Des glaciers de l’Arctique peuvent glisser rapidement vers l’océan en raison du réchauffement, montre une étude
Un nouveau modèle montre que l’eau de fonte qui s’infiltre sous les glaciers les met en danger d’effondrement soudain dans la mer, un phénomène peu étudié jusqu’ici, qui toucherait les plus épais et les plus rapides d’entre eux.
Whyjay Zheng, un scientifique de l’Université de Californie à Berkeley, a développé un modèle mathématique du phénomène et a pu le tester en utilisant les données des deux dernières décennies sur le déplacement de glaciers au Groenland et dans l’archipel du Svalbard, au nord de la Norvège. Les travaux sont publiés dans la revue The Cryosphere.
Le réchauffement climatique accélère la fonte des glaciers partout sur la planète, mais particulièrement dans les zones polaires. On sait que des régions de l’Arctique ont connu en mars des températures de dizaines de degrés Celsius plus élevées que la normale, dans des vagues de chaleur sans précédent. Des températures très élevées ont aussi été enregistrées cette année en Antarctique.
Avec la fonte, des lacs supraglaciaires et des torrents se forment sur certains glaciers. Les eaux peuvent gruger le glacier jusqu’à sa base (par un processus appelé hydrofracturation), ou encore s’infiltrer par des crevasses existantes et s’accumuler au pied du glacier.
L’eau agit alors comme un lubrifiant entre la base du glacier et le socle rocheux et accélère ainsi son glissement vers le littoral. Des pans entiers de glaciers peuvent alors s’effondrer dans la mer et engendrer d’immenses icebergs. Cela, du coup, fait monter le niveau de l’océan.
« Le modèle suggère que les glaciers épais et à écoulement rapide sont plus sensibles à la lubrification que les glaciers minces et lents », affirme dans un communiqué le statisticien Whyjay Zheng.
Jusqu’à maintenant, les glaciologues se concentraient surtout sur la zone de l’interface des glaciers avec l’océan pour déterminer les facteurs qui modifient leur déplacement vers la mer. Mais, selon le chercheur, l’eau qui s’accumule à la base de tout le glacier agit comme un lubrifiant et doit être considérée comme un facteur déterminant sur sa vitesse de déplacement.
« Les données des glaciers du Groenland appuient cette nouvelle découverte, indiquant que ces “monstres” glaciaires, épais et à déplacement rapide, pourraient être plus instables que nous ne le pensions avec l’effet du réchauffement climatique », poursuit-il.
« La lubrification basale [par l’eau de fonte] crée une boucle de rétroaction positive. Les glaciers les plus rapides sont plus susceptibles d’être visés par la lubrification basale, et l’accélération qui s’ensuit les rend encore plus enclins au phénomène de lubrification », explique M. Zheng.
Whyjay Zheng donne l’exemple de la calotte glaciaire Vavilov, sur l’archipel russe de la Terre du Nord. De 2013 à 2019, cette calotte a perdu 11 % de sa masse qui est allée dans l’océan.
Au courant de l’année 2015 seulement, la calotte avait migré de 9 km, créant une véritable « rivière de glace » très probablement en raison de l’accumulation d’eau à sa base, selon le chercheur.
« C’était la première fois que nous voyions un effondrement aussi gigantesque d’une calotte glaciaire. Une fois qu’elle a commencé à accélérer, elle a maintenu sa vitesse pendant longtemps », dit le scientifique.
« L’une des raisons les plus probables est que beaucoup de crevasses se sont créées à la surface, et ces crevasses sont des canalisations permettant à l’eau de fonte de surface de descendre au fond du glacier. L’eau ensuite réduit la friction, de sorte que le glacier peut continuer à glisser rapidement, et encore plus rapidement si le climat se réchauffe davantage », ajoute-t-il.
Selon lui, les glaciers épais et à déplacement rapide en Arctique et en Antarctique devraient être surveillés de très près, afin d’anticiper les rejets de grands icebergs dans l’océan qui pourraient avoir un impact sur le niveau de la mer. De meilleures méthodes pour mesurer le phénomène de lubrification à la base des glaciers sont également nécessaires, d’après le chercheur.