Dans le Grand Nord canadien, un hangar d’aviation stratégique suscite l’intérêt d’acheteurs russes et chinois

Un hangar d’aviation à Inuvik, aux Territoires du Nord-Ouest, a été mis en vente par son propriétaire, car Ottawa ne souhaitait pas le racheter après l’avoir loué pendant 16 ans. Mais cette vente a suscité beaucoup d’intérêt de la part d’acheteurs chinois et russes, forçant les États-Unis à mettre de la pression sur Ottawa pour que le Canada en prenne possession.
Le hangar, adjacent aux installations stratégiques du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) à l’aéroport d’Inuvik, a été loué pour entreposer les ravitailleurs tactiques Hercules C-130 de la Défense nationale.
En mettant fin brusquement au contrat en 2021, Ottawa a forcé son propriétaire, International Logistical Support (ILS), à le mettre sur le marché. « Je ne pouvais pas juste attendre, ces bâtiments coûtent cher d’entretien », dit son président, Les Klapatiuk.
Or, dès sa mise en vente en février 2022, pour la somme de 19,5 millions de dollars, des acheteurs potentiels se sont rapidement manifestés de Chine et de Russie.

Cet intérêt de la part de la Chine et de la Russie soulève beaucoup de questions de sécurité nationale.
Avec plus de 2000 mètres carrés de superficie, ce hangar, surnommé le « hangar vert », est la seule infrastructure de ce genre dans l’Arctique de l’Ouest, selon Les Klapatiuk, qui a témoigné devant le Comité permanent de la défense nationale en novembre 2022.
« Inuvik est un lieu stratégique de défense. Et la question que tout le monde se pose est pourquoi la Défense nationale se débarrasse-t-elle d’un atout stratégique? » dit Les Klapatiuk.
Pression des États-Unis
Le site de la mise en vente n’est pas resté longtemps en ligne.
« On m’a dit que des enquêtes sur la sécurité seraient effectuées sur quiconque voudrait l’acheter », affirme Les Klapatiuk. « J’en ai donc conclu que pour le gouvernement canadien, le [hangar] était critique pour la défense nord-américaine, alors j’ai immédiatement fermé le site. »
Le directeur général de la politique de défense continentale au ministère de la Défense nationale, Jonathan Quinn, a mentionné devant la Chambre des communes en novembre que « si une entreprise étrangère achète le hangar de l’ILS, cela devrait entraîner un avis d’investissement en vertu de la Loi sur Investissement Canada. »
« À ce jour, aucun avis n’a été reçu, mais des mesures rigoureuses sont en place pour s’assurer que l’installation ne tombe pas entre de mauvaises mains », a-t-il dit.
Pourtant, lors de son témoignage devant le Comité permanent de la défense nationale, Les Klapatiuk a décrié ce qui semble être un manque d’intérêt flagrant de la part d’Ottawa à racheter le bâtiment. « L’abandon du hangar par le Canada est une perte d’infrastructure qui a une incidence sur le NORAD et sur notre défense. »

Selon M. Klapatiuk, c’est une visite des représentants américains du NORAD à Inuvik qui a mis de la pression sur Ottawa afin de reconsidérer l’achat du hangar.
Selon un article publié par le Globe and Mail, Services publics et Approvisionnement Canada a communiqué avec Les Klapatiuk à la fin mars pour indiquer son intention de faire évaluer le bâtiment. Le propriétaire du hangar a confirmé à Radio-Canada qu’une évaluation est prévue le 10 avril.
Par courriel, le ministère de la Défense nationale n’a pas confirmé son intention d’acheter le hangar, mais en étudie la possibilité. « Nous évaluons que le hangar est une installation utile, mais pas essentielle pour les opérations militaires. Par conséquent, nous continuons à explorer son potentiel », indique le ministère.
Le Canada devrait tenir parole
Cette hésitation à acquérir cette infrastructure est incompréhensible pour le professeur adjoint en sciences politiques de l’Université de Calgary Rob Huebert. Il rappelle qu’Ottawa a promis un investissement de 38,6 milliards de dollars sur 20 ans pour moderniser les installations du NORAD au pays.

« Nous devons faire un meilleur travail de surveillance […] Et pour ce faire, nous devons disposer de l’infrastructure existante, car nous n’allons pas tout construire à partir de zéro, nous devons avoir cette capacité », ajoute-t-il.
Pour ce spécialiste de la sécurité en Arctique, la vraie question est de savoir pourquoi Ottawa a même permis la vente de ce hangar en premier lieu.
« On dirait que c’est seulement sous la pression des États-Unis que ce gouvernement a finalement décidé qu’il devait s’assurer que la Chine n’établit pas de base où nous utiliserons certains de nos systèmes d’armement les plus avancés », conclut-il.
Avec les informations de Meagan Brackenbury
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