Renseignements : la Norvège, la Suède et la Finlande serrent les rangs depuis l’invasion russe en Ukraine

De gauche à droite, les chefs des services de renseignement de la Norvège, Hans Sverre Sjovold, de la Finlande, Antti Pelttari, et de la Suède, Charlotte von Essen, en conférence de presse à Helsinki, le 27 avril, en marge d’un forum sur la sécurité dans les pays nordiques (Essi Lehto/Reuters)
Lors d’une conférence à Helsinki cette semaine, les chefs des services de renseignements de sécurité de la Norvège, de la Suède et de la Finlande ont dressé le portrait de la nouvelle donne posée par la guerre en Ukraine, la menace russe et les besoins accrus de collaboration entre leurs entités, notamment dans l’Arctique.

La Suède et la Finlande pourraient bientôt rejoindre leur voisin norvégien au sein de l’OTAN, une décision précipitée par la menace que pose la Russie à ses voisins occidentaux depuis son invasion de l’Ukraine.

La Russie, avec laquelle la Finlande partage une frontière de 1300 kilomètres, a menacé de déployer des armes nucléaires et des missiles hypersoniques dans son enclave baltique de Kaliningrad si la Finlande et la Suède décidaient de se joindre à l’OTAN.

La situation en Europe a considérablement changé depuis février, a souligné d’emblée Charlotte von Essen, la dirigeante du Säpo, le service de renseignement suédois, en réunion avec ses homologues devant public pour la conférence intitulée Changements et défis dans l’environnement sécuritaire nordique.

« On voit que la Russie est prête à utiliser la force militaire et à faire la guerre aux pays européens pour les forcer à agir comme elle l’entend. C’est ce que les Suédois doivent réaliser, a-t-elle dit. L’adhésion de la Suède à l’OTAN est un enjeu délicat pour la Russie. Peut-être les Russes jugent-ils qu’ils ont une petite occasion pour influencer la décision des Suédois de se joindre à l’OTAN. Nous devons être prêts à parer à cette éventualité », a-t-elle poursuivi.

Néanmoins, à l’heure actuelle, il n’y a pas d’activité qui menace directement la Suède de la part de la Russie, mais « nous continuons de surveiller la situation », a-t-elle dit.

La situation est semblable du côté finlandais, confirme Antti Pelttari, chef du Supo, le service national de renseignement finnois.

« Nous ne pouvons pas être complaisants. Il faut être préparés, a-t-il dit. Il faut voir ce qui s’est passé depuis 2014 avec l’annexion de la Crimée par la Russie. La Russie a utilisé ses services de renseignement de façon très agressive. On a vu l’explosion d’un dépôt d’armement en République tchèque, des attaques visant la Bulgarie, et l’empoisonnement de [l’ex-espion russe Sergueï] Skripal au Royaume-Uni. Donc, même en temps de paix, la Russie a démontré une grande agressivité. La Finlande doit donc être prête », a-t-il dit.

La façon dont les renseignements sont divulgués et les stratégies de communication publique doivent aussi être adaptées, reconnaît M. Pelttari. 

« On sait depuis 3-4 ans que la Russie et la Chine sont les plus grandes menaces à notre sécurité. Mais, bien sûr, pour nous, en étant un voisin de la Russie, quand on voit qu’elle envahit de la sorte un de ses voisins (l’Ukraine) de façon tout à fait non provoquée, cela a des répercussions sur la façon dont on communique nos informations. »

La modératrice de la conférence a fait remarquer que les États-Unis ont été très actifs dans les derniers mois en divulguant des informations obtenues par leurs services de renseignement pour contrer les menaces russes et désamorcer leurs stratégies de propagande.

C’est vrai, a noté M. Pelttari, mais il ne faut jamais que ces divulgations mettent en danger la sécurité nationale, les enquêtes en cours et les partenariats avec les services de renseignement alliés, a-t-il insisté. 

L’information et la divulgation de renseignements, qui sont parmi les armes les plus redoutables dans cette guerre, ont néanmoins permis de préparer les publics aux sanctions et aux gestes des pays occidentaux, même si cela n’a pas permis de faire reculer la Russie à ce stade-ci, dit-il.

Les perceptions et la communication ont changé

Pour Hans Sverre Sjovold, chef du service de renseignement norvégien, la région du Finnmark, où Norvégiens et Russes ont une grande proximité en raison des liens culturels et des échanges tissés au fil des décennies, la guerre et les sanctions entraînent une nouvelle normalité au chapitre de la sécurité et du renseignement.

« La situation dans le nord de la Norvège est particulière. Nous avons une entente pour les déplacements entre la Norvège et la Russie depuis les années 80. Il y a beaucoup d’activités en commun, du commerce, de la pêche, des mariages. La collaboration avec la Russie a été très grande depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais tout ça vient de changer avec l’invasion de l’Ukraine. Cela influe sur les attitudes dans le Nord », dit-il.

« Vous voulez avoir une bonne relation avec votre voisin, atteindre une sorte d’équilibre. Mais quand votre voisin commence à se comporter de manière complètement différente par rapport aux attentes, ça vient changer la donne en matière de communications. »

Pour M. Sjovold, un des plus grands défis à l’heure actuelle et pour les années à venir est de mieux définir le cadre légal et réglementaire entourant le travail des services de renseignement pour surveiller les acteurs et États étrangers qui agissent en sol norvégien.

« Si des acteurs viennent de l’étranger, commettent leurs méfaits, et repartent sans jamais revenir, nous ne pourrons jamais les poursuivre. C’est une façon bien connue de troubler l’équilibre dans une société. C’est ce qui se passe avec les cyberattaques. On peut dire que de telles activités hostiles sont menées en sol chinois. Mais, en fin de compte, on ne peut rien y faire », ajoute-t-il.

« J’ai besoin d’un cadre légal pour effectuer mon travail [de renseignement]. Mais, bien sûr, il faut prendre en compte les conséquences sur la vie privée », dit-il. Ce qui est ultimement une question politique, selon lui.

Les trois chefs ont rappelé l’importance de renforcer la collaboration entre tous les services de renseignement européens, et particulièrement avec les pays baltes qui sont eux aussi situés à proximité du territoire russe et sont d’ex-républiques soviétiques dont l’adhésion à l’OTAN n’a jamais plu à Moscou.

Ils ont aussi mentionné qu’il fallait garder un oeil sur d’autres menaces comme le terrorisme international, les attaques cybernétiques et les mouvements violents d’extrême droite, qui doivent rester prioritaires dans le milieu du renseignement, même avec la guerre en Ukraine.

Mme von Essen a souligné l’importance de préserver la confiance du public envers les services de renseignement en faisant preuve de transparence, dans les limites possibles. Les trois chefs ont aussi parlé de l’équilibre à atteindre entre protection de la vie privée des citoyens et besoins de renseignements pour la sécurité nationale, ce qui est un défi constant. 

Les services de renseignement doivent communiquer et collaborer de façon étroite avec les élus, particulièrement dans l’environnement incertain où nous plongent les menaces actuelles, ont-ils conclu.

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