Un rapport du Sénat fait le bilan sur les failles de la sécurité dans l’Arctique canadien
Le comité sénatorial de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants a remis le 28 juin un rapport inquiétant sur la défense et la sécurité en Arctique. Infrastructures insuffisantes, équipements obsolètes, manque de personnel parmi les Rangers et les Forces armées, voilà le constat des 11 sénateurs du comité sur la défense canadienne en Arctique. Pas moins de 23 recommandations accompagnent également le rapport afin de contrer cette situation.
« Le nord du Canada est militairement vulnérable, économiquement sous-développé et menacé par le changement climatique – tout en étant convoité par les puissances mondiales pour ses riches ressources et ses voies navigables arctiques, » peut-on lire dans ce rapport de 84 pages.
Intitulé La sécurité de l’Arctique menacée : Des besoins urgents dans un paysage géopolitique environnemental en évolution, ce rapport est l’aboutissement de plus d’une année de travail pour les sénateurs qui se sont notamment rendus, lors d’une mission d’étude, à Iqaluit et à Cambridge Bay, au Nunavut, et à Inuvik, à Tuktoyaktuk et à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, du 2 au 9 octobre 2022.
Pour Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec et vice-président du comité, ce rapport est avant tout lucide et fait le point sur les équipements, les infrastructures, les besoins des communautés et la relation avec les États-Unis dans le cadre du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). La situation géopolitique particulière en Arctique a également été prise en compte et reflète le rôle unique que joue l’Arctique sur l’échiquier politique international.
Faire face à la Russie
« Notre étude a été réalisée dans un environnement géopolitique en constante évolution. Peu après le début de notre étude, la Russie a envahi l’Ukraine, ce qui a provoqué des bouleversements en Europe, sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale. Nous avons appris que cette invasion, malgré le coût humain et matériel élevé, n’a pas affaibli les capacités de la Russie dans l’Arctique, » explique-t-il.
La Russie reste une menace pour l’Arctique selon le comité. Une dizaine de bases militaires de l’Arctique russe datant de la guerre froide ont été rouvertes ou reconstruites au cours de la dernière décennie, les capacités militaires russes demeurent ainsi très importantes dans la région.
« Bien que l’Arctique canadien ne fasse l’objet d’aucune menace militaire imminente, le gouvernement du Canada doit aborder la sécurité et la défense dans l’Arctique avec un plus grand sentiment d’urgence que par le passé », souligne le rapport.
Pour le sénateur Dagenais, l’Arctique attise les convoitises, en particulier de la Russie et de la Chine, et la sécurité des communautés des territoires devrait être une priorité pour le gouvernement fédéral.
« C’est sûr que l’arctique est un territoire convoité pour ses richesses naturelles. Il faut savoir aussi qu’avec la situation géopolitique actuelle et la frontière avec la Russie, il y a lieu de s’inquiéter. Il faut assurer la sécurité des communautés qui vivent en Arctique. »
D’après la sénatrice des Territoires du Nord-Ouest, Margaret Dawn Anderson, qui est membre du comité depuis 2019, la coopération au sein du NORAD est fondamentale, mais le Canada est dépendant des États-Unis pour la défense de l’espace aérien nord-américain.
Lorsqu’un ballon de surveillance a pénétré illégalement dans l’espace aérien du Yukon en février 2023, les avions de chasse canadiens les plus proches étaient cloués au sol en raison de la pluie verglaçante à Cold Lake en Alberta. C’est un avion de chasse américain qui a abattu l’objet.
Pour M. Dagenais, cette situation n’est pas normale et reflète les manques criants dans les infrastructures et les équipements de l’Armée canadienne. « Il faut améliorer les équipements de l’armée, qui fait ce qu’elle peut avec ce qu’elle a. Mais actuellement, on ne peut pas dire que (l’armée) peut assurer une sécurité adéquate du territoire », déplore-t-il.
Dan Sullivan, sénateur de l’Alaska depuis 2015, a récemment montré du doigt le manque d’investissement du Canada dans le NORAD. Le qualifiant de négligent dans le projet de modernisation des radars, il a déclaré le 26 juillet 2023 sur Twitter que « le Canada est loin de faire sa part en ce qui concerne les dépenses de défense. »
Pour remédier à cette situation, la 17e recommandation du rapport stipule « que le gouvernement du Canada informe régulièrement le Parlement de la modernisation du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord ».
Lors de leur visite dans le quartier général du NORAD à la base de la force spatiale Peterson dans le Colorado, les membres du comité ont dit avoir constaté la force du leadership canadien dans les opérations du NORAD. Ils ont cependant noté que les infrastructures canadiennes vieillissantes et les technologies dépassées compromettent la protection de la souveraineté du Canada et la défense de l’Amérique du Nord contre les missiles de croisière de longue portée et les missiles hypersoniques qui constituent de nouvelles menaces.
Il est clair que le Canada doit moderniser son équipement au plus vite selon M. Dagenais, qui souhaite que les communautés arctiques soient bien équipées et protégées.
Le passage du nord-ouest de plus en plus emprunté
Selon les membres du comité, les préoccupations quant au contrôle de l’accès de navires (de croisière entre autres) au passage du Nord-Ouest sont grandissantes. De 1990 à 2021, le nombre annuel de passages de navires dans les eaux arctiques canadiennes a plus que triplé, passant à 385 en 2021 contre seulement 33 en 2017.
« Avec le réchauffement climatique, le passage du Nord-Ouest va peut-être devenir le passage de l’océan Pacifique vers l’océan Atlantique », pense-t-il.
Au regard du manque d’infrastructures dans la région, quelle est la capacité du Canada de réagir face aux navires qui empruntent le passage du Nord-Ouest et qui ne respecteraient pas les lois et la réglementation internationales et canadiennes?
Face à ce questionnement, la huitième recommandation indique « que le gouvernement du Canada s’assure que les normes liées au secteur des navires de croisière dans l’Arctique canadien complètent les plans de gestion conçus par les gouvernements et les organisations autochtones et que ces normes sont respectueuses des terres, des eaux et des populations autochtones ».
Une nouvelle nomination au ministère de la Défense
Le 26 juillet 2023, Bill Blair a été nommé ministre de la Défense nationale en remplacement d’Anita Anand, qui occupait cette fonction depuis le 26 octobre 2021. M. Dagenais dit avoir accueilli la nouvelle de sa nomination avec scepticisme. De son côté, Mme Anderson espère que le ministre portera une attention particulière aux recommandations.
« J’espère que le rapport sera reconnu par le nouveau ministre et que les recommandations seront prises au sérieux et mises en pratique », pense-t-elle.
Le 31 juillet 2023, le ministre de la Défense nationale a rencontré son homologue américain et a déclaré sur Twitter que « les États-Unis sont notre ami et notre allié le plus proche ».
Concrétiser la réconciliation
M. Dagenais estime que des actions concrètes doivent être posées rapidement et que les acteurs du Nord canadien comme les Rangers, les gouvernements et les communautés de l’Arctique doivent être écoutés.
Mme Anderson entrevoit une possibilité de concrétiser durablement la réconciliation afin que l’inclusivité des populations inuit et autochtones, dans l’optique de défendre plus efficacement la sécurité et la souveraineté de l’Arctique, prenne tout son sens.
Les Rangers jouent un rôle capital et « sont considérés comme des acteurs viables de la sécurité, de la défense et de la souveraineté de l’Arctique. De nombreux Rangers sont des autochtones, poursuit-elle, les Rangers sont essentiels dans la défense, la sécurité et la souveraineté de l’Arctique dans le Nord canadien ».
Un certain nombre de recommandations du rapport reflètent l’importance du travail des Rangers. La recommandation 14 demande d’ailleurs « au gouvernement du Canada de régler dans les plus brefs délais les problèmes qui nuisent au recrutement de Rangers canadiens et au maintien des effectifs. Dans le cadre de ces efforts, le gouvernement devrait à la fois s’assurer que les Rangers canadiens ont un accès adéquat à l’équipement nécessaire et apporter les changements requis à leur rémunération ».
M. Dagenais rappelle aussi qu’il faudrait recruter 15 000 militaires dans les Forces armées canadiennes.
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