Mieux accompagner les femmes cries et inuit qui accouchent à Montréal
Le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) accueille déjà des centaines de mères de communautés cries et inuit du Nord-du-Québec qui vivent des grossesses à risque chaque année. Malgré l’expérience acquise au fil du temps, la visite de ces patientes était rarement agréable pour elles. Aperçu d’un projet de sécurisation culturelle pour les mères en devenir.
Bon an mal an, environ 315 femmes autochtones des communautés les plus au nord de la province doivent être évacuées vers Montréal pour être suivies dans leur grossesse et pour accoucher.
C’était « le pire cauchemar » de Paasa Lemire, une femme inuk originaire de Kuujjuaq qui a donné naissance à son premier enfant l’an dernier dans la métropole.
« C’était extrêmement difficile de venir à Montréal pour mon accouchement », relate la jeune mère de 24 ans en soulignant les délais auxquels elle s’est butée. « J’essaie de ne pas trop me plaindre, je comprends que tout le monde a beaucoup de travail, mais c’était énormément de stress pour moi d’être si loin de ma famille et de ma communauté. »
L’accouchement lui-même s’est bien déroulé. Le fils de Mme Lemire, Declan, a maintenant 10 mois et est en pleine santé. L’histoire de Paasa Lemire avec le CUSM ne s’arrête pas là, cependant, car elle est l’une des patientes partenaires du projet de sécurisation culturelle pour les mères en devenir qui sera déployé au centre hospitalier.
La question à 50 000 $
Grâce à ce nouveau rôle, Mme Lemire ajoute sa voix à celles de nombreuses autres familles inuit et cries consultées par l’établissement afin de revoir ses façons de faire pour accueillir et traiter les mères évacuées vers le sud en raison d’une grossesse trop à risque.
Considérant que le CUSM s’occupe de mères évacuées de communautés autochtones éloignées depuis bien des années, pourquoi ne pas avoir lancé un projet du genre plus tôt?
« C’est une question à laquelle je réfléchis depuis longtemps », dit Hilah Silver, l’une des infirmières cliniciennes du CUSM qui porte le projet et qui a beaucoup d’expérience auprès des patients inuit. La question est d’autant plus intéressante que « les mesures les plus importantes sont celles qui coûtent le moins cher à implanter », indique-t-elle.
L’ensemble des mesures qui seront déployées durant la prochaine année seront financées par un don de 50 000 $ de la Fondation du CUSM.
C’est la mort de Joyce Echaquan et l’élaboration du Principe nommé en son honneur – qui vise à garantir aux Autochtones un accès équitable et sans discrimination aux services de santé – qui ont été les éléments déclencheurs des démarches pour la concrétisation du projet.
« Je me sentais impuissante avant comme infirmière auprès des patientes », note Mischa Corman-François, la partenaire de Mme Silver dans cette aventure.
Un projet, quatre facettes
« On leur offre des traitements physiques, mais on ne pouvait pas faire grand-chose au plan émotionnel et culturel, deux aspects très peu présents ici », renchérit Mme Corman-François, qui a notamment travaillé à Chisasibi.
Malgré le monde de différences qui sépare les cultures crie et inuk, certains points communs majeurs se sont dégagés, à commencer par l’aspect communautaire de la naissance. Seules deux personnes peuvent accompagner une femme lors de l’accouchement. Mmes Silver et Corman-François espèrent faire passer le nombre d’accompagnateurs à trois ou quatre personnes par l’entremise d’un projet pilote.
La mission Santé des femmes du CUSM mettra aussi à la disposition des voyageurs de l’équipement pour entreposer et préparer des aliments traditionnels afin de rendre le séjour dans le sud plus agréable. Il y aura aussi une panoplie de mesures mises en place dans la salle d’accouchement – présence d’art autochtone ou d’aînés, meilleur accès à des paquets de naissances traditionnels et au placenta pour des cérémonies – pour les mères en devenir et leurs proches.
L’hôpital ne réaménagera pas des pièces entières pour ce projet. Le personnel apportera les objets nécessaires dans les chambres où seront alitées les patientes.
La formation et la sensibilisation du personnel hospitalier seront aussi au cœur du projet. « Des sages-femmes expérimentées de la maison de naissance d’Inukjuak vont venir offrir de la formation pratique au personnel ici et le soutenir au moment de l’accouchement, pour l’allaitement, etc. », indique par exemple Hilah Silver.
On compte aussi enseigner quelques mots de base au personnel soignant. « [Les patientes] sont presque toutes à l’aise en anglais, mais c’est vraiment important d’établir de la confiance avec une patiente en parlant quelques mots qui lui sont familiers », estime Mme Corman-François.
Le projet augure bien, justement parce que les autres travailleurs et travailleuses du service semblent déjà fortement s’y intéresser, soulignent les deux infirmières qui portent le projet. « Le personnel fait les politiques, dans une large mesure […] Ce sont les bonnes personnes qui sont ici au bon moment pour instaurer ce changement », croit Mme Silver.
Rapatrier les services
Cette initiative de sécurisation culturelle marque un progrès important au CUSM, mais il reste encore bien du travail à faire, selon Mme Silver. Le projet actuel n’englobe que 4 des 17 recommandations formulées par les communautés inuit.
Meilleurs services d’interprétation et de navigation une fois à Montréal, amélioration des services d’hébergement et possibilité pour les sages-femmes autochtones de participer à l’accouchement à l’hôpital sont quelques-unes des autres pratiques que les patientes et leurs proches ont formulées.
Le but ultime serait, idéalement, qu’on n’ait pas besoin d’un service de sécurisation culturelle et que tous les accouchements puissent se faire dans les communautés.
« Être malade ou enceinte vous met déjà dans une position vulnérable. Les gens veulent être où ils se sentent le plus en sécurité. Et cet endroit, c’est à la maison », fait valoir Hilah Silver. « Et ça favorise le bon déroulement de l’accouchement aussi », ajoute Mischa Corman-François. « Plus on se sent en sécurité, plus la naissance sera naturelle au lieu de nécessiter une intervention. »
Entre-temps, Paasa Lemire continuera d’aiguiller le centre hospitalier dans ses décisions pour l’accompagnement des patientes autochtones. « Je suis très heureuse que le CUSM ait reconnu qu’il devait faire mieux pour les femmes autochtones et leur famille, car pour nous, c’est très différent. »