Une route maritime affranchie de la Russie pourrait s’ouvrir dans l’Arctique
Avec le recul de la banquise, des chercheurs en science environnementale et en droit international estiment qu’au milieu de ce siècle, une route maritime sera praticable dans l’Arctique sans être contrôlée par Moscou, car elle passera par les eaux internationales.
C’est le scénario avancé dans une recherche qui vient de paraître dans la revue PNAS.
Moscou table beaucoup sur le développement de la route maritime du Nord, une voie commerciale qui permet de relier l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en longeant la côte nord de la Russie.
Cette route, de plus en plus praticable par des bateaux de classe polaire, permet de réduire de plusieurs jours le trajet des navires commerciaux qui voyagent entre l’Europe et l’Asie et qui empruntent normalement les voies maritimes du Sud, par le détroit de Malacca et le canal de Suez.
Or, d’ici le milieu du siècle – quelque part entre les années 2035 et 2065, selon les différents scénarios climatiques utilisés par les chercheurs – une route maritime encore plus au nord s’ouvrira pendant au moins un mois par année.
Cette route sera située dans les eaux internationales et pourrait échapper à la Russie, qui entend maintenir et même accroître sa mainmise sur les ressources et les transports dans l’Arctique.
Un article de droit international auquel s’attache Moscou
La Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 prévoit, à l’article 234, que les États côtiers de l’Arctique disposent d’un contrôle accru sur les principales routes commerciales de l’Arctique.
Il y est écrit qu’afin de « prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin par les navires », les pays dont les côtes sont proches des routes maritimes de l’Arctique ont le pouvoir de réguler le trafic maritime, tant que la zone reste recouverte de glace pendant la majeure partie de l’année.
La Russie évoque cet article pour obliger, par ses lois, à ce que les navires qui passent par la route maritime du Nord soient pilotés par des Russes et pour imposer des péages, une réglementation et de la paperasse aux transporteurs.
Toutefois, si les eaux se libèrent de glace, la Russie ne pourra plus évoquer l’article de la Convention sur le droit de la mer, estiment les chercheurs.
Les Russes vont tenter de s’accrocher de toute leur force à cet article, reconnaît Charles Norchi, coauteur de l’étude et professeur de droit à l’Université du Maine, dans un communiqué. « Mais ils seront contestés par la communauté internationale, car l’article 234 cessera de s’appliquer s’il n’y a pas de zone couverte de glace pendant la majeure partie de l’année », poursuit-il.
Un enjeu pour la planète
Les chercheurs s’alarment devant le réchauffement climatique qui s’accélère. Cela entraîne la perte de biodiversité dans l’Arctique et multiplie les dangers pour les communautés de la région.
Ils notent toutefois qu’une voie commerciale passant par l’Arctique permettrait d’économiser du temps et contribuerait à réduire les émissions de GES des transports.
Il faut tenir compte, sur le plan environnemental, des risques accrus de catastrophes comme les déversements d’hydrocarbures dans la région Arctique, advenant une hausse du transit.
« Il n’y a pas de scénario dans lequel la fonte des glaces dans l’Arctique est une bonne nouvelle », affirme Amanda Lynch, la chercheuse principale et professeure de science de l’environnement à l’Université Brown.
« Mais la triste réalité est que la glace recule déjà, que ces routes s’ouvrent et que nous devons commencer à réfléchir de manière critique aux implications juridiques, environnementales et géopolitiques », ajoute-t-elle.
Des études ont déjà montré que les routes arctiques sont de 30 à 50 % plus courtes que les routes du canal de Suez et du canal de Panama, mentionne-t-elle, avec un temps de transit réduit d’environ 14 à 20 jours. Cela signifie que si les eaux internationales de l’Arctique se réchauffaient suffisamment pour ouvrir de nouvelles voies, les compagnies maritimes pourraient réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’environ 24 % tout en économisant de l’argent et du temps, selon la chercheuse.
Rappelons que les sept États occidentaux circumpolaires ont mis fin à leur participation aux travaux du Conseil de l’Arctique pour protester contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, estimant qu’elle portait atteinte à de nombreux principes fondateurs du forum, dont la souveraineté et l’intégrité territoriale fondées sur le droit international.
La Russie compte néanmoins sur le développement de l’Arctique et sur ses routes maritimes pour, notamment, acheminer ses hydrocarbures vers les marchés asiatiques et contrer ainsi les sanctions occidentales.