Lire les habitudes d’un peuple inuit dans des « archives » aquatiques

Les chercheurs ont mené leur étude sur un étang, situé sur l’île Southampton, qui était le lieu de dépeçage utilisé par les Sadlermiuts. Aujourd’hui encore, des carcasses de divers animaux jonchent le sol. (Photo fournie par Reinhard Pienitz)

Sur l’île Southampton, dans le sud du Nunavut, des scientifiques ont découvert plusieurs éléments sur les habitudes alimentaires des Sadlermiuts, un peuple inuit qui a vécu sur place pendant près de sept siècles, en étudiant les sédiments retrouvés dans un étang.

L’article scientifique The influence of a lost Society, the Sadlermiut, on the environment in the Canadian Arctic a failli ne jamais voir le jour. L’article qui fait état de l’influence de la société perdue des Sadlermiuts sur l’environnement de l’Arctique canadien a finalement été publié dans la revue Nature à la mi-septembre, soit environ 15 ans après les recherches qui y sont associées.

Professeur titulaire du Département de géographie à l’Université Laval et coauteur de l’étude, Reinhard Pienitz voulait que cette histoire soit publiée, même si elle ne faisait pas l’objet de ses recherches initiales.

Celles-ci, menées entre 2005 et 2008 sur l’île de Southampton, dans le nord de la baie d’Hudson, avaient pour but de « fournir des informations climatiques et écosystémiques depuis la dernière glaciation sur une région très peu accessible », explique-t-il.

Une fois sur place, à l’époque, ses collègues et lui s’intéressaient également à un étang, autour duquel se trouvent de nombreuses carcasses d’animaux.

Des « archives » conservées sous l’eau

Reinhard Pienitz explique que les plans d’eau douce, abondants dans le nord du Canada, sont des vestiges de la dernière glaciation et qu’ils jouent un rôle très important à la fois pour les humains, les animaux et les plantes. Les sédiments qu’on y trouve servent d’archives, précise-t-il.

Les chercheurs ont analysé les sédiments qui se trouvaient dans l’étang pour en apprendre davantage sur les habitudes des Sadlermiuts. (Photo fournie par Reinhard Pienitz)
« Les sédiments nous permettent de recomposer les environnements du passé, de savoir quel était l’état naturel de ces écosystèmes et comment ils ont changé depuis des milliers d’années, et comment les humains ont perturbé ces écosystèmes. »

Reinhard Pienitz, coauteur de l’étude

Le professeur croit que les informations contenues dans les microfossiles retrouvés dans les sédiments sont particulièrement évocatrices en ce qui concerne les Sadlermiuts. Les scientifiques en savent peu sur ce peuple, si ce n’est qu’il a eu peu de contacts avec d’autres peuples inuit et qu’il a donc développé une culture et une langue qui lui sont propres.

Les différentes couches de sédiments ont permis de déterminer que ces derniers sont arrivés à Native Point, sur l’île de Southampton, vers 1250.

« Ils se sont installés sur l’île à la faveur d’une période chaude, appelée optimum climatique médiéval, et par la suite, il y a eu une utilisation de cet étang comme lieu de dépeçage des carcasses de baleine, de mammifères marins, ce qui a entraîné une brusque augmentation de la productivité de l’étang. »

De nombreuses carcasses jonchent encore le sol de nos jours, ce qui en fait un lieu « intimidant », selon Reinhard Pienitz.

Des habitudes alimentaires dictées par le climat

Par la suite, les scientifiques ont observé que les Sadlermiuts ont fait face à un refroidissement climatique (« petit âge glaciaire ») vers 1400. Cela les a obligés à adapter leur régime alimentaire, les glaces ayant envahi la baie d’Hudson et compliqué la pêche. Ils se sont donc tournés vers des espèces terrestres et la chasse, croit Reinhard Pienitz.

Puis, au début du 19e siècle, il y a une « diminution des activités de subsistance » ou bien un déclin de la population ou encore les deux.

« Finalement, il y a cet enregistrement, carrément, de leur disparition en 1903. Cela se voit aussi dans le changement des métaux enregistrés dans les sédiments. »

Reinhard Pienitz, coauteur de l’étude

Cette disparition pourrait être liée à une maladie apportée par des baleiniers anglais avec qui ils sont rentrés en contact à cette époque. Selon Reinhard Pienitz, il pourrait s’agir d’une infection gastro-intestinale virulente. Il évoque aussi l’influenza et le typhus.

Reinhard Pienitz explique que l’étang qui a fait l’objet de recherches est un lieu qui « donne des frissons » parce que les os craquent sous les pas de ceux qui s’y aventurent. (Photo fournie par Reinhard Pienitz)
Traces de la pollution venue du Sud

Avec cette étude, Reinhard Pienitz est surpris de voir, encore aujourd’hui, le degré de perturbation de l’eau, même près de 120 ans après la disparition supposée du peuple.

Il note aussi que de nombreux métaux se sont retrouvés dans l’eau à partir des années 1850, qui correspondent à la période de l’ère industrielle en Europe. « C’est frappant de voir de quelle façon les régions industrielles très éloignées ont un impact sur la santé, la qualité de l’eau de ces étangs des régions arctiques. »

Malgré les découvertes apportées par l’étude, dit Reinhard Pienitz, les scientifiques se posent encore beaucoup de questions sur les Sadlermiuts, que cela soit la raison exacte de leur disparition ou encore la raison pour laquelle ils ont développé leur propre langue.

« Tout cela reste encore un grand mystère. »

Laureen Laboret, Radio-Canada

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