Le projet d’expansion de la mine Mary River cause toujours des divisions au Nunavut

Le projet d’expansion de la mine de fer Mary River, sur l’île de Baffin au Nunavut, fait l’objet d’audiences publiques jusqu’au 6 février. (Baffinland)
Les discussions entourant l’expansion de la mine de fer Mary River, dans l’est du Nunavut, entament leur dernière ligne droite, alors que se tiennent actuellement des audiences publiques qui orienteront l’avenir du projet de l’entreprise Baffinland.

La Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions (CNER) tient, jusqu’au 6 février, une série de rencontres techniques et d’audiences publiques à Pond Inlet ainsi qu’à Iqaluit pour achever son examen environnemental de la deuxième phase du projet d’expansion de la mine.

Les audiences viennent clore des années de négociations entre l’entreprise minière Baffinland, des organisations inuit, des communautés de la région, le gouvernement territorial et différents acteurs environnementaux.

Au cours des dernières années, les discussions ont été ralenties notamment par l’ajournement soudain des audiences publiques en novembre 2019, et ensuite par la pandémie de la COVID-19, qui a forcé le report de rencontres techniques prévues au mois d’avril 2020.

L’entreprise Baffinland souhaite doubler sa production de minerai de fer en passant de 6 à 12 millions de tonnes par an.

Cet objectif implique la construction d’un chemin de fer d’environ 110 km pour acheminer le minerai entre le site minier et le port de Milne Inlet, à quelques kilomètres au Nord, ainsi qu’une augmentation considérable du transport vers l’extérieur de la région.

L’entreprise dispose même de projets plus ambitieux pour le futur. Si elle obtient les permis nécessaires, elle envisage à plus long terme d’atteindre une production annuelle de 30 millions de tonnes de minerai de fer.

La deuxième phase du projet d’expansion prévoit la construction d’un chemin de fer d’environ 110 km reliant le site de la mine Mary River au port de Milne Inlet. (Radio-Canada)

Lundi, le président-directeur général de Baffinland, Brian Penney, a maintenu que l’expansion de la mine était la seule issue possible pour le futur de l’entreprise puisqu’elle n’était actuellement pas suffisamment « viable financièrement ». Baffinland assure que la construction du chemin de fer lui permettra de réduire les coûts liés au transport.

Or, le projet d’expansion divise toujours cinq communautés de l’île de Baffin. Plusieurs s’inquiètent de l’impact environnemental sur l’aire marine nationale de conservation du détroit de Lancaster – « Tallurutiup Imanga » en inuktitut – mais aussi sur la population de caribous et de narvals, qui est la plus importante au monde.

Pour atteindre le port de Milne Inlet, des navires transportant d’importantes quantités de minerai de fer devront traverser l’aire marine de conservation.

L’aire marine nationale de conservation Tallurutiup Imanga abrite des espèces telles que l’ours polaire, la baleine boréale, le narval et le béluga. (Jimmy Thomson/CBC)
Quel avenir pour les hardes de caribous?

Le maire de la communauté de Clyde River, Jerry Natanine, s’inquiète tout particulièrement des conséquences du chemin de fer sur les populations de caribous dans la région.

« De toute évidence, certains des éléments qui sont proposés dans ce projet sont insensés et peuvent être changés », a-t-il martelé vendredi matin.

Les populations de caribous sur l’île de Baffin ont connu un « déclin important » entre les années 1990 et 2014, selon un rapport du ministère territorial de l’Environnement paru en octobre 2019.

Le maire de Clyde River, Jerry Natanine, a fait de la protection des caribous son cheval de bataille dans les discussions entourant la deuxième phase du projet d’expansion de la mine Mary River. (Beth Brown/CBC)

Toutefois, la mise en place de quotas de chasse, en 2015, a permis de renverser la tendance. En 2019, ils étaient 1584 dans la région du sud de l’île de Baffin, contre 347 en 2014.

Jerry Natanine souhaiterait voir cette tendance se poursuivre. Il craint que la circulation du train entre le port de Milne Inlet et le site minier empêche les caribous de circuler et bouleverse leurs cycles de migration.

« Si les caribous devaient passer par là, [ils] seraient frappés par le train. »Jerry Natanine, maire de la communauté de Clyde River

Il s’inquiète également des méfaits liés à la poussière de minerai de fer générée par les activités minières.

En 2015, le gouvernement du Nunavut a fixé un quota annuel de chasse à 250 caribous mâles sur l’île de Baffin. (Nathan Denette/La Presse canadienne)

Lors des rencontres techniques, des membres d’associations de chasseurs et trappeurs de la région ont d’ailleurs joint leur voix à celle du maire de Clyde River pour questionner les responsables de Baffinland sur les engagements qu’ils comptent prendre pour réduire la production de poussière.

« Nous savons que le site minier produit de la poussière qui voyage […] beaucoup plus loin que nous l’avions prévu », a admis la vice-présidente en matière de développement durable de Baffinland, Megan Lord-Hoyle.

Elle explique que si le projet d’expansion est approuvé, l’entreprise s’engagera notamment à changer la manière dont les minerais de fer sont écrasés puis transportés.

« En plus de recueillir les témoignages de chasseurs et des personnes qui voyagent dans le secteur, nous avons déjà ajouté de l’imagerie satellite qui nous aide à voir jusqu’où la poussière peut se rendre », a-t-elle poursuivi.

Des dépôts de poussière de minerai de fer sur un banc de neige près de Milne Inlet, dans le nord de l’île de Baffin, au Nunavut. (Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions)
Quelle place pour le savoir traditionnel?

Au mois de juin, Baffinland et l’Association inuit de Qikiqtani ont conclu une entente qui confère aux Inuit davantage de responsabilités en matière de surveillance environnementale.

Cet accord prévoit notamment la mise en place d’un programme inuit d’intendance dans toutes les communautés touchées par la mine. Les observations de ses membres serviront à orienter un plan de gestion adaptative lié aux questions environnementales.

Or, selon plusieurs, des interrogations persistent toujours au sujet de la place accordée au savoir traditionnel inuit, appelé « Inuit Qaujimajatuqangit » en inuktitut.

La conseillère technique de l’association des chasseurs et trappeurs Ikajutit d’Arctic Bay, Lori Idlout, assure que les Inuit doivent comprendre comment l’entreprise incorpore concrètement le savoir traditionnel pour s’assurer qu’elle le fait de manière adéquate.

Lori Idlout est la conseillère technique de l’association des chasseurs et trappeurs Ikajutit d’Arctic Bay. (Beth Brown/CBC)

Tant que des incertitudes sur les impacts environnementaux du projet demeureront en suspens, des délais persisteront, ajoute-t-elle.

su_quote cite= »Lori Idlout, conseillère technique de l’association des chasseurs et trappeurs Ikajutit d’Arctic Bay« ]« [Baffinland] ne fournit pas de vraies réponses sur l’ampleur de ces impacts, donc cela crée une méfiance. »[/su_quote]

Le spécialiste principal en navigation maritime et en conservation au Fonds mondial pour la nature Canada (WWF-Canada), Andew Dumbrille, affirme quant à lui que l’entreprise minière ne tient pas suffisamment compte du savoir traditionnel des Inuit et de la perspective des communautés touchées par le projet.

Selon lui, Baffinland devrait passer de la parole aux actes plutôt que de multiplier ses promesses futures.

« Leur processus de gestion adaptative est un échec. C’est pourquoi la phase 2 [du projet] d’expansion ne devrait pas aller de l’avant », dit-il, en entrevue avec Radio-Canada.

À l’issue des audiences publiques, qui prendront fin le 6 février, la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions formulera des recommandations dans un rapport adressé au ministère fédéral des Affaires du Nord qui décidera ce qui advient du projet d’expansion.

Avec les informations de Beth Brown

Matisse Harvey, Radio-Canada

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