Mieux connaître les montagnes canadiennes grâce à une étude collaborative

La rédaction de la toute première CMA a nécessité trois ans et demi de travail, plus de 80 contributeurs et une approche unique. (CBC/Helen Pike)

Adaptation et traduction du texte d’Helen Pike, CBC

Le paysage canadien n’est pas constitué que de montagnes, mais un groupe de chercheurs ont récemment compilé des données et des histoires qui montrent qu’elles sont malgré tout au cœur même de l’identité du pays. 

Pour la première fois, une publication a regroupé un nombre inégalé de faits, d’études et de données sur les montagnes dans un seul document : L’Évaluation des montagnes canadiennes (Canadian Mountain Assessment – ou CMA). La rédaction de la toute première CMA a nécessité trois ans et demi de travail, plus de 80 contributeurs et une approche unique. 

Le but de l’exercice est de donner aux gens des connaissances dans une esquisse de ce qui est connu à la fois de la science occidentale et des peuples autochtones. Les auteurs de la CMA voulaient aussi détailler ce qui reste à découvrir à propos des montagnes. 

Le processus de rédaction de chaque chapitre mettait sur un pied d’égalité les connaissances des peuples autochtones et la science occidentale. Pour ce faire, des exercices de cercles d’apprentissages ont été organisés. Et ce qui en est ressorti a été utilisé pour l’écriture. 

Le directeur du projet, Graham McDowell, veut que les gens commencent à penser à l’avenir des montagnes et aux enjeux qui les concernent. 

«Nous avons vu comment la compréhension et l’appréciation de l’Arctique ont généré beaucoup de soutien pour protéger et apprécier l’Arctique», explique celui qui est aussi associé postdoctoral en géographie à l’Université de Calgary.

Graham McDowell est le directeur du projet d’évaluation des montagnes canadiennes. (CBC/Helen Pike)

Les montagnes supportent leur propre lot de pression, selon lui. «Il s’agit d’une partie significative de notre géographie et du tissu socioculturels de notre pays», affirme M. McDowell. 

Le Canada, un pays de montagnes

Un quart du pays est couvert de terrain montagneux, un espace qui, se plaît à rappeler Graham McDowell, pourrait accueillir la Suisse 54 fois. Cela fait que le Canada arrive au quatrième rang des pays les plus montagneux du monde. 

L’Évaluation des montagnes canadiennes s’intéresse à des sujets comme les changements climatiques, l’évolution de l’utilisation du territoire, les espèces invasives et la pollution. Un accent est aussi mis sur les processus sociaux, eux aussi en changement, estime le directeur du projet. 

«Je crois que les gens peuvent voir pour la première fois le rôle que jouent les montagnes dans l’approvisionnement de beaucoup de petites choses qui ont de l’importance au quotidien, mais aussi à quel point elles changent», dit-il.

En 2003, l’Assemblée générale des Nations unies a désigné le 11 décembre comme la Journée internationale des montagnes afin de célébrer et de reconnaître leur importance pour la vie. L’ONU a proclamé 2022 comme l’année internationale du développement durable des montagnes.

McDowell estime que le fait d’avoir une évaluation des montagnes permet au Canada d’apporter sa contribution aux leaders mondiaux qui décident du chemin à suivre.

Mettre en lumière les histoires autochtones

Il ne manque pas de recherches ni de données scientifiques au sujet des montagnes canadiennes. Une partie du travail pour la rédaction de la CMA incluait l’évaluation de près de 3000 articles scientifiques. Mais ces écrits ne sont que ce qui est documenté par le milieu scolaire. 

Le travail de Joseph Shea, géoscientifique du climat, à l’Université du Nord de la Colombie-Britannique, s’appuie sur des données de stations météorologiques. Pour l’étude des montagnes, afin que ce type d’équipement soit utile, il doit se trouver en milieu alpin et conserver des données au sujet des précipitations, de la profondeur de la neige, de la température de l’air et de la vitesse des vents.

Il n’y a pas assez de ces stations en région montagneuse. C’est quelque chose dont il s’est plaint lors d’une rencontre avec Daniel Sims, un membre de la Première Nation Tsay Keh Dene.

Le lac Louise en Alberta. (CBC/Helen Pike)

«Je lui disais que nous ne connaissions rien de ces environnements puisqu’il n’y avait pas d’outils de mesure. Il m’a alors dit que ce n’est pas parce que nous ne connaissons rien que c’était le cas de tout le monde», raconte Joseph Shea.

C’est à ce moment qu’il a réalisé que l’absence de station météorologique ne signifiait pas l’absence de connaissances. 

Le but est alors devenu de fusionner cette compréhension des Autochtones avec celle de la science. «Tout ça est complémentaire», laisse tomber M. Shea. 

Cet objectif de cocréation est alors devenu central à la publication. Chaque chapitre a été posé puis rédigé par des personnes autochtones et non autochtones. 

Quand on fait une évaluation de ce que nous connaissons ou pas des montagnes, la réponse est particulièrement incomplète si nous ne nous intéressons pas au savoir traditionnel.

– Keara Lightning, coautrice de la CMA

Le chapitre intitulé Les cadeaux des montagnes était une discussion au sujet de ce que la montagne nous offre pour subvenir à nos besoins et ce qui rend les gens responsables de ces cadeaux. L’idée de réciprocité y était très importante, se souvient Keara Lightning, qui ajoute qu’avec une approche scientifique occidentale uniquement, ce chapitre aurait pu s’appeler Les ressources des montagnes

Ce recadrage de l’approche a fait une grande différence dans la manière dont la recherche s’est déroulée, selon Mme Lightning, qui est elle-même issue de la nation crie et enseigne à la Faculté des études sur les Premières Nations de l’Université de l’Alberta. 

Les histoires tissées au sein des chapitres

Un cercle d’apprentissages a rassemblé 20 personnes : Premières Nations, Métis, Inuit, des personnes de tous les horizons. Il y avait un chef, plusieurs aînés et de jeunes autochtones. 

Les conversations ont été enregistrées et quelques-unes sont incluses dans le volume de la CMA sous forme audio. 

Les éléments de ces séances qui ont été incorporés aux chapitres ont dû être traités avec grand soin, indique Keara Lightning. «C’était un processus qui exigeait la construction d’une relation de confiance», mentionne-t-elle. 

Elle rappelle qu’il y a un risque pour les Autochtones de partager ces histoires et qu’ils sont très prudents. 

La cheffe inuk Megan Dicker Nochasak croit que le savoir scientifique a le devoir d’inclure les connaissances autochtones et de considérer la voix des jeunes. Elle espère voir davantage de ce type de travail collaboratif à l’avenir. 

Megan Dicker Nochasak, coautrice de la CMA. (CBC/Helen Pike)

En tant que coautrice de la CMA, elle décrit sa relation avec les montagnes Torngat, sa terre natale. Ses grands-parents et de nombreux autres Inuit du Labrador ont été déplacés de la région dans les années 1950. Elle y est retournée et travaille désormais à la station de recherche du camp de base des montagnes Torngat. 

L’effet global de la pression sur les montagnes

Gùdia Mary Jane Johnson, une aidée Lhu’ààn Mân Ku Dań qui a travaillé pour Parcs Canada et pour la Première Nation Kluane pendant plus de 40 ans, dit que cette manière de travailler assure de connaître les besoins et les perspectives des communautés locales. 

Elle affirme que les montagnes sont des écosystèmes et des territoires qui subissent une grande pression. «La manière dont nous traitons les montagnes maintenant leur permettra de continuer à pourvoir la jeunesse actuelle et les prochaines générations.»

Les montagnes sont parfois appelées «tours d’eau». Les glaciers et la neige contrôlent le débit des rivières et des ruisseaux. «Ce qui se passe sur la montagne ne reste pas sur la montagne», dit de façon imagée Joseph Shea en changeant un peu l’adage traditionnel. 

Selon la CMA, un tiers des espèces classifiées «en danger» au pays dépendent d’un écosystème montagneux. Certaines plantes et des animaux ne vivent que dans ces régions ou ont besoin de ces conditions uniques pour se reproduire. 

Shawn Marshall, président de la chaire de recherche en changement climatique de l’Université de Calgary, estime que certaines espèces vont s’effondrer sous la pression, que cette dernière provienne des changements climatiques, du développement humain ou de l’extraction des ressources. 

Pas une évaluation finale

L’Évaluation des montagnes canadiennes souligne ce qui est connu, mais aussi ce qui demeure un mystère et qui nécessite plus de recherche. M. McDowell croit que l’un des fossés les plus importants se trouve dans l’énoncé de la dimension humaine des changements climatiques et ce que les gens peuvent faire pour s’adapter. 

Déjà, le réchauffement des montagnes au pays a mené à des changements dans le tourisme et dans les habitudes des industries comme les guides de montagne ou les grimpeurs qui voient leur terrain de jeu changer de façon draconienne. 

Selon Graham McDowell, il est important de dire que la CMA n’est pas le point final, mais plutôt un tremplin. Son espoir est que les chercheurs bâtissent sur ce qui a été fait et qu’ils reproduisent l’évaluation une fois par décennie. 

Pour Shawn Marshall, le type de collaboration sur ce projet a permis de créer quelque chose de différent. «On n’est pas censé laisser les choses que nous étudions nous rendre émotif. On doit être distant et même froid par rapport à notre sujet de recherche.»

Ce projet lui a toutefois appris ce que ses collaborateurs traditionnels ont toujours tenté de nous faire comprendre : tout est à propos des valeurs. 

«Et pas seulement à propos des valeurs de modèles scientifiques», dit-il. Pour lui, l’ajout de la lentille de la compréhension traditionnelle permet de nourrir un avenir plus durable pour les montagnes. 

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