Voyage au Vatican : l’espoir d’être entendus

Beaucoup d’espoir dans cette visite, mais surtout l’attente d’actions concrètes. (Alessandra Tarantino/The Associated Press)
Les délégués des Premières Nations espèrent une rencontre avec le pape marquée par la dignité et la reconnaissance des torts infligés dans les pensionnats, afin de marcher dans la même direction.

À deux jours du départ pour le Vatican, le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations (APN) dans les Territoires du Nord-Ouest, Gerald Antoine, qui va diriger la délégation de l’APN, s’est montré optimiste pour ce « voyage historique longtemps attendu ».

« Tout au long du chemin, nous avons dit que cette étape est très importante pour que nous puissions commencer le processus continu qui doit nous faire travailler ensemble, guérir ensemble », a expliqué Gerald Antoine.

Il espère une visite empreinte d’une « certaine dignité et d’un certain respect pour les survivants des pensionnats et les survivants des traumatismes intergénérationnels. » Il a d’ailleurs précisé comprendre que les survivants des pensionnats pour Autochtones ainsi que leurs familles réclament justice, puisqu’il est l’un de ces survivants.

Et c’est avec optimisme et espoir qu’il se rend à Rome. Il souhaite que le pape fasse « amende honorable » pour le rôle de l’Église dans les pensionnats. « Un sentiment très fort que c’est ce qui va se passer nous habite », a-t-il précisé.

De 1831 à 1996, 150 000 enfants des Premières Nations, Inuit ou Métis ont été arrachés à leur famille puis placés dans plus de 130 pensionnats à travers le Canada. Environ 6000 enfants y ont trouvé la mort.

La découverte de sépultures potentielles à Kamloops l’an dernier a été un moment marquant pour la société canadienne. Les évêques catholiques du Canada se sont ensuite excusés publiquement pour la première fois et se sont engagés à amasser 30 millions de dollars pour soutenir les projets de réconciliation avec les survivants des pensionnats pour Autochtones.

Outre rappeler à l’Église cette promesse, Gerald Antoine dit avoir réitéré la préoccupation des Premières Nations quant à la reconnaissance de la responsabilité de l’Église pour « le grand mal causé » dans les pensionnats, « dans l’assimilation et le génocide ».

Il va aussi demander la révocation des bulles papales (documents importants du pape qui sont scellés) qui ont consacré la doctrine de la découverte. Les Européens se sont servis des concepts tels que la doctrine de la découverte et de la terra nullius pour justifier la saisie de territoires qui appartenaient à des peuples autochtones. La question du rapatriement d’artefacts a aussi été évoquée.

« Je pense qu’ils commencent à ouvrir leurs portes pour une bonne conversation, pour soutenir les familles », a dit M. Antoine.

La cheffe (Kukpi7) de la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc, en Colombie-Britannique, Rosanne Casimir, espère que « le pape sera sur cette même page pour marcher avec nous dans ce voyage à plusieurs étapes vers la guérison ».

Mais la réconciliation, a-t-elle poursuivi, n’est pas unilatérale. Elle doit se faire tout le monde ensemble. Le chef Antoine a d’ailleurs demandé à tout le monde, à tous les Canadiens, de se tenir derrière les Autochtones.

La grande cheffe crie, représentant le Québec, Mandy Gull-Masty souhaite que cette étape aille plus loin que les précédentes. La relation entre le chef de l’Église catholique et les Premières Nations canadiennes ne date effectivement pas d’hier. Mais jamais il n’y a eu d’excuses.

« Mes attentes découlent vraiment de certaines des rencontres historiques qui ont été réalisées par l’Église catholique. […] La découverte des tombes de Kamloops – et ailleurs – a vraiment déclenché une prise de conscience. Je crois que l’Église catholique doit aller plus loin. J’ai vraiment hâte d’entendre ce que le pape a l’intention de faire », a indiqué Mandy Gull-Masty.

Comme les autres délégués, elle a rappelé l’importance de la venue du pape au Canada, visite évoquée par le Vatican il y a quelques mois, pour entendre les histoires des survivants et se rendre là où tout s’est passé. Pour de nombreux survivants et délégués, les excuses du pape, s’il y en a, doivent se faire en sol canadien.

Le Ralliement national des Métis a d’ailleurs demandé « avec fermeté » que les excuses officielles aux survivants et à leurs familles « soient présentées là où les atrocités ont été commises ».

« Elles doivent être faites ici, au Canada. La réconciliation avec la nation métisse ne peut commencer que si l’Église accepte l’entière responsabilité des traumatismes subis. Elle doit ensuite être suivie d’un véritable engagement à travailler aux côtés de la nation métisse sur le chemin de la vérité, de la justice et de la guérison », a indiqué la présidente du Ralliement national des Métis, Cassidy Caron.

Un message qui fait écho à celui de la grande cheffe crie du Québec, Mandy Gull-Masty.

« Au-delà des excuses, il y a beaucoup de travail à faire et j’espère que ce message sera reçu par l’Église catholique, affirme Mme Gull-Masty. J’espère que le pape François, en tant que chef spirituel, donnera le ton au sein de son Église en ce qui concerne les injustices historiques. Il a l’obligation comme leader d’aborder ces choses et de libérer les personnes de la douleur, du mal et du traumatisme qu’elles continuent de subir. »

Afin que « le pape François comprenne mieux l’héritage des pensionnats et de son impact », la délégation métisse a collecté de nombreuses histoires de survivants. Des lettres, des poèmes, des photographies, etc. seront partagés.

En tout, 32 aînés, gardiens du savoir, survivants et survivantes des pensionnats ainsi que des jeunes Autochtones de partout à travers le Canada feront partie des trois délégations inuit, métisse et des Premières Nations.

Taylor Behn-Tsakoza, de la Première nation Fort Nelson au nord de la Colombie-Britannique, s’est d’ailleurs dite « reconnaissante et heureuse que la délégation ait reconnu l’importance d’avoir un espace pour les jeunes qui veulent partager l’histoire des survivants intergénérationnels ».

« Parce que nous avons aussi une histoire. Bien que nous n’ayons pas été dans un pensionnat, nous en ressentons encore les effets tous les jours. Et nous voulons vraiment faire partie de ce voyage de guérison. […] C’est à notre génération de poursuivre cet héritage et de continuer d’aller de l’avant », a lancé Taylor Behn-Tsakoza, qui sera à Rome.

La conférence des évêques catholiques du Canada souhaite aussi que le message de la délégation autochtone soit entendu par le pape.

Son président, Mgr Raymond Poisson, a déclaré dans un communiqué que les évêques s’attendent « à ce que ces rencontres privées permettent au Saint-Père d’aborder de manière significative à la fois le traumatisme continu et l’héritage de souffrance auxquels les peuples autochtones font face encore aujourd’hui, de même que le rôle de l’Église catholique dans le système des pensionnats, qui a contribué à la non-transmission des langues, de la culture et de la spiritualité autochtones. »

Les délégations de l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) et du Ralliement national des Métis (RNM) rencontreront le pape le 28 mars, et celle de l’Assemblée des Premières Nations (APN), le 31 mars.

Les trois délégations auront une audience finale avec le pape François le 1er avril au cours de laquelle un plus grand groupe d’Autochtones de partout au pays se joindra aux délégués officiels. Selon la CECC, l’audience fournira une occasion pour le pape de « réagir publiquement après avoir écouté attentivement les délégués » tout au long de la semaine.

Marie-Laure Josselin, Radio-Canada

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