Des Autochtones au Labrador remettent en question l’identification d’accusés
Des Autochtones au Labrador demandent pourquoi les policiers identifient certaines personnes accusées et non certaines autres.
Sur le réseau social Facebook, des Inuit et des Innus ont demandé à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) d’expliquer la procédure en la matière. Ils estiment que des Autochtones sont injustement identifiés.
Une porte-parole de la GRC assure que la race n’entre pas en jeu lors de la prise de décision d’identifier ou non une personne accusée. Mais la CBC a vérifié les communiqués de presse publiés sur les réseaux sociaux par le corps policier du 1er mai au 24 juillet et constaté que les Autochtones y sont surreprésentés parmi les personnes identifiées.
Elle est l’une des premières personnes qui ont posé des questions à la GRC à ce sujet sur les réseaux sociaux.
La GRC à Terre-Neuve-et-Labrador publie plusieurs communiqués chaque jour au sujet, entre autres, d’enquêtes ou d’affaires ayant mené à des accusations.
CBC a étudié du 1er mai au 24 juillet plus de 80 communiqués annonçant des accusations pour conduite avec facultés affaiblies, agression, agression sexuelle, vol, etc.
Les personnes accusées étaient identifiées dans 25 communiqués. Sept communiqués, soit 28 % d’entre eux, identifiaient des Autochtones du Labrador alors que ces derniers ne constituent que 8,9 % de la population totale de Terre-Neuve-et-Labrador, selon le recensement de 2016.
Il n’y avait qu’un seul communiqué portant sur une communauté autochtone et dans lequel la personne accusée n’était pas identifiée.
La GRC ne fait pas d’effort pour cibler les Autochtones, assure une porte-parole du corps policier à Terre-Neuve-et-Labrador, la caporale Jolene Garland.
La race, le genre, l’origine ethnique et les lieux où des crimes sont commis n’entrent pas en jeu au moment d’identifier des personnes, explique-t-elle.
Le seul facteur dont les policiers tiennent compte est le dépôt d’accusations en cour, dit-elle. En l’absence d’accusation formelle, l’identité de la personne n’est pas rendue publique. Mais si des accusations sont portées contre une personne, son identité est précisée dans le communiqué, ajoute-t-elle.
Un processus judiciaire public est nécessaire
Il est essentiel que le processus judiciaire soit public, souligne un avocat de la défense en droit criminel, Mark Gruchy. Il est censé, selon lui, que les policiers identifient les personnes accusées d’avoir commis un crime.
Quant aux conclusions de l’examen effectué par CBC, l’avocat dit comprendre que l’échantillon est relativement petit, mais il ajoute que le pourcentage est élevé et semble disproportionné.
Tandis que le mouvement social Black Lives Matter se poursuit, la Gendarmerie royale du Canada et d’autres corps policiers tiennent compte du racisme systémique dans l’exercice de leurs fonctions.
En juin, le commandant de la GRC à Terre-Neuve-et-Labrador, Ches Parsons, a reconnu que des agents ont inconsciemment des préjugés et il a promis de travailler avec la communauté pour améliorer les relations.
Le racisme joue-t-il un rôle dans la surreprésentation des Autochtones sur la liste des personnes identifiées dans les communiqués?
Jolene Garland répond qu’elle ne peut pas faire de commentaire à ce sujet sans disposer des renseignements nécessaires.
Quant à la possibilité de faire un exercice de révision, Mme Garland explique que la GRC peut tenter de rassembler cette information si le public s’y intéresse et veut en savoir plus.
Identifier les accusés pour prévenir des crimes
Les policiers identifient les accusés, lorsque c’est possible, pour plusieurs raisons, précise la caporale Garland.
En premier lieu, explique-t-elle, c’est une question de transparence et de rendre compte au public. Le fait d’identifier les accusés maintient la confiance que le public accorde aux policiers.
C’est aussi un moyen de dissuader en général d’autres personnes qui songeraient à commettre un crime, indique la caporale Garland.
L’aspect public de la justice a pour but de laisser les gens assister aux procédures, explique pour sa part l’avocat Mark Gruchy, qui défend des personnes accusées dans la région de Saint-Jean. Il ne s’agit pas, dit-il, de présumer que les personnes accusées sont coupables et qu’elles devraient avoir honte.
De la honte, c’est ce que des Autochtones ressentent lorsqu’ils sont identifiés sur la page Facebook de la GRC, qui est suivie par des milliers de personnes, affirme Jodie Ashini.
Elle se demande pourquoi leur nom peut être annoncé publiquement dans toute la province alors que ce n’est pas le cas d’autres personnes. Elle dit qu’ils ne devraient pas avoir à connaître cette honte.
Comprendre les lois ancestrales des Autochtones
Les policiers pourraient améliorer leurs relations avec les Autochtones s’ils comprenaient mieux les lois ancestrales, selon l’avocate innue Elizabeth Zarpa, qui travaille à Saint-Jean.
Les Innus et les Inuit avaient leurs propres lois pour le maintien de l’ordre avant la colonisation, explique Me Zarpa. Lorsque les arrivants européens ont établi leurs propres tribunaux, des ordonnances autochtones ont été tout simplement supprimées, dit-elle.
La montée de l’opposition des Autochtones à l’habitude des policiers d’identifier les accusés révèle une différence philosophique entre les cultures, indique l’avocate.
Si les policiers s’entendaient avec les peuples autochtones sur des conditions à respecter pour identifier ou non les accusés dans les communiqués, cela faciliterait les relations et la réconciliation, ajoute Elizabeth Zarpa.
La GRC doit aussi tenir compte de ses relations historiques avec les Autochtones, selon Mark Gruchy. Les communautés autochtones, dit-il, n’oublient pas le colonialisme. L’avocat ajoute qu’il comprend que des Autochtones peuvent toujours ressentir aujourd’hui une impression d’oppression ou de gestion coloniales.
Avec les renseignements de Bailey White, de CBC