Violence contre les femmes autochtones : déception, colère, mais l’espoir d’un plan d’action canadien
Elles sont déçues, inquiètes, mais encore pleines d’espoir. Les femmes autochtones ayant participé aux travaux de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) rappellent à Ottawa, aux provinces et aux territoires, un an après le dépôt du rapport, qu’il est minuit moins cinq pour passer à l’action.
« Ce qu’on ne sait pas, ça nous donne des munitions pour être fâchées, pour être enragées ou pour être frustrées. Si on nous dit ce qu’il se passe, on peut comprendre. On n’est pas obligés d’être en accord, mais on comprendra mieux », soutient l’ex-commissaire à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Michèle Audette, jointe à sa maison à Québec.
Celle qui est aujourd’hui conseillère principale à la réconciliation et à l’éducation autochtone à l’Université Laval n’en démord pas : les travaux visant à répondre aux recommandations de l’ENFFADA doivent aboutir dans les plus brefs délais.
« Je sais que des travaux ont été entamés, parce que je suis curieuse. J’ai fait des appels, je me suis informée, j’ai eu des discussions super trippantes avec des hauts fonctionnaires, mais ça, les gens doivent le savoir. Il y a des réflexions, il y a des actions […] J’ai même cru comprendre qu’il y avait l’idée de créer un secrétariat pour le suivi des appels à la justice. Et ça, ça répondrait à la transparence, à la reddition de compte, créer un espace où des gens font ces suivis-là et donne l’heure juste », explique-t-elle.
Ottawa a annoncé la semaine dernière que le plan d’action promis lors du dépôt du rapport en juin 2019, en réponse aux 231 appels à la justice, serait reporté en raison de la pandémie.
Même si Michèle Audette déplore la décision d’Ottawa d’avoir fait pression sur les commissaires pour déposer ce rapport avant les élections fédérales, elle convient que la campagne électorale, la mobilisation entourant la nation wet’suwet’en et l’éclosion de coronavirus ont pu retarder l’adoption du plan d’action. Selon elle, toutefois, il n’y a désormais plus de raison d’attendre.
« Si j’ai un message, c’est qu’avec la technologie, parce qu’on l’a fait le virage là, les leaders, les experts dans cette tragédie-là… Il y a des gens à travers le Canada qui peuvent et qui veulent travailler […] Mettons de côté la COVID, et je ne néglige pas ça, mais virtuellement, on est capables de se mobiliser », affirme l’ex-commissaire.
Mise sur pied en août 2016, l’ENFFADA a recueilli 2380 témoignages sur les causes systémiques de violences, y compris sexuelles, à l’égard des femmes autochtones. Faisant état d’un « génocide canadien » visant « particulièrement les femmes » , les commissaires recommandaient notamment la création d’un ombudsman et d’organismes de surveillance de la police, pour mettre fin à la discrimination et au racisme de la part des autorités.
« À toutes les semaines, trois ou quatre filles ou femmes autochtones disparaissent au Canada ou on les retrouve assassinées. […] Les interactions policières au Québec sont encore empreintes de racisme, de profilage racial […] qu’est-ce qui a été fait au niveau policier ? Si on avait un plan d’action, on aurait pu améliorer les choses » , s’indigne pour sa part Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ).
Plus réfractaire à l’utilisation de vidéoconférences pour mener des consultations menant au plan d’action, Viviane Michel croit tout de même qu’Ottawa a tous les moyens d’agir, même en temps de pandémie.
« On a soumis des recommandations, on a fait l’exercice de participer à la commission, on a déposé un mémoire; écoutez… tout est prêt! Les solutions, elles sont là. Qu’est-ce qui fait qu’on prend trop de temps à vouloir les réaliser? », se demande-t-elle.
Thelma Morrisseau est dans l’épicentre du drame national des femmes autochtones assassinées : la ville de Winnipeg. Elle a accompagné des femmes et des familles tout au long de la commission d’enquête et continue de leur parler chaque semaine.
« C’est extrêmement décevant, mais nous avons encore espoir », explique la coprésidente de Moon Voices, le nom donné à l’Association des femmes autochtones du Manitoba.
« Vous savez, ces femmes, leurs témoignages, c’est sacré pour nous. Elles ont encore énormément de douleur et de tristesse. Certaines ont pris des risques en parlant. Nous n’aurons plus jamais l’occasion, dans nos vies, de voir se dérouler une telle enquête », insiste-t-elle.
« Le gouvernement devrait être très fier et se sentir honoré d’avoir été en mesure de réaliser tout cela, d’avoir écouté les familles. À chaque fois, c’était presque une cérémonie pour moi, d’écouter le cœur de ces femmes et, vous savez, elles pensaient que le gouvernement allait agir rapidement », ajoute Thelma Morrisseau.
Michèle Audette estime par ailleurs qu’Ottawa doit emboîter le pas aux provinces. L’ex-commissaire dit même en avoir discuté avec la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett.
« J’ai supplié madame Bennett : n’attendez pas toutes les provinces! Oui, c’est une enquête nationale, mais ce sera aux provinces d’expliquer pourquoi elles ne siègent pas au plan d’action national », relate-t-elle.
« Il y a une urgence pour le gouvernement d’agir. Il y a deux semaines, une femme autochtone a été assassinée au Manitoba. La traite d’enfants se poursuit à l’heure où on se parle. […] Les gens doivent comprendre que quand on naît comme femme autochtone au Canada, on est à risque de disparaître ou d’être assassinée. C’est ça la réalité. Mais ça ne peut pas continuer comme ça. Nos vies comptent », conclut Thelma Morrisseau.