Pensionnats pour Autochtones : excuses et réconciliation dans le Grand Nord canadien

Pour Duane Gastant’ Aucoin, des excuses du pape sont essentielles au processus de réconciliation au Canada. À ce jour, aucune excuse n’a été présentée par le souverain pontife ni par la Conférence des évêques catholiques du Canada. (Photo : Duane Gastant’ Aucoin)

Suite à la découverte des restes de 215 enfants enterrés au pensionnat de Kamloops, les réactions et les prises de position se multiplient dans les territoires.

Dans un élan commun, les trois capitales Iqaluit, Whitehorse et Yellowknife ont mis leurs drapeaux en berne pendant 215 heures, soit 9 jours, en signe de deuil.

Dans un communiqué de presse du 31 mai, la mairesse de Yellowknife, Rebecca Alty, encourage les Canadiens à se documenter afin de comprendre les ravages causés par les pensionnats sur plusieurs générations d’enfants. « Cette découverte est un sombre rappel que nous devons tous faire plus pour en savoir plus sur les pensionnats indiens et leurs effets continus, pour soutenir les survivants des pensionnats indiens, et pour honorer et nous souvenir de ceux qui ont perdu la vie », a-t-elle dit.

Pour John Fawcett, conseiller municipal à Iqaluit, les Canadiens doivent unir leurs efforts afin d’exiger des mesures réparatrices pour les personnes survivantes des pensionnats pour les Autochtones.

Pas de réconciliation sans excuses

Le 27 mai 2009, l’évêque du diocèse de Mackenzie-Fort Smith, Murray Chatlain, présentait ses excuses pour le rôle que son Église a joué dans le système des pensionnats.

Tout en reconnaissant les violences physiques et sexuelles dont les enfants étaient victimes et la perte de la langue maternelle dans un contexte de colonisation affiché par le gouvernement fédéral, il dénonçait clairement la participation du clergé « au plan du gouvernement qui était enraciné dans l’arrogance coloniale ».

Plus récemment et suite à la macabre découverte, l’évêque de Whitehorse, Hector Vila, a publié un communiqué plus court où, sans formellement présenter des excuses, il exprime clairement sa volonté de passer à l’action.

ll annonce notamment, sans donner de détails, la création d’un comité, au sein de son diocèse, pour la réconciliation avec une approche pastorale.

En parallèle, il affiche sa volonté de collaborer avec les chefs des Premières Nations du Yukon et affirme vouloir rendre publiques toutes les archives des pensionnats du Yukon et du nord de la Colombie-Britannique.

Ces archives avaient déjà été mises à la disposition de la Commission de vérité et réconciliation qui s’étaient rendues à Whitehorse en janvier 2013.

Duane Gastant’ Aucoin, citoyen du Teslin Tlingit Council à l’est de Whitehorse, n’envisage pas de réconciliation sans excuses des plus hautes instances catholiques.

Lors de la prière de l’Angélus, le dimanche 6 juin 2021 au Vatican, le pape a fait part de sa tristesse suite à la découverte de Kamloops et a demandé aux « autorités religieuses et politiques du Canada de faire la lumière sur cette histoire et de s’engager humblement dans un chemin de réconciliation et de guérison ».

Cependant, cette prise de parole où il n’est pas fait mention d’excuses est insuffisante pour M. Gastant’ Aucoin.

« En tant que leader de cette église, il doit arrêter d’écouter ses avocats et commencer à s’excuser auprès de nous les peuples autochtones [du Canada]. »

Fils d’une survivante, il considère que des excuses seraient un grand pas vers la réconciliation, car le travail à accomplir dans cette direction est encore immense. Il voit cependant la prise de position de l’évêque Vila d’un bon œil ainsi que le rapprochement potentiel du diocèse avec les Premières Nations du Yukon.

Pour Rebecca Kudloo, présidente de l’organisme Pauktuutit qui représente les femmes inuit du Canada, des excuses officielles sont aussi importantes. Elle-même survivante de deux pensionnats, elle estime « que si l’Église catholique ne s’excuse pas, cela signifie que [cette Église] pense qu’il est acceptable que des prêtres et des religieuses commettent ces crimes ».

Accéder aux archives pour dire la vérité

Lors du débat à la Chambre des communes le 1er juin, le député des Territoires du Nord-Ouest, Michael McLeod, a déclaré : « Je ne suis pas surpris que de nombreux Canadiens soient choqués, mais je ne suis pas choqué et de nombreuses familles autochtones non plus. »

À Fort Providence, d’où le député est originaire, un monument où apparaissent les noms de 161 enfants enterrés sur le site de l’ancien pensionnat Sacred Heart a été érigé en 2013.

Pourtant, la Commission de vérité et réconciliation avait indiqué dans son rapport final de 594 pages, rendu public en 2015, que le nombre d’élèves ayant trouvé la mort ne serait sans doute jamais connu, « notamment parce que les dossiers sont souvent incomplets et qu’un grand nombre de dossiers ont été détruits ».

Cependant, tous les documents n’ont pas disparu et la Commission a indiqué qu’il « existe de nombreux documents pertinents qui doivent encore être examinés ».

D’après M. Gastant’ Aucoin, ces archives auraient dû être rendues publiques depuis bien longtemps. « C’est ahurissant que tout cela ait été fait au nom de Dieu alors même que l’Église agit comme une grande entreprise qui protège ses fichiers et ses biens », lance-t-il, indigné.

Pour Mme Kudloo, l’absence d’information concernant les circonstances de la mort des enfants, parfois même l’identité (pour 32 % des 3200 décès répertoriés par la Commission, le nom de l’enfant n’a pas été inscrit dans les registres) est similaire à ce qu’ont vécu les personnes atteintes de la tuberculose au Nunavut.

Dans les années 1950 et 1960, des milliers de personnes malades ont été envoyées dans le Sud afin d’être soignées, mais, en cas de décès, la famille était prévenue très tardivement et sans aucune explication sur les circonstances de la mort.

« Les Inuit méritent d’avoir accès à tous les dossiers historiques et les renseignements sur les pensionnats devraient être fournis aux membres des familles qui cherchent des réponses, et cela inclut les archives du Vatican », pense-t-elle.

Trouver les sépultures ailleurs au Canada

Kluane Adamek, cheffe régionale à l’Assemblée nationale des Premières Nations pour le Yukon, considère le gouvernement canadien comme le principal responsable. Elle rappelle, dans une déclaration du 1er juin 2021, que le pensionnat de Kamloops n’est pas le seul endroit où des enfants sont enterrés.

« L’ampleur de cette tragédie est indicible, et il est impossible de ne pas penser aux milliers d’autres enfants qui sont encore perdus. »

Le gouvernement fédéral a annoncé, en 2019, le financement de recherches pour les collectivités qui le souhaitent, à hauteur de 27 millions de dollars. Cette somme correspond à la mise en place des appels à l’action 74 à 76 de la Commission de vérité et réconciliation sur la recherche et l’identification des sépultures.

« Le financement et le soutien des ressources tiendront compte des différents coûts des fournitures et des services pour les collectivités nordiques et éloignées », précise Kyle Fournier des relations aux médias à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada.

De son côté, la Première Nation de Carcross-Tagish, au Yukon, travaille à la création d’un comité commémoratif pour le pensionnat Choutla qui a ouvert en 1903 et a fermé ses portes en 1969.

Sans donner de précisions sur d’éventuelles recherches au sol, cette Première Nation souhaite réunir au sein de ce comité un représentant de chaque Première Nation du Yukon afin « de faire le deuil, de trouver une voie à suivre et pour rendre justice aux victimes, leurs familles et les communautés en général ».

Nelly Guidici, L'Aquilon

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