Quitter l’île Maurice et se réinventer au Yukon, dans le Grand Nord canadien

Nathalie Carriapen conduisait à gauche et n’avait jamais vu la neige de sa vie avant de faire le grand saut, un bond de 15 000 kilomètres. Elle a choisi de quitter le sable blanc de son île Maurice natale pour une nouvelle vie dans l’immensité blanche du Yukon.
Chaque immigrant porte en lui son histoire, ses défis et ses rêves.
Pour Nathalie Carriapen, le Canada, c’était un rêve d’adolescente.
« Je pensais qu’il était trop tard », confie-t-elle. Pourtant, la voilà assise sur une banquette du restaurant Gold Paner, à Carmacks, où elle vient de terminer son quart de travail.
Elle l’a fait. L’adolescente qui découpait des images du Canada dans les brochures a laissé place à une femme forte qui a su trouver le courage de recommencer sa vie à l’autre bout du monde.

Après son secondaire, elle a intégré l’école hôtelière, puis a travaillé dans un hôtel cinq étoiles et a eu son propre restaurant avec son père. Elle a même été cheffe au sein de l’ambassade américaine. C’est ce curriculum vitæ qui lui a permis d’obtenir une offre d’emploi de l’Hôtel Carmacks, à des milliers de kilomètres de chez elle.
En regardant sur Internet, elle a vu que la petite localité comptait 500 habitants, autant que dans son quartier sur une île qui compte environ 1,3 million d’habitants, mais peu importe.
« J’ai foncé », dit-elle. « On m’a dit qu’au Yukon on accueillait les immigrants, qu’on encourageait les gens à venir. L’offre d’emploi m’a fait venir ici, mais à peine arrivée, je suis tout de suite tombée amoureuse du Yukon, de ses paysages, des gens aussi. »
En juin 2020, elle est arrivée à Carmacks, à un peu moins de 200 kilomètres au nord de Whitehorse, sur la route de Dawson. Le contraste avec sa vie d’avant était frappant.
« L’île Maurice est connue pour ses plages, pour le soleil, pour les sables blancs », concède-t-elle, mais elle vient du centre de l’île où se trouve un volcan endormi, le Trou-aux-Cerfs. « L’endroit le plus froid de l’île ».
Alors, forcément il y a froid et… froid, mais elle s’est vite habituée. L’eau turquoise des cartes postales qui lui semblait froide ne l’était pas tant que cela après réflexion, et surtout après un premier hiver yukonnais à -52 degrés Celsius! Cette nature rude, les montagnes et la forêt boréale à perte de vue, elle les a faites siennes.

Nathalie Carriapen arrive aussi dans un territoire qui fait face à une pénurie de main-d’œuvre et qui voit dans l’arrivée de travailleurs comme elle une chance de faire vivre sa communauté.
« Je me suis sentie choyée par mon employeur », raconte-t-elle. « On ressent qu’on est la bienvenue, qu’on a besoin de moi, qu’on compte sur moi. »
Au-delà de la nécessité d’avoir du monde en cuisine, elle raconte la confiance que l’on place en elle en l’encourageant à laisser parler sa créativité et à ajouter ses plats et ses inspirations sur l’ardoise du restaurant.
« Ma plus grande joie, c’est quand il n’y a que des commandes de plats du jour, ça fait plaisir. »

Le thème de cette Semaine nationale de l’immigration francophone est « Une francophonie aux mille saveurs ». En cuisine, quand on lui pose la question, Nathalie explique qu’elle apporte les recettes « du poulet chasseur et du poisson grillé sauce meunière », cette gastronomie française qu’elle a apprise aux côtés de chefs français.
« Pas mal de beurre, du fromage aussi », plaisante-t-elle, mais le tout conjugué avec l’inspiration multiculturelle de l’île Maurice et sa cuisine indienne et chinoise, entre autres.
La nouvelle vie qu’elle s’est offerte est pleine de promesses, de rêves, et le premier d’entre eux est de pouvoir la partager.

Elle va entamer la procédure pour devenir résidente permanente du Canada et n’a qu’un seul but : que ses trois enfants, restés chez leurs grands-parents à l’île Maurice, et elle soient à nouveau réunis.
« J’ai eu pas mal de combats dans ma vie », confie-t-elle, « mais j’ai voulu prouver, à moi et à mes enfants, qu’on pouvait y arriver et que ce n’était pas trop tard. »
Et elle le prouve chaque jour. Soutenue et encouragée par sa famille et ses amis proches, Nathalie Carriapen est au Canada, au Yukon, et elle compte bien partager cette vie avec ses enfants pour que le bonheur soit réel et, surtout, pour leur offrir de meilleures possibilités en grandissant.
Quand elle leur raconte le froid, il y a bien sûr quelques appréhensions. « Mais ils sont impatients de voir et vivre tout ça comme moi », raconte-t-elle.
« Et peut-être aussi impatients de retrouver une nouvelle maman, parce que ça fait quand même un an et demi, et j’ai changé, j’ai évolué et j’ai hâte de voir dans leurs yeux cette nouvelle maman aventurière. »