« C’est le moment d’agir », dit le leader inuk du Canada au pape François
Si le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) a apprécié « l’opportunité » de parler au pape, et que « cette histoire soit couverte dans le monde entier », il a estimé qu’il est temps d’agir et a formulé des demandes concrètes au chef de l’Église lors de leur rencontre d’une heure au Vatican, lundi.
« Nous sommes impatients de travailler en partenariat avec [le pape et la Conférence des évêques catholiques du Canada] pour réaliser les actions nécessaires pour apporter la réconciliation, apporter la guérison aux communautés et rendre justice à ceux qui n’ont pas encore eu justice », a lancé Natan Obed.
Le président d’ITK a demandé au pape d’intervenir personnellement pour que l’oblat français Johannes Rivoire, accusé en 1998 d’avoir agressé sexuellement des enfants de Naujaat et de Rankin Inlet, soit traduit en justice.
Natan Obed a donc demandé que le pape, en qualité de chef de l’Église catholique, ordonne directement à Johannes Rivoire de revenir au Canada pour y être jugé. Si ce n’est pas possible, il lui a demandé d’user de son influence auprès des autorités françaises, où se trouve l’oblat, pour que Johannes Rivoire soit extradé vers le Canada ou jugé en France.
« Nous voulons que cette nouvelle relation […] soit basée sur l’action et aussi sur une ambition commune partagée. C’est une réalité tellement déchirante […] de voir l’injustice, car certaines personnes auraient dû être traduites devant la justice il y a des décennies. Certaines victimes sont mortes avant d’avoir vu la justice », a lancé Natan Obed.
Le vice-président de la CECC, Mgr William McGrattan, a abondé dans ce sens, indiquant que « l’Église doit prendre ses responsabilités pour toute situation d’abus sexuel ».
« Comme nous l’avons entendu, la justice et la vérité sont importantes dans le chemin de la réconciliation. C’est un élément important dont nous avons besoin pour continuer, l’Église doit s’attaquer à ce problème de manière franche », a poursuivi Mgr William McGrattan.
Des excuses sincères en terre inuit
Selon Natan Obed, le pape a été « accueillant, très réfléchi et engagé ». Il a accueilli chaque membre personnellement. La délégation a parlé longuement des pensionnats, de leurs impacts négatifs ainsi que de l’aspect intergénérationnel traumatisant.
Une proposition qu’appuie Martha Greig, une Inuk de Kuujjuaq, au Québec, et survivante du pensionnat de Fort Churchill, au Manitoba.
« Des excuses sincères seraient une première étape pour commencer à guérir », a-t-elle indiqué.
L’Inuk de 67 ans a dit que, personnellement, cela signifierait beaucoup pour elle, mais « encore plus pour [ses] anciens camarades ».
« Beaucoup d’entre eux sont maintenant décédés. Mais leurs enfants sont aussi touchés, donc c’est important pour eux de pouvoir passer à autre chose, a poursuivi Martha Greig. Il est temps de faire un pas de plus et de recommencer notre vie parce que certaines personnes ont perdu leur identité, leur langue, leur capacité de vivre et d’être sur le territoire », a lancé Martha Greig.
Elle s’est dite bien consciente que le pape n’était pas là lors des horreurs des pensionnats.
Selon Natan Obed, « le pape a eu la gentillesse de dire combien il voulait que cela se produise » [de présenter des excuses].
Martha Greig a trouvé que le pape François était très intéressé par les discussions. Elle croit « vraiment qu’il se passera quelque chose, une note positive, à l’avenir! »
Des compensations qui se font attendre
Enfin, les Inuit ont demandé à la Conférence des évêques catholiques du Canada de respecter les obligations légales de l’Église en vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats autochtones en 2006, ce qui comprend le paiement immédiat de 25 millions de dollars en dédommagement financier aux survivants, a précisé Natan Obed. Trois millions ont déjà été versés, selon le président d’ITK.
Comme les autres délégations autochtones, les Inuit du Canada souhaitent un accès complet aux archives de l’Église en ce qui concerne les pensionnats.
L’objectif est de pouvoir identifier les enfants inuit qui pourraient être décédés alors qu’ils fréquentaient les pensionnats administrés par l’Église afin de les « réunir à titre posthume avec leurs familles et leurs communautés ».
« Pour ce travail en cours sur la réconciliation, nous avons demandé que l’Église catholique travaille avec nous sur le défi émergent, mais aussi déchirant, des enfants autochtones qui sont dans des tombes anonymes sur les sites des pensionnats », a aussi indiqué Natan Obed.
Selon lui, l’Église doit utiliser toutes ses ressources pour aider les Autochtones de « toutes les manières possibles » dans ce chemin, et cela signifie aussi un travail commun, en partenariat « et pas seulement par le biais d’accords juridiquement contraignants », a précisé Natan Obed.
L’archevêque de Winnipeg, Richard Gagnon, présent lors de la rencontre, a estimé que « l’atmosphère était à l’écoute » et que c’était une « étape importante vers d’autres choses ». Pour l’évêque William McGrattan, c’est l’avenir qui se dessine.
Et cela passe par des actions concrètes, a réitéré le leader national inuit Natan Obed, qui a précisé que même s’il représente 65 000 Inuit du Canada, « il n’y a pas de position unique ».
Une étole, un étui à chapelet confectionné en peau de phoque ainsi que des sculptures ont notamment été offerts au pape par la délégation inuit. Les huit membres ont aussi reçu un cadeau directement du pape.
Un qulliq, une lampe traditionnelle inuit utilisée lors de moments importants et qui a permis au peuple inuit de se réchauffer, de cuire les aliments et d’avoir de la lumière pendant des millénaires, a été allumé pendant toute la rencontre avec le pape.
La première délégation à avoir rencontré le pape était la délégation des Métis.
Les Premières Nations doivent avoir une audience privée jeudi. Vendredi, le pape rencontrera toutes les délégations autochtones ensemble.