Il y a 125 ans, une avalanche mortelle déferlait sur la piste Chilkoot dans le Grand Nord canadien

Il est aussi difficile de savoir combien de personnes ont pu être sauvées de l’avalanche que de connaître le nombre exact de victimes. (Archives du Yukon)
Le matin du 3 avril 1898, une série d’avalanches dévale le col sinueux de la piste Chilkoot, au pied des mythiques « escaliers dorés », emportant dans son sillage plus d’une soixantaine de personnes. L’événement est médiatisé partout en Amérique du Nord et vient jeter une douche froide sur la ruée vers l’or.

« Les avalanches sont assez communes sur la piste. Mais cet hiver-là, des milliers de personnes se trouvaient sur la piste au moment de l’avalanche, parce que c’était l’apogée de la ruée vers l’or du Klondike », explique l’historienne pour Parcs Canada et spécialiste de la piste Chilkoot, Karen Routledge.

Selon elle, au moins 200 personnes se trouvaient sur ce tronçon de la piste, appelé la Scale, juste au nord de Sheep Camp. C’est vers ce camp, installé dans les bois, que les chercheurs d’or ont tenté de se réfugier lorsque la neige s’est mise à tomber abondamment et que de plus petites avalanches se sont déclenchées.

La forte neige avait rendu les conditions particulièrement dangereuses sur la piste Chilkoot ce printemps-là. (Archives du Yukon)

« Ce sont les employés du tramway qui ont été les premiers à décider d’évacuer », souligne l’historienne.

Comme la visibilité était presque nulle, les voyageurs ont eu recours à une très longue corde afin de guider les chercheurs d’or. Malheureusement, une première avalanche a enseveli tous les travailleurs du tramway. Une seconde avalanche, plus importante encore, a ensuite déferlé sur le devant de la ligne.

Karen Routledge est historienne auprès de Parcs Canada et se spécialise sur l’histoire de la piste Chilkoot. (Sarah Xenos/Radio-Canada)

« Tous les gens à l’avant de la corde étaient ensevelis et les gens à l’arrière ont commencé tout de suite à essayer de dégager leurs compagnons. Plusieurs ont été extraits vivants », ajoute Karen Routledge.

Pendant plusieurs jours, des groupes de chercheurs d’or ont abandonné leur ascension afin de venir prêter main forte et tenter de retrouver les corps ensevelis sous la neige. Des équipes ramenaient ensuite les victimes vers Dyea.

Histoire

Selon certains récits rapportés dans les journaux de l’époque, le bandit notoire Soapy Smith aurait installé une morgue temporaire sur la piste, peu après l’avalanche du 3 avril, d’où il pouvait, avec sa bande, dépouiller les morts de leurs objets de valeur.

Karl Gurcke est un historien à la retraite ayant longtemps travaillé sur le côté américain de la piste Chilkoot.

Cette section de la piste prend sa source dans la ville maintenant fantôme de Dyea, en Alaska, et serpente, entre les montagnes, jusqu’au lac Bennett, dans le nord de la Colombie-Britannique près de la frontière avec le Yukon.

La section alaskienne du fameux sentier historique Chilkoot restera fermée pour une partie de la saison en raison des dommages causés par les inondations de l’automne. (Sarah Xenos/Radio-Canada)

Selon lui, même si les chercheurs d’or avaient une certaine conscience des dangers que pouvait comporter le voyage jusqu’au Klondike, cette avalanche, particulièrement médiatisée dans les journaux nord-américains, a eu un impact sur la suite de la ruée vers l’or.

« Je pense que beaucoup de gens qui avaient en tête de venir sur la piste ont décidé de ne pas le faire ou de passer par un autre chemin comme la White Pass », explique-t-il.

Des connaissances traditionnelles ignorées

L’utilisation de la piste Chilkoot est loin de dater de la ruée vers l’or, rappelle le responsable des activités sur le terrain dans la Première Nation de Carcross-Tagish, Danny Cresswell. Pendant des siècles, le sentier était utilisé notamment par la Première Nation Tlingit pour y faire du commerce avec les communautés à l’intérieur des terres.

Tout de suite après l’avalanche, les voyageurs ont cessé leur ascension pour porter secours aux victimes. (Ernest F. Keir/archives/Parcs Canada)

Il souligne que son arrière-grand-père devait avoir 18 ans au moment de la ruée vers l’or et, comme beaucoup d’autres Autochtones de la région à l’époque, travaillait probablement comme transporteurs pour les voyageurs.

Les Premières Nations locales connaissaient donc très bien le territoire et avaient déjà mis en garde les voyageurs contre l’instabilité de la piste et les conditions dangereuses. Les transporteurs ont d’ailleurs refusé de continuer à y travailler.

« Ils avaient un mot qui voulait justement dire « ce temps de l’année où il faut rester hors de la montagne » », mentionne Danny Cresswell.

La spécialiste des ressources culturelles pour le Conseil traditionnel de Skagway, Sarah Cash, note que les communautés autochtones se sentaient responsables de la sécurité des voyageurs qui traversaient leur territoire.

Dans une lettre adressée au lieutenant de la marine américaine, le chef de la Première Nation Chilkoot, Clanot, écrit avoir « toujours traité les chercheurs d’or gentiment, leur disant qu’ils devraient laisser les Autochtones transporter leurs effets pour éviter qu’ils se blessent sur la piste ». Il y mentionnait aussi : « Si les mineurs me traitent correctement, je les traite comme mes propres enfants. »

La piste Chilkoot s’étend sur 53 kilomètres entre Dyea, en Alaska, et le lac Bennett dans le nord de la Colombie-Britannique. (Sarah Xenos/Radio-Canada)

« Je pense que c’est intéressant de lier ces deux choses, de voir que ,dès le départ, il y avait ce sentiment de responsabilité et cette compréhension qu’ils connaissaient la piste ainsi que ses conditions et qu’ils pouvaient être en mesure d’éviter des tragédies. Mais cela a été ignoré », indique Sarah Cash.

Il peut être difficile toutefois d’expliquer le niveau de danger d’une avalanche à un groupe de chercheurs d’or qui n’en avaient jamais vu et ne pouvaient donc pas en comprendre la force, concède Danny Cresswell. Des centaines d’entre eux, attirés par l’appât du gain, ont donc décidé de poursuivre la route malgré ces avertissements.

Le cimetière de l’avalanche, le dernier vestige

Il est difficile de savoir si des Canadiens se trouvaient parmi les victimes, principalement américaines. Les journaux nord-américains de l’époque ont relayé des listes de noms parfois contradictoires. Il est ainsi impossible de connaître le nombre total de décès.

Une quarantaine de pierres tombales de bois sont disséminées dans le cimetière dédié aux victimes de l’avalanche sur la Chilkoot. (Sarah Xenos/Radio-Canada)

Le cimetière de l’avalanche, situé dans une clairière au pied de la piste Chilkoot, est l’une des dernières traces des événements. Une quarantaine de pierres tombales en bois gisent ça et là, certaines avec les noms illisibles, mais toutes avec la même date : 3 avril 1898.

Ces pierres ne marquent cependant pas toutes l’emplacement d’une sépulture, note Karl Gurcke.

« Les pierres tombales sont éparpillées, y compris celle de John Morgan, mais nous savons que son corps a été renvoyé à Emporia, au Kansas, là où il a été enterré. Alors pourquoi cette pierre tombale? Nous croyons qu’il s’agit d’un mémorial », dit-il.

Puis, quelques semaines après l’avalanche, l’attention du monde s’est tournée vers la guerre entre l’Espagne et les États-Unis qui venaient de se déclarer, explique l’historien, et la ruée vers l’or du Klondike, aussi fulgurante ait été cette période, s’est terminée l’année suivante, laissant sur la piste Chilkoot une série d’objets abandonnés encore visibles de nos jours.

Un texte de Sarah Xenos

Radio-Canada

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