« Notre langue est toujours là » : revitaliser les langues autochtones dans le Nord
Des chambres législatives aux salles de classe, en passant par la radio et la télévision, les langues autochtones sont parlées et entendues chaque jour dans le Nord grâce à des aînés, des enseignants, des traducteurs et des diffuseurs dévoués.
Jeela Palluq-Cloutier, qui a longtemps travaillé comme enseignante et traductrice d’inuktitut au Nunavut, dit avoir appris la langue de ses parents unilingues pendant son enfance à Igloolik.
« Mon père est décédé maintenant, mais quand je traduisais, je l’avais toujours dans mon esprit en pensant : il doit être capable de comprendre ça », raconte-t-elle.
Mme Palluq-Cloutier a participé aux efforts visant à rendre l’inuktitut et l’inuinnaqtun disponibles sur Microsoft Translator et a traduit plus de 11 000 mots en inuktitut pour Facebook.
Bien que les pensionnats et la colonisation aient privé certains Inuit de leurs langues, Mme Palluq-Cloutier affirme que ces langues sont encore florissantes.
« Nous avons plus de 90 à 95 % de locuteurs dans certaines communautés. C’est quelque chose dont je suis très fière, que notre langue soit toujours là, compte tenu du fait que notre gouvernement a essayé de l’effacer », a-t-elle dit.
Selon le recensement 2021 de Statistique Canada, plus de 21 000 personnes parlent l’inuktitut, la langue officielle du Nunavut avec l’inuinnaqtun.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, le tłı̨chǫ est la langue maternelle autochtone la plus répandue, avec 1700 locuteurs.
Georgina Frankie, qui enseigne le tłı̨chǫ au Collège nordique de Yellowknife, a appris la langue quand elle était jeune, auprès de sa grand-mère. Plus tôt cette année, Frankie et la coordonnatrice de l’école de langue, Rosie Benning, ont collaboré à la publication d’un manuel de tłı̨chǫ.
« Tout l’enseignement culturel contenu dans le livre fait partie de l’enseignement de ma grand-mère », a déclaré Mme Frankie, qui vit à Behchokǫ̀, dans les Territoires du Nord-Ouest.
Mme Frankie a continué à apprendre le tłı̨chǫ pendant la décennie où elle a vécu à Toronto et a appris elle-même à le lire et à l’écrire en comparant les versions anglaise et tłı̨chǫ de la Bible.
Selon Mme Benning, Frankie est une source d’inspiration, car elle a pu approfondir son tłı̨chǫ alors qu’elle vivait loin de chez elle, dans la plus grande ville du Canada.
« Elle est la preuve vivante qu’on peut avoir un pied dans les deux mondes tout en réussissant et en s’épanouissant, et qu’il n’est pas nécessaire de renier ses racines indigènes pour réussir dans ce monde », dit-elle.
Selon les deux femmes, les cours de langue sont un acte de réconciliation, car ils permettent aux gens de renouer avec leur culture et leur langue.
« Pour beaucoup de gens, c’est une véritable guérison », a déclaré Mme Benning.
Sur les 11 langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, 9 sont autochtones. Les cercles linguistiques et le programme de mentorat et d’apprentissage, qui associe des apprenants à des locuteurs expérimentés, sont d’autres moyens de soutenir les langues autochtones sur le territoire.
Au Yukon, il existe huit langues des Premières Nations, bien qu’aucune ne soit reconnue comme langue officielle dans ce territoire.
Paul Caesar-Jules a appris le kaska de sa grand-mère et l’enseigne maintenant. Il raconte que lorsqu’il a commencé à travailler pour le département linguistique de la Première Nation de Fort Liard, il a numérisé des cassettes d’anciens parlant la langue.
« La première fois que j’ai entendu une histoire triste et que j’ai compris ce qui était dit, je me suis mis à pleurer rien qu’en entendant cet aîné l’expliquer », a-t-il dit. « Ça m’a fait chaud au cœur et je me suis senti vraiment connecté aux histoires dans notre langue, c’est vraiment, vraiment beau. »
Emeral Poppe, qui travaille également au sein du département, explique que le travail de ce dernier comprend l’enregistrement des aînés, la création d’un inventaire des verbes et d’un recueil de phrases, la réalisation de vidéos, la traduction des livres de Robert Munsch et l’organisation de rassemblements tels que des camps de chasseurs axés sur la langue et l’enseignement intergénérationnel.
Mme Poppe raconte qu’elle a entendu des mots kaska en grandissant et qu’elle s’est passionnée pour cette langue à l’adolescence, après s’être informée sur les questions autochtones. Certains membres de sa famille ont été empêchés de parler leur langue dans les pensionnats.
« Cela m’a mise en colère, cela m’a bouleversée. Je voulais donc utiliser cette colère pour la transformer en passion, la rendre productive et essayer de faire quelque chose pour ma communauté », explique-t-elle. « C’est agréable de pouvoir canaliser cette énergie vers quelque chose de vraiment, vraiment important. »
Sans la langue, l’identité est perdue
Selon Mme Poppe, préserver la langue et la transmettre aux générations futures permet de relier les gens à leur famille et à leur culture. Elle a déclaré qu’il a été particulièrement significatif de voir sa mère se réapproprier sa langue.
« La façon dont vous parlez du monde façonne la façon dont vous voyez le monde », a-t-elle dit. « Nous vivons ici depuis très longtemps et nous avons donc acquis de nombreuses connaissances sur la terre et la vie par ici. »
Le gouvernement fédéral a annoncé à la fin du mois dernier qu’il dépensait 39,4 millions de dollars pour soutenir les langues autochtones dans les territoires. Il a dit avoir dépensé un total de 77,2 millions de dollars pour soutenir les langues autochtones dans le Nord depuis 2019.
À Ndilǫ, dans les Territoires du Nord-Ouest, le chef de la Première Nation des Dénés Yellowknives, Fred Sangris, a déclaré que le financement est un pas vers la réconciliation et permettra à sa communauté d’offrir des cours, des camps et des ressources en langue wiiliideh.
« Nous nous accrochons à notre langue sur le fil du rasoir. Sans la langue, l’identité est perdue. Sans la langue, la communication entre l’ancienne et la jeune communauté ne pourrait pas avoir lieu », a-t-il déclaré.
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