Du Grand Nord canadien au Groenland pour faire briller la danse du tambour

Six jeunes artistes du Nunavut se sont récemment envolés vers Nuuk, au Groenland, pour participer à un festival interculturel de danse du tambour. Un périple qui, après deux ans de pandémie, leur a non seulement procuré une bouffée d’air frais, mais, surtout, donné l’occasion d’avoir des échanges avec des Inuit d’autres régions du cercle circumpolaire arctique.
En l’absence de vols directs entre Iqaluit et Nuuk, leur périple s’est amorcé à la fin du mois de mars lorsque l’avion qu’ils avaient nolisé pour l’occasion a pris son envol vers le Groenland. Ils se sont entassés dans le petit bimoteur, et ils étaient fébriles à l’idée de se produire à nouveau devant un public.
« J’ai vraiment hâte », confiait Sandi Vincent, l’une des six artistes du Nunavut, à quelques jours du départ.
Tout comme eux, des artistes de l’Alaska et de plusieurs régions du Groenland se sont rendus à Nuuk, emportant avec eux tambours et habits traditionnels, pour participer au premier festival Katuarpalaaq.
L’événement en deux temps a eu lieu à Nuuk du 21 au 25 mars, avant de se poursuivre jusqu’au 6 avril dans quatre autres communautés du Groenland.

En groenlandais, katuarpalaaq fait référence au « son du tambour ». Les responsables du Centre culturel Katuaq de Nuuk ont travaillé d’arrache-pied pendant trois ans pour mettre sur pied le festival. Il devait initialement avoir lieu en 2020, mais la crise sanitaire a entraîné son report.
« Dans une grande maison de la culture comme la nôtre, notre travail est de rassembler les gens en organisant des activités », explique la directrice générale du Centre culturel Katuaq, Arnakkuluk Kleist. L’établissement, qui célèbre ses 25 ans, offre notamment à des danseurs de tambour du Groenland un espace pour s’illustrer.

S’échanger des connaissances
Sandi Vincent est l’une des six artistes du Nunavut à avoir pris part au festival à la suite d’un partenariat avec l’organisme artistique à but non lucratif Qaggiavuut, qui œuvre au Nunavut. « Partager la danse du tambour renforce l’identité des Inuit, leur confiance en soi et leur connexion avec la culture », dit-elle.

L’un de ses partenaires de scène, Keenan Carpenter, explique que chaque région inuit se différencie par ses styles de danse du tambour. Les chansons, les techniques, la taille des tambours et les matériaux avec lesquels ils sont fabriqués tendent ainsi à varier d’une région du nord circumpolaire à une autre, mais aussi, à plus petite échelle, à l’intérieur de chaque territoire. Keenan Carpenter souligne d’ailleurs que ce sont ces disparités qui mettent en valeur « leur singularité ».
À titre comparatif, les tambours utilisés dans le nord du Groenland sont traditionnellement plus petits que ceux de l’est et de l’ouest. Au Nunavut, les tambours sont quant à eux plus grands que ceux de leurs voisins groenlandais.

Un coup dur pendant la crise sanitaire
Originaire de Sachs Harbour, aux Territoires du Nord-Ouest, Keenan Carpenter explique que la danse du tambour dans sa région se pratique habituellement en groupe, notamment entre membres de la même famille.
« La pandémie a eu un impact assez négatif, dit-il. Cela a certainement été un défi de trouver d’autres moyens pour discuter avec des personnes qui s’intéressent à la danse et au chant [du tambour]. » Devant l’impossibilité de se rassembler, l’artiste inuvialuk a organisé quelques séances virtuelles avec un ami d’Ulukhaktok, dans le nord-est du territoire.

Créer une continuité entre le passé et le présent
Le renouveau de cette pratique traditionnelle inuit est une priorité commune dans les régions circumpolaires. Depuis 2021, le chant et la danse du tambour du Groenland figurent sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Cette reconnaissance donne à cette pratique une certaine pérennité, comme l’affirme la directrice générale du Centre culturel Katuaq.
« Pour les Inuit, la danse du tambour est un élément essentiel de la culture traditionnelle », affirme Arnakkuluk Kleist.

Qu’ils relatent des sentiments, des activités du quotidien ou des situations associées à la vie sur le territoire, les chants du tambour servaient traditionnellement à transmettre le savoir.
Le danseur Jerry Laisa, de Pangnirtung, croit que la danse du tambour est aussi un outil pour renforcer la langue inuit, qui perd du terrain au Nunavut depuis plusieurs années. « J’aime les histoires des chansons et les anciens mots qu’elles contiennent. »

Sandi Vincent abonde dans le même sens. « Cela m’a aidée à améliorer ma langue, l’inuktitut, assure-t-elle. Le fait de parler des histoires que racontent les chansons m’a aidée à comprendre l’histoire, la culture et la vie des Inuit. »
Un centre culturel, « un tournant » pour le Nunavut?
Hormis la possibilité d’échanger des connaissances, le festival a donné une rare occasion aux artistes du Nunavut de s’illustrer dans un bâtiment consacré aux arts de la scène, puisqu’Iqaluit est la seule capitale canadienne à ne pas disposer d’une telle installation.

Sylvia Cloutier, une danseuse de tambour inuk originaire de Kuujjuaq, au Nunavik, a habité pendant une vingtaine d’années à Iqaluit. Elle raconte qu’elle a dû faire des pieds et des mains pour trouver des espaces pour répéter et s’illustrer.

« Ce serait un tournant pour le Nunavut d’avoir accès à un endroit comme celui-là, assure Sylvia Cloutier, en contemplant le bâtiment du Centre culturel Katuaq. Nous débordons de créativité et de talent à Iqaluit et au Nunavut. »
« Il faut investir dans nos jeunes, conclut-elle. Quand un jeune apprend sa culture et d’où il vient, cela lui donne énormément de confiance et de bien-être. »
- Dans le Grand Nord canadien, le phénomène de la danse Bhangra à Whitehorse
- « L’enfant qui danse » défendra le territoire canadien du Nunavut : Ottawa n’a qu’à bien se tenir
- Danse du tambour à Inuvik, au Canada
- L’artiste autochtone Leela Gilday crée un orchestre panarctique canadien le temps d’un gala