morin reconnaît que la contrebande existe toujours, mais qu’elle a diminué de beaucoup à la suite des nouvelles mesures émises par la Régie de la santé du Nunavik.

La police ne baisse pas la garde pour autant. La semaine dernière, grâce à des informations du public, les autorités ont saisi 55 bouteilles de vodka, 4 bouteilles de spiritueux et 4 caisses de bière d’une valeur de 12 000 $. L’alcool, livré par la poste et par cargo, était destiné aux villages de Puvirnituq et d’Inukjuak.

Les risques de la prohibition

Du côté du village de Quaqtaq, le directeur de l’école primaire et secondaire Serge Molière craint que la situation ne s’aggrave en raison du confinement

« Il y a moins de gens dans les rues. La vodka de contrebande est encore disponible ici. La violence familiale est toujours présente. Les enfants vivent dans les mêmes conditions. Ça ne disparaît pas comme ça », dit-il.

Alicia Aragutak, directrice de Isuarsivik, le seul centre pour traiter les dépendances au Nunavik, croit que la décision de limiter l’alcool est une bonne décision, mais elle pourrait aussi avoir des conséquences graves chez certains.

« Ça peut engendrer des problèmes importants chez ceux qui ont une forte dépendance à l’alcool fort. Le confinement, le sevrage forcé peuvent  entraîner de la frustration et de la violence. »Alicia Aragutak, directrice de Isuarsivik

Même son de cloche du côté de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik. « Des préoccupations ont été notées suite à des événements de violence conjugale et conflits familiaux en raison de symptômes de sevrage et changements d’humeurs dus à l’accès limité d’alcool », dit Josée Lévesque.

En raison des nouvelles limites, certaines personnes sur Facebook partagent aussi leur crainte de voir de plus en plus d’alcool distillé à la maison, entre autres, par les contrebandiers. « Je connais beaucoup de jeunes qui se tournent vers ce type d’alcool », peut-on lire sur Your Voice on Nunavik. On craint que cette boisson artisanale ne cause de nouveaux problèmes de santé.

Jusqu’à présent, aucune intoxication n’a été constatée, indique la Régie de la santé du Nunavik.

Parmi les peurs et les appréhensions, certains commentaires sur les réseaux sociaux sont porteurs d’espoir. « Depuis qu’il y a moins d’alcool, les enfants voient maintenant plus d’adultes sourire autour d’eux », écrit une femme. Elle souhaite que ces restrictions soient là pour de bon.

Josée Dupuis, Radio-Canada

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