Quand une mine du Nunavut transforme une communauté pour le meilleur et pour le pire
À quelque 25 km au nord de Rankin Inlet, au Nunavut, gît dans le roc gelé une réserve souterraine de plus de 4 millions d’onces d’or.
La mine Meliadine, qui exploite l’un des gisements depuis 2019, divise toujours les habitants de la région.
L’entreprise Agnico Eagle emploie plus de 700 personnes à temps plein pour gérer ce site, qui n’exploite que le plus important des sept gisements d’or répartis sur un terrain de près de 100 000 hectares.
La région de Kivalliq suscite un fort appétit minier depuis des décennies.
Dès 1957, la mine de nickel North Rankin a attiré pendant cinq ans des travailleurs des quatre coins de la région. De fait, les activités d’exploration et d’exploitation minières des dernières années ont changé le visage de la communauté de Rankin Inlet, la capitale de la région.
Un différent « terrain de chasse »
L’ancien président de l’Association des chasseurs et des trappeurs Kangiqliniq, Andrew Akerolik, en a long à dire sur le sujet.
Il pense que ces activités minières ont défiguré une partie de la région. « Nous devons nous rendre beaucoup plus loin pour aller chasser le caribou, mais aussi le bœuf musqué, le renard et le loup, dit-il en soupirant. Tout au long de l’année, nous avions l’habitude d’aller chasser le caribou là où se trouve la mine aujourd’hui. »
Il s’inquiète aussi des conséquences du transport maritime engendré par les activités minières. « Les brise-glace ont un effet négatif sur [les mammifères marins]. À la fin du printemps, les phoques ont tendance à demeurer sur la glace aussi longtemps qu’ils le peuvent », soutient-il.
Le maire de Rankin Inlet, Harry Towtongie, explique que le lac Meliadine, à proximité du site minier, est un lieu propice à la pêche et à la chasse qui est bien connu des Inuit de la communauté. Il admet que la mine a changé la manière dont ils voient aujourd’hui leur terrain de chasse.
Bien qu’il soit conscient des divisions suscitées par la mine, Harry Towtongie affirme que l’entreprise respecte ses engagements, dans l’ensemble.
Il indique toutefois que le projet minier est arrivé à maturité « très rapidement », ce qui, dit-il, a mis en lumière les lacunes de la communauté en matière d’infrastructures. « Quand tu es forcé de croître, il faut que le reste suive », affirme-t-il, en faisant référence à la pénurie de logements et aux installations de traitement des eaux usées.
Un « équilibre délicat »
L’Association des Inuit de Kivalliq (KIA), qui représente les Inuit de la région, veille à ce que ces derniers tirent profit du projet minier et qu’Agnico Eagle respecte ses obligations.
La directrice des opérations de la KIA, Trisha Makpah, avoue que les avantages à retirer de la mine et les répercussions parfois négatives reposent sur un « équilibre délicat ».
En vertu de l’Entente sur les répercussions et les avantages pour les Inuit (ERAI), signée en 2015, l’entreprise est notamment tenue d’assurer la formation et l’embauche de personnel inuit tout en favorisant des occasions d’affaires.
L’objectif est d’atteindre une main-d’œuvre composée annuellement d’environ 50 % d’Inuit, à défaut de quoi Agnico Eagle doit verser à la KIA une somme de 500 000 $ en guise de dédommagement pour chaque année où le seuil n’est pas atteint.
Sur ses 641 employés à temps plein, Agnico Eagle comptait 83 employés inuit, soit près de 13 % de sa main-d’œuvre à temps plein, en date du 31 décembre 2020, indique le porte-parole de l’entreprise, Carl Charest, dans un échange de courriels.
Il ajoute que la pandémie a entraîné le déclin du nombre d’employés inuit embauchés à temps plein.
« Évidemment, nous souhaiterions voir ce nombre augmenter, mais des barrières [à l’emploi] persistent », affirme Trisha Makpah. Parmi ces barrières, elle note surtout l’accès restreint à un enseignement postsecondaire au territoire, qui empêche des Inuit d’atteindre des postes supérieurs.
« Si ce n’était pas de l’industrie minière, Rankin Inlet n’existerait pas. »
Même s’il souhaiterait, lui aussi, que le nombre minimal d’embauches d’employés inuit soit atteint, le maire de Rankin Inlet croit que la création d’emplois miniers a contribué à l’essor de l’économie locale tout en augmentant le pouvoir d’achat des résidents de la communauté.
Albert Kimaliakyuk, un Inuk originaire de Chesterfield Inlet, est l’un des responsables de la formation en exploitation minière souterraine d’Agnico Eagle. Il raconte avoir souvent eu à défendre son employeur auprès de membres de son entourage qui n’étaient pas pour le projet minier.
Il ne fait aucun doute, selon lui, que la communauté a tout à gagner dans ce projet. « C’est très difficile de décrocher un emploi ici. Si ce n’était pas de l’industrie minière, Rankin Inlet n’existerait pas », assure-t-il.
Des aspects positifs
Trisha Makpah explique que la perspective de la KIA à l’égard du travail d’Agnico Eagle à la mine Meliadine est « positive » et que l’entreprise se montre à l’écoute des Inuit de la région. « Cet été, Agnico Eagle […] a laissé plusieurs milliers de caribous traverser le site minier qui correspond à leur route migratoire », indique-t-elle.
« On est toujours à l’affût de façons dont on peut améliorer nos pratiques », affirme le directeur général de la mine Meliadine, Frédéric Mercier-Langevin.
Il rappelle qu’Agnico Eagles s’est engagée à créer un groupe consultatif formé de représentants d’organisations locales et qui sera chargé d’améliorer la gestion des opérations minières en fonction des migrations de caribous.
Frédéric Mercier-Langevin admet que la gestion d’une mine au Nunavut s’accompagne d’une série de défis. Il évoque, entre autres, la logistique complexe du fly-in fly-out, l’importance de sensibiliser l’ensemble du personnel sur la culture inuit et les défis liés à la gestion de l’eau.
On peut la déplacer seulement deux mois par année, souligne-t-il. Chaque semaine perdue peut mettre en péril notre saison de gestion de l’eau.
La fin de l’exploitation de la mine Meliadine est fixée à 2032, mais Agnico Eagle croit pouvoir poursuivre ses activités jusqu’en 2040. L’entreprise travaille sur une deuxième phase à travers laquelle elle espère accroître la capacité de production à environ 6000 tonnes par jour en 2025.
« On considère que Meliadine comme la première opération minière dans le secteur, mais on ne la voit certainement pas comme la dernière », soutient M. Mercier-Langevin.