Un village autochtone d’Alaska tente de racheter ses terres ancestrales

L’Église catholique veut vendre les terres qui abritaient autrefois l’école de la mission de Copper Valley au village autochtone de Tazlina. (John Tierney/AP)
Les villageois de Tazlina, en Alaska, ont lancé une collecte de fonds pour se réapproprier leurs terres ancestrales que l’Église catholique, propriétaire des terrains depuis 1950, a mises en vente au prix de 1,86 million de dollars.

Cinquante ans après la fermeture d’un pensionnat fondé par les missionnaires catholiques, l’archidiocèse américain d’Anchorage-Juneau, qui couvre une partie du sud de l’Alaska, veut vendre la propriété de 186 hectares à ses habitants pour environ 10 000 $ l’hectare. Si ceux-ci ne sont pas en mesure de l’acheter d’ici l’automne 2022, la propriété sera mise en vente sur le marché libre.

Les résidents du petit village autochtone, une communauté reconnue par le gouvernement fédéral, se démènent pour rassembler la somme demandée.

La page GoFundMe du village a recueilli plus de 100 000 $ vendredi et le Great Land Trust du sud-est de l’Alaska s’est engagé à verser environ 600 000 $ pour acheter une partie de la propriété et la placer sous une servitude de conservation.

« La rivière Copper, c’est là où nous avons toujours pêché traditionnellement depuis des milliers et des milliers d’années », a déclaré Gloria Stickwan, présidente du conseil du village de Tazlina, en entrevue pour le journal américain Indian Country Today.

« J’aimerais que ces terres reviennent aux membres de notre communauté, car si elles sont vendues [à des étrangers], nos sites de pêche pourraient nous être retirés. C’est ainsi que les membres de notre communauté subviennent aux besoins de leurs familles. »Gloria Stickwan, habitante du village de Tazlina

Les missionnaires catholiques ont commencé à s’aventurer dans le territoire de l’Alaska à la fin du XIXe siècle, peu de temps après que la Russie eut vendu le territoire aux États-Unis. La transaction s’élevait à 2 ¢ pour environ la moitié d’un hectare.

L’Église catholique y a construit des missions et des églises. Dans les années 1950, elle a acheté des terres dans la vallée de la rivière Copper afin d’y construire une école de missionnaires pour les enfants autochtones.

Le site de Tazlina est par ailleurs celui d’un des 367 pensionnats autochtones américains établis au cours des XIXe et XXe siècles. L’État de l’Alaska, après de nombreux procès, a décidé de fermer l’école de Copper Valley en 1971.

Cette photo non datée montre l’école de la mission catholique de Copper Valley, à Tazlina, telle qu’elle était avant sa fermeture. (Association de l’école Copper Valley)
Restrictions légales et litiges

Au dire de tous, le village et l’Église entretiennent de bonnes relations. « Avant que l’Église mette le terrain sur le marché, elle a contacté Tazlina en raison de notre excellent partenariat depuis des années », a assuré Marce Simeon, administrateur du village et des membres de la communauté.

Toutefois, la facilité avec laquelle l’Église pourrait vendre la propriété sur le marché libre et la façon dont elle est arrivée à fixer son prix soulèvent des interrogations.

Par ailleurs, plusieurs contraintes régissent la vente du terrain. En 1953, le Congrès a notamment imposé des restrictions sur la propriété lorsqu’il a promulgué la loi privée 151. Celle-ci stipule que le terrain doit être utilisé pour une « école missionnaire » et que « les gisements minéraux du terrain » resteront la propriété du gouvernement fédéral.

L’acte de propriété du terrain mentionne également que les droits de l’Église ne remplacent pas les droits de pêche préexistants « qui peuvent être reconnus et admis par les coutumes locales ».

Pour Matt Newman, avocat au bureau d’Anchorage du Native American Rights Fund, cela sous-entend que ce terrain n’est « tout simplement pas une propriété commerciale viable ». Selon lui, il ne devrait donc pas être mis en vente et devrait plutôt revenir de droit « aux personnes qui ont un usage historique de la terre ».

La communauté se démène pour réunir près de 1,9 million de dollars afin de reprendre la gestion de ses terres ancestrales. Elle a jusqu’au mois d’octobre 2022 pour recueillir les fonds. (John Tierney/AP)

En 2015, une famille de la communauté, celle de Gloria Stickwan, a d’ailleurs déjà eu gain de cause à la suite d’une plainte déposée contre l’Église pour reprendre possession d’un site de pêche familial. Elle a obtenu la possession d’environ cinq hectares sur le site et un droit de passage légal sur d’autres terrains. Gloria Stickwan n’en reste pas moins perplexe quant au fait que sa famille soit la seule à revendiquer les sites de pêche.

« J’ai essayé de parler à d’autres familles qui utilisaient cette zone, à des membres de la communauté, mais ils ne se sont pas impliqués. Je ne pouvais pas les forcer à le faire ou parler en leur nom. »Gloria Stickwan, habitante du village de Tazlina

« Beaucoup de familles de Tazlina pourraient faire des revendications similaires à celle de la famille Stickwan, a précisé l’avocat Matt Newman, mais aucune ne s’est manifestée. »

Cette réticence pourrait en partie s’expliquer par l’atmosphère générale de courtoisie qui imprègne la relation entre l’Église catholique et Tazlina.

De leur côté, les représentants de l’Église refusent de commenter la vente proposée. « L’archidiocèse d’Anchorage-Juneau ne discute pas des détails de ses transactions commerciales », a écrit le chancelier John Harmon dans un courriel au journal Indian Country Today, mentionnant que « l’archidiocèse a établi une très bonne relation de travail avec le village de Tazlina et attend avec impatience la vente de la propriété ».

Optimisme et espoir

Les villageois sont néanmoins motivés à récupérer leurs terres et poursuivent la collecte de fonds. Les termes du contrat original que le village a signé avec l’archevêché donnaient aux villageois jusqu’à octobre 2021 pour réunir les fonds. En raison de la pandémie, l’Église a prolongé le délai jusqu’à octobre 2022.

« Nous avons un long chemin à parcourir, a déclaré Kristin Carpenter, une consultante externe engagée par le village pour aider à la collecte de fonds. Mais nous sommes optimistes et remplis d’espoir. »

« Nous avons appris toutes nos leçons de vie ici », a également témoigné une autre résidente du village de Tazlina, Donna Renard. « Ce sol est celui où des générations de ma famille ont marché. Alors, partout où je marche au camp de pêche, je marche dans leurs empreintes », a-t-elle conclu de façon imagée.

Avec les informations de Associated Press et Indian Country Today

Radio-Canada

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