Réserve faunique de l’Arctique en Alaska : des Autochtones divisés par la décision de justice

Une harde de caribous de la Porcupine migre vers la plaine côtière de l’Arctic National Wildlife Refuge, dans le nord-est de l’Alaska. (Madison Makayla Lord/Facebook)
La décision de la cour fédérale de district des États-Unis confirmant la pause de l’administration Biden sur les activités pétrolières et gazières dans une zone du refuge national de la faune arctique (ANWR), en Alaska, a divisé l’opinion. Certains groupes autochtones saluent la décision et d’autres affirment qu’elle aura un impact dévastateur sur leurs moyens de subsistance.

Le Gwich’in Steering Committee, un groupe formé par les Gwich’in de l’Alaska et du Canada en 1988 pour lutter contre le forage dans l’ANWR, estime que la décision était une étape importante pour protéger la harde de caribous de la Porcupine.

« L’Autorité de développement industriel et d’exportation de l’Alaska (AIDEA) a pour objectif de forer sur des terres sacrées pour notre peuple et de promouvoir un programme de location qui menace notre mode de vie », dit dans un communiqué Bernadette Demientieff, directrice générale du comité directeur gwich’in.

« Cette décision est une bonne nouvelle, car nous continuons à défendre la harde de caribous de la Porcupine et notre mode de vie traditionnel contre un programme destructeur, irrespectueux, inutile et illégal. Nous protégerons toujours ces terres sacrées qui relient notre peuple culturellement et spirituellement. Nous protégerons toujours les caribous. »

Photo d’archives de représentants autochtones, dont Bernadette Demientieff du comité directeur gwich’in (à gauche), témoignant devant une sous-commission du Congrès à Washington, la capitale des États-Unis. (CBC)

L’ANWR, qui s’étend sur un territoire de 78 000 kilomètres carrés, est une zone faunique importante pour les espèces nordiques, notamment la harde de caribous de la Porcupine.

Rappelons que la Maison-Blanche a suspendu les concessions de forage en juin 2021 dans l’attente d’un examen environnemental et juridique. L’examen juridique devait porter sur la décision de l’administration précédente, celle de Donald Trump, d’autoriser les baux dans la région.

L’État de l’Alaska et l’AIDEA ont contesté la suspension par l’administration Biden des baux qui avaient été accordés conformément à la loi en janvier 2021, affirmant qu’ils étaient conformes à la loi de 2017 sur les réductions d’impôts et les emplois. Elle permettait un développement énergétique responsable dans l’ANWR.

Un coup dur pour le développement économique?

Cette semaine, des représentants politiques et des organisations inuit de l’Alaska ont exprimé leur déception envers cette décision, affirmant qu’elle entraverait le développement économique de la région.

« La Kaktovik Iñupiat Corporation est déçue de cette décision, car elle retarde encore la concrétisation des avantages économiques pour notre communauté, ce qui est frustrant », affirme Charles Lampe, président de la Kaktovik Iñupiat Corporation.

Il explique que la zone 1002 fait partie des terres ancestrales de Kaktovikmiut et que les Inuit sont à ce titre les « premiers intendants » du territoire, et « non le gouvernement fédéral ou tout autre groupe qui tente de la revendiquer ».

« Nous prenons notre rôle d’intendants au sérieux, car notre terre est notre survie. Elle est sacrée pour nous parce que c’est notre terre natale. C’est là que nos ancêtres sont enterrés, que nos enfants sont nés, que les animaux dont nous dépendons pour survivre existent en abondance, c’est notre subsistance. »

« L’Alaska Native Claims Settlement Act et l’Alaska National Interest Lands Conservation Act promettaient la liberté économique à notre peuple. Nous avons travaillé dur pour ouvrir la zone 1002 à la location de pétrole et de gaz, à la fois au Congrès et tout au long du processus de l’Environmental Impact Statement. Nous pensions que nous étions enfin au bout de 50 ans d’attente pour exercer l’autodétermination économique promise aux Kaktovikmiut, mais au lieu de cela, nous connaissons de nouveaux retards. Nous sommes frustrés et nous en avons assez d’être frustrés. Nous méritons plus de la part du gouvernement fédéral », ajoute-t-il.

Une décision « exaspérante » pour les Iñupiat, selon le maire

De son côté, le maire du North Slope Borough, Harry Brower, indique que les résidents inuit de l’Arctique en Alaska ont besoin d’emplois et de prospérité et qu’il est inacceptable que les Iñupiat continuent d’être mis à l’écart par Washington lorsqu’il s’agit de l’ANWR.

Photo d’archives de la communauté d’Utqiagvik, sur le versant nord de l’Alaska. Cette semaine, les dirigeants inuit ont déclaré que la décision du tribunal fédéral entraverait le développement économique de la région. (Al Grillo/AP/La Presse canadienne)

« Cette décision de justice autorise le type d’abus fédéral qui a ignoré les voix des résidents et paralysé l’esprit des habitants de Kaktovik pendant des années », a déclaré M.Brower.

Le maire souligne d’ailleurs avoir travaillé « main dans la main » avec le Congrès lors de l’élaboration de la législation visant à permettre un développement responsable de l’ANWR.

« Nous l’avons fait parce que c’est nous, les Iñupiat de l’Arctique, et non les bureaucrates de Washington qui vivent à des milliers de kilomètres, qui sommes les plus touchés par les activités pétrolières et gazières dans l’Arctique », assure-t-il. « C’est donc nous qui avons le plus intérêt à veiller à ce que les activités d’exploitation, quelles qu’elles soient, préservent nos terres et nos ressources de subsistance. »

M. Brower se dit « profondément troublés » par la décision de l’Administration Biden, dès le début, de suspendre les activités d’exploitation dans la zone 1002 de la plaine côtière de l’ANWR, sans consulter la communauté, tout en vantant la « consultation » avec les peuples autochtones comme une priorité de cette administration.

« C’est pourquoi la décision de cette cour est si exaspérante pour nous, les gens qui vivent là. Nous devons trouver une meilleure solution. À l’avenir, le gouvernement fédéral devra tenir compte des avis et des opinions des Iñupiat qui vivent dans cette région », dit-il.

Traduction par Ismaël Houdassine, Regard sur l’Arctique

Eilís Quinn, Regard sur l'Arctique

Eilís Quinn est une journaliste primée et responsable du site Regard sur l’Arctique/Eye on the Arctic, une coproduction circumpolaire de Radio Canada International. En plus de nouvelles quotidiennes, Eilís produit des documentaires et des séries multimédias qui lui ont permis de se rendre dans les régions arctiques des huit pays circumpolaires.

Son enquête journalistique «Arctique – Au-delà de la tragédie » sur le meurtre de Robert Adams, un Inuk de 19 ans du Nord du Québec, a remporté la médaille d’argent dans la catégorie “Best Investigative Article or Series” aux Canadian Online Publishing Awards en 2019. Le reportage a aussi reçu une mention honorable pour son excellence dans la couverture de la violence et des traumatismes aux prix Dart 2019 à New York.

Son reportage «Un train pour l’Arctique: Bâtir l'avenir au péril d'une culture?» sur l'impact que pourrait avoir un projet d'infrastructure de plusieurs milliards d'euros sur les communautés autochtones de l'Arctique européen a été finaliste dans la catégorie enquête (médias en ligne) aux prix de l'Association canadienne des journalistes pour l'année 2019.

Son documentaire multimedia «Bridging the Divide» sur le système de santé dans l’Arctique canadien a été finaliste aux prix Webby 2012.

En outre, son travail sur les changements climatiques dans l'Arctique canadien a été présenté à l'émission scientifique «Découverte» de la chaîne française de Radio-Canada, de même qu'au «Téléjournal», l'émission phare de nouvelles de Radio-Canada.

Au cours de sa carrière Eilís a travaillé pour des médias au Canada et aux États-Unis, et comme animatrice pour la série «Best in China» de Discovery/BBC Worldwide.

Twitter : @Arctic_EQ

Courriel : eilis.quinn@radio-canada.ca

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