Dans le Grand Nord canadien, des centaines de kilomètres pour trouver le caribou migrateur
Alors que la chasse au caribou migrateur bat son plein chez les Inuit du Nunavik, beaucoup de personnes se questionnent sur la vitalité de l’espèce. Les chasseurs doivent en effet parfois parcourir des centaines de kilomètres pour en trouver.
Cette distance importante, qu’ont remarquée les chasseurs de Kuujjuaq, augmente la complexité et le coût des expéditions de chasse. Elles deviennent donc de moins en moins accessibles.
« Ce qui est la norme, c’est que, quand on devient un homme, on doit pouvoir fournir la nourriture à sa famille. En ce moment, le savoir traditionnel ne se transmet pas, parce qu’on n’est pas en train de dépecer un caribou », explique Adamie Alaku, vice-président de la corporation Makivvik et responsable de la gestion de la faune sur son territoire ancestral.
Selon Adamie Alaku, la difficulté d’atteindre le caribou, surtout à partir de Kuujjuaq, s’explique par le morcellement du troupeau de la rivière aux Feuilles. Il s’agit du principal troupeau encore visé pour la chasse de subsistance. Il serait composé d’environ 180 000 individus.
Le troupeau a toutefois connu un déclin important depuis le début des années 2000. Il était composé alors de plus de 600 000 caribous.
Le groupe a réduit son aire de répartition et se concentre désormais plus à l’ouest de la péninsule du Nunavik.
« Plusieurs villages vont donc voir moins de caribous passer. Je pense, entre autres, à Kuujjuaq […] Ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, mais il y en a moins qu’avant », indique le chercheur et professeur titulaire en biologie à l’Université Laval Steeve Côté.
Il est difficile pour les chercheurs de déterminer une cause précise pour expliquer ce déclin. La diminution de l’habitat et de la nourriture du caribou, ainsi que la forte pression de la chasse sportive et de la prédation pourraient être en cause.
« Même si l’on observe une certaine stabilité, on le considère encore [comme étant] en déclin, mais un déclin très lent », ajoute-t-il.
La chasse sportive a été fermée en 2018, mais la chasse de subsistance est toujours pratiquée. Selon les chercheurs, il est peu probable qu’elle ait un effet important sur la vitalité de l’espèce.
Il s’agit toutefois d’estimations parce que les données sont insuffisantes pour bien comprendre ses effets. Les résultats de la chasse dans les communautés inuit ne sont pas systématiquement transmis aux chercheurs.
« Plusieurs craignent d’avoir des restrictions. C’est difficile de faire comprendre que c’est pour nos connaissances et savoir combien on consomme de caribous dans l’année », souligne Adamie Alaku.
Le morcellement du troupeau de la rivière aux Feuilles a par ailleurs empêché le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) de réaliser des inventaires aériens du troupeau depuis 2016. Lorsque les caribous ne sont pas rassemblés, l’inventaire aérien n’est pas représentatif de la réalité, selon ce dernier.
Québec fait plutôt un suivi télémétrique satellitaire avec environ 140 colliers émetteurs. Cela permet quand même d’évaluer la taille du troupeau.
Rivière George
Le troupeau de la rivière George, plus à l’est, connaît un sort beaucoup plus tragique. Il était composé d’environ 800 000 caribous en 1993. Ce nombre n’est plus aujourd’hui que d’environ 7000. Ce troupeau a une grande fragilité, et rien n’indique qu’il pourrait croître à court terme.
« La seule bonne nouvelle pour la rivière George, c’est qu’on remarque une amélioration de son habitat récemment. Ça veut dire que, lorsque le caribou va augmenter en nombre, il y aura un habitat pour le supporter. Tant qu’il n’est pas affecté par les changements climatiques et le développement de l’humain dans le nord », note Steeve Côté.
Pour la corporation Makivvik, le déclin du troupeau de la rivière George est un signal d’alarme puisqu’il montre l’importance d’être proactif dans la protection du caribou migrateur. C’est notamment ce qui a incité cette dernière à fermer la chasse sportive en 2018 et à restreindre l’achat de viande communautaire aux chasseurs lors de la période de mise bas, entre avril et juin.
Adamie Alaku estime que la collaboration entre les chercheurs et les communautés inuit est primordiale pour préserver l’espèce. « Nos chasseurs vont profondément [sur le] territoire à longueur d’année et ils peuvent contribuer au savoir. Il faut travailler en collaboration et pas en silos si l’on veut mieux comprendre l’avenir de l’espèce. »
Même s’il n’est pas opposé à l’augmentation des mesures de protection, Adamie Alaku estime que la pratique de la chasse traditionnelle doit être assurée, afin de préserver ce qu’il considère comme un mode de vie.
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