Décès de femmes inuit à Montréal, un « symbole du mal-être dans le Nord »
Deux jeunes mères de famille inuit ont été happées mortellement en pleine nuit, sur des autoroutes à Montréal, la semaine dernière. La gestion du centre Ullivik, où elles séjournaient durant leur période de soins, est montrée du doigt par certains. Mais pour d’autres, c’est plutôt la question de la santé globale des Autochtones qui doit être abordée de front.
Originaire de Puvirnituq, Mary-Jane Tulugak, 22 ans, est morte après avoir été percutée sur l’autoroute 520 à environ 200 mètres de la bretelle de sortie menant au centre Ullivik, dans le secteur de l’aéroport Trudeau.
Quant à Nellie Niviaxie, originaire d’Umiujaq, elle est morte à l’âge de 26 ans dans des conditions similaires, à la jonction de l’autoroute 20 et de la 55e avenue, dans la nuit de vendredi à samedi.
Du côté du centre Ullivik, on se fait rassurant. « Ce sont des événements malheureux qui sont arrivés dans un temps très rapproché, mais ça reste des événements très isolés et singuliers », a déclaré en entrevue à RDI Hanen Ghozzi, directrice par intérim.
Il compte 91 chambres capables d’accueillir des patients et leurs accompagnants pour la durée de leurs traitements dans les hôpitaux de la région. Des hôtels du secteur sont aussi mis à contribution. « C’est une zone industrielle plus calme que le centre-ville », où était situé le centre jusqu’en 2016, a ajouté Mme Ghozzi.
Que faisaient ces deux jeunes femmes sur des autoroutes, au milieu de la nuit, et où se rendaient-elles? La Sûreté du Québec ne peut donner plus de détails, car les enquêtes sont en cours.
Gérer les personnes intoxiquées
Plusieurs personnes avec qui Espaces autochtones s’est entretenu sur place ont toutes évoqué un problème de gestion des personnes intoxiquées au centre Ullivik et déplorent la façon dont elles sont parfois traitées.
Dans ce secteur isolé, proche de l’aéroport, une taverne et un restaurant prisés par certains Inuit sont situés à environ 1 kilomètre du centre. Mais s’y rendre n’est pas chose aisée et les chances de se perdre dans le spaghetti autoroutier du rond-point Dorval sont grandes, en particulier la nuit. En outre, certains travaux peuvent rendre les quelques trottoirs impraticables.
Interpellé sur les questions de sécurité, le centre Ullivik répond que son établissement dispose d’un service de sécurité et d’intervenants disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et que des rencontres périodiques sont faites avec le Service de police de la Ville de Montréal.
L’instauration d’un couvre-feu et l’attitude du centre face aux personnes intoxiquées ne font toutefois pas l’unanimité. « L’alcoolisme est une maladie qui devrait être traitée comme telle, plutôt que de laisser les gens dehors », affirme un observateur du dossier qui préfère garder l’anonymat.
Une pétition dénonçant la qualité de la nourriture, l’hygiène des lieux, des vols dans les chambres et le manque de personnel infirmier la fin de semaine a aussi reçu près de 800 signatures en huit mois. « Le gouvernement doit s’impliquer dans ce dossier, il y a des problèmes importants là-bas », mentionne une autre source.
Au-delà du fait divers
En 2017, un accident similaire avait déjà eu lieu, rapportait le quotidien La Presse. Faute de pouvoir réintégrer sa chambre parce qu’elle était en état d’ébriété, une Inuk de 36 ans s’était endormie dans le stationnement d’une entreprise située à quelques centaines de mètres du centre et avait par la suite été écrasée par un camion.
Selon la dernière enquête sur la santé publique du Nunavik, le nombre de personnes qui consomment de l’alcool de façon excessive (« binge drinking ») au moins une fois par semaine est passé de 18 % en 2004 à 29 % en 2017. En outre, 34 % des consommateurs d’alcool ont confié avoir déjà commencé la journée en buvant, durant la dernière année.
L’alcoolisme n’est pas facile à gérer, convient Émilie Fortier, directrice des services d’urgence et de réaffiliation à la Mission Old Brewery. Son organisme, qui vient en aide aux sans-abri, a développé un programme de gestion de l’alcool où des verres de boisson sont offerts de façon régulière et contrôlée aux sans-abri.
Cela permet d’éviter les abus de consommation, les symptômes de sevrage. Et comme les bénéficiaires restent à l’intérieur, les risques de blessures ou de surconsommation sont minimisés, résume-t-elle. Elle souligne aussi l’importance de la formation des intervenants qui doivent être en nombre suffisant, « car c’est très exigeant pour les équipes », mentionne-t-elle.
Pour le Dr Stanley Vollant, il est temps que les paliers de gouvernement au Nunavik comme au Sud s’assoient ensemble pour trouver des solutions « au mal-être dans le Nord ». Il rappelle d’ailleurs que le taux de suicide dans le Nord est de 15 à 20 fois plus important que dans la population canadienne.
« Souvent les gens pointent le centre Ullivik, mais ils ne peuvent pas tout faire non plus », ajoute-t-il en entrevue à l’émission Le 15-18. Il mentionne toutefois être au courant que le centre fait actuellement face à « des problématiques de main-d’œuvre très importantes ».
Pour ce qui est du SPVM, il n’a pas relevé, au cours des derniers mois, de situations particulières dans le secteur du centre Ullivik. « Ceci dit, les incidents dramatiques de la fin de semaine nous interpellent », dit Caroline Labelle, porte-parole du service de police.
Un texte de Mathias Marchal, Espaces autochtones