Une collaboration mondiale expose les effets du climat sur la faune arctique

Un renard arctique suivi à l’aide d’un collier satellite transporte un œuf d’oie sur l’île Bylot, au Nunavut. Les chercheurs ont combiné plus de 200 études de suivi des animaux de l’Arctique pour obtenir une vue d’ensemble des impacts des changements climatiques. (Dominique Bertaeux Bylot / Université du Québec à Rimouski)
Les comportements des animaux de l’Arctique se modifient à cause des changements climatiques, révèle une large étude qui a suivi diverses espèces sur 30 ans.

L’étude publiée jeudi dans la revue scientifique Science rassemble les données des travaux de nombreux écologistes dans le monde.

En tout, plus de 200 projets de recherches ayant suivi les déplacements de plus de 8000 animaux marins et terrestres, de 1991 à aujourd’hui, sont répertoriés dans cette Archive des déplacements des animaux de l’Arctique (Arctic Animal Movement Archive – AAMA).

« Nous nous sommes retrouvés avec cet énorme ensemble de données qui nous permet de savoir à quel point le comportement des animaux évolue face aux changements climatiques, » a déclaré Gil Bohrer, qui a développé la base de données et est l’un des principaux auteurs de l’article.

Les résultats de ce projet international révèlent que les animaux de l’Arctique sont en train de modifier leurs comportements d’une manière qui pourrait nuire à leur capacité à se nourrir, à s’accoupler et à survivre.

Un groupe de bélugas passe devant l’île de Coats. L’Archive des mouvements des animaux de l’Arctique regroupe des données sur 86 espèces, de l’aigle royal au caribou en passant par la baleine boréale, sur trois décennies. (Douglas Noblet)
Des changements aux conséquences possiblement négatives

Le regroupement de toutes ces données a permis aux scientifiques de constater que certains animaux migraient ou donnaient naissance plus tôt, compte tenu des températures. En parallèle de l’annonce de la création de l’AAMA, les résultats de trois études ont aussi été publiés dans l’article de Science.

Ainsi, la première recherche a comparé les déplacements de plus de 100 aigles royaux entre 1993 et 2017 et a découvert que les jeunes oiseaux migrant vers le nord au printemps y arrivaient plus tôt lorsque l’hiver était doux.

Cela prouve notamment que les hausses des températures les poussent à migrer en avance dans la saison, ce qui peut avoir des conséquences pour la nidification et la survie des poussins, selon les auteurs.

Toutefois, les chercheurs ont remarqué que ce changement de comportement ne s’appliquait pas aux individus adultes.

Les biologistes du Teton Raptor Center relâchent trois aigles royaux récemment capturés. (Bryan Bedrosian)

Les aigles royaux ne sont pas les seuls à prendre de l’avance. Une deuxième étude met en avant le fait que les femelles caribous du nord sont de plus en plus nombreuses à mettre bas plus tôt au printemps.

Encore une fois, les dates de vêlages de ces populations nordiques semblent être une réponse aux hausses de températures et à l’arrivée précoce du printemps dans l’Arctique.

« Nous ne savons pas encore si c’est bon ou mauvais », a déclaré Mark Hebblewhite, un biologiste de l’Université du Montana qui est l’un des 148 coauteurs de l’étude, dans une entrevue avec La Presse canadienne.

Il souligne que c’est une bonne nouvelle, car cela démontre que les caribous s’adaptent à un environnement arctique qui change deux fois plus rapidement que sur le reste de la planète.

Toutefois, le risque est, qu’à terme, les petits naissent avant la floraison de la toundra qui constitue la source principale d’alimentation de leur mère.

« Que voyons-nous à travers l’Arctique? Nous voyons des taux de survie des petits parmi les plus bas jamais enregistrés chez les caribous de la toundra. Cela a quelque chose à voir avec le climat et ça pourrait en être la preuve irréfutable. »Mark Hebblewhite, biologiste de l’Université du Montana et coauteur de l’étude

Cela pourrait d’ailleurs être la raison expliquant la chute du nombre de caribous dans l’Arctique.

Une troisième étude, quant à elle, s’est penchée sur la vitesse de déplacements de diverses espèces. Les résultats montrent que les changements de températures saisonnières peuvent avoir une incidence sur la survie de certains animaux.

Une femelle caribou de la toundra portant un nouveau collier GPS dans l’Alaska arctique. (Kyle Joly/U.S. National Park Service)

Les orignaux et les caribous, par exemple, se déplacent davantage les jours où les températures sont plus élevées. Cela pourrait indiquer que les « herbivores auront plus de mal à trouver de la nourriture et à éviter les prédateurs à mesure que les températures continueront d’augmenter », suggère l’étude.

À l’inverse, lorsqu’il fait plus chaud, des prédateurs tels que les loups et les ours noirs tendent à moins se déplacer.

Ces résultats n’auraient pas pu être découverts sans l’aide de l’AAMA qui a permis de comparer des données sur plusieurs décennies, expliquent les auteurs.

La nécessité de créer une banque de données globale

Les scientifiques collectent des données sur les animaux de l’Arctique depuis des années.

Cependant, jusqu’ici, aucune source ne réunissait toutes ces informations collectées par différents chercheurs universitaires ou travaillant pour des agences privées ou gouvernementales.

« Les écologistes font de leur mieux, mais souvent, les données de suivi des déplacements se perdent. Les chercheurs prennent leur retraite ou changent de poste, le disque dur finit par se perdre, le carnet de recherche est égaré ou jeté, puis ces données disparaissent », explique M. Bohrer dans un communiqué.

« Le suivi des animaux est très difficile à faire, de sorte qu’un projet de recherche peut couvrir une poignée d’animaux, peut-être une dizaine tout au plus. »Gil Bohrer, l’un des principaux auteurs de l’article

L’idée d’en créer une est donc venue de Gil Bohrer, professeur en ingénierie civile, environnementale et géodésique à l’Université d’État de l’Ohio, et de ses collègues.

Un loup gris se repose dans la réserve nationale de Yukon-Charley Rivers, dans le centre-est de l’Alaska. Une des études publiées démontre que les changements de températures saisonnières peuvent avoir une incidence sur la survie de certains animaux, autant chez les prédateurs que j’ai les herbivores. (Kyle Joly/U.S. National Park Service)

Dans une entrevue avec CBC News, il explique que l’idée lui est venue lorsqu’il travaillait sur les déplacements des aigles royaux. Il a alors commencé à collaborer avec un groupe d’écologistes réalisant le même type d’études, mais sur d’autres espèces de l’Arctique.

Ensemble, ils ont eu l’idée de créer un registre dépeignant une vue d’ensemble plus large afin de quantifier à quel point les animaux réagissent aux changements climatiques.

L’Archive des déplacements des animaux de l’Arctique regroupe ainsi des données sur 86 espèces, de l’aigle royal au caribou en passant par la baleine boréale, dans tout l’Arctique sur trois décennies, en combinant le travail de plus de 100 universités, agences gouvernementales et groupes de conservation dans 17 pays, dont plus d’une douzaine au Canada.

L’AAMA reste ouverte à d’autres études et données qui permettraient d’améliorer le projet.

Des économies et une mise en perspective inégalée

Grâce à cette nouvelle archive, les chercheurs du monde entier peuvent travailler en collaboration avec d’autres scientifiques, permettant ainsi d’économiser de l’argent et du temps.

« Chaque balise de suivi d’animaux coûte des centaines et parfois des milliers de dollars, et vous devez attraper l’animal et le suivre. C’est beaucoup de travail et beaucoup d’argent. »Gil Bohrer, l’un des principaux auteurs de l’article
Une oie est équipée d’un émetteur GSM solaire, sur l’île de Kolguev, en mer de Barents. (Helmut Kruckenberg/TourNatur Wildlife Research, Verden, Germany)

C’est la première fois que des écologistes peuvent consulter et utiliser des données de leurs collègues travaillant dans l’Arctique, avance l’étude.

L’AAMA permet aussi d’obtenir une véritable vue d’ensemble des migrations et comportements des animaux aujourd’hui, mais aussi à l’avenir.

La diversité des espèces répertoriées et la frise chronologique permettent également de comparer les comportements des animaux.

Enfin, avec ces informations, les experts vont pouvoir adapter leurs stratégies pour observer et protéger les diverses espèces animales.

Avec les informations de La Presse canadienne et CBC News

Mathiew Leiser, Regard sur l'Arctique

Né dans le sud de la France d'une mère anglaise et d'un père français, Mathiew Leiser a parcouru le monde dès son plus jeune âge. Après des études de journalisme international à Londres, il a rapidement acquis différentes compétences journalistiques en travaillant comme journaliste indépendant dans divers médias. De la BBC à l'Agence France Presse en passant par l'agence d'UGC Newsflare, Mathiew a acquis de l'expérience dans différents domaines du journalisme. En 2019, il décide de s'installer à Montréal pour affronter les hivers rigoureux et profiter des beaux étés mais surtout développer son journalisme. Il a rapidement intégré Radio Canada International où il s'efforce de donner le meilleur de lui-même au sein des différentes équipes.

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