Dans le Grand Nord canadien, les meneurs de chiens du Nunavik à la conquête d’Ivakkak
Les participants de la course de chiens de traîneau Ivakkak se sont lancés, mercredi, à la conquête d’une victoire sur un trajet de plus de 360 km à travers la toundra montagneuse de la baie d’Ungava, au Nunavik.
Ni le froid mordant ni les éventuels blizzards qu’elles rencontreront sur leur chemin ne semblaient effrayer les six équipes sur la ligne de départ.
Tous les participants sont déterminés à remporter cette course qui relie, cette année, les villages de Kangiqsujuaq et Aupaluk.
Parmi eux se trouvent des vétérans de la course, comme Willy Cain, un meneur de chiens de Tasiujaq, qui en est à sa dix-huitième participation.
Rencontré la veille du départ, le pilote ne voulait rien laisser au hasard. Il inspectait soigneusement ses cordages, son équipement et ses chiens avant de faire un dernier tour de piste avec eux. Lui et son partenaire s’entraînent depuis des mois pour la course.
« Ça demande beaucoup de temps, ne serait-ce que l’entraînement des chiens. Il faut aussi aller chasser constamment pour les nourrir et passer plusieurs nuits sur le territoire », explique-t-il.
Aucun entraînement ne prépare complètement les participants aux éventuels imprévus que pose la course Ivakkak.
Les températures plus douces du mois de mars favorisent la formation de neige molle dans la toundra, ce qui représente un défi pour les pilotes.
« Toutes les équipes sont probablement inquiètes de ce qui s’en vient. Le problème avec la neige molle, c’est que les pattes des chiens s’usent plus rapidement. […] Les équipes doivent aussi courir près des traîneaux pour motiver les chiens. C’est très physique », explique Willy Cain.
Un peu plus loin, sur l’aire de préparation, Ken Labbé ajuste lui aussi son matériel. Il s’agit de sa première expérience en tant que chef d’équipe, après avoir accompagné Willy Cain comme assistant durant plusieurs années.
Ce dernier est confiant, mais il ne se fait pas d’illusion face à la longueur d’avance qu’ont les équipages plus expérimentés.
« Ça va être un gros challenge! Il y a trois ou quatre équipes qui sont de très haut niveau. Les chiens ont plus d’expérience. Les miens sont encore jeunes. On va voir ce qu’ils ont dans le ventre! », ajoute-t-il.
Du soutien constant
Bien qu’ils doivent avoir un bon niveau d’autonomie, les participants ne seront pas seuls dans cette épreuve : ils seront accompagnés par des équipes de soutien, comme la vétérinaire Caroline Fortin.
Accompagnée d’un assistant et d’un traîneau-ambulance, elle est en mesure de prendre en charge les chiens qui se blessent.
« J’appelle ça de la médecine de brousse. Il faut se virer sur un « dix cennes ». […] On est équipé pour à peu près toutes les situations. Ça peut aller de petites coupures sur les coussinets, des blessures musculaires ou simplement des bagarres entre les chiens », explique-t-elle.
Malgré ces risques que pose une course en territoire éloigné, la vétérinaire Caroline Fortin n’a aucun doute quant au bien-être des chiens et à la qualité des soins apportés par les pilotes.
« On l’entend autour de nous. Ils sont surexcités d’être ici. […] Ces chiens-là vivent pour courir, ils vivent pour leur maître. Il n’y a rien qui les rend plus heureux que d’accomplir leur travail », explique-t-elle.
Une réappropriation fondamentale
Pour ces pilotes, la course de chien va bien au-delà d’une question de performance. C’est, pour eux, une façon de se réapproprier cette pratique traditionnelle mise à mal par la colonisation.
De nombreux aînés du Nunavik ont toujours en mémoire l’abattage de nombreux chiens de traîneau par les autorités au tournant des années 1950.
C’est dans le but de guérir les communautés de ce traumatisme historique que la corporation Makivvik a mis sur pied la course Ivakkak, en 2000.
Depuis, le sport a repris ses lettres de noblesse dans la région, et de plus en plus d’équipes sont constituées dans les communautés.
« J’ai vu des aînés pleurer en se souvenant de leur jeunesse avec leurs propres équipes de chiens, avant que la machinerie les remplace », explique l’organisateur en chef de la course, Johnny Oovaut.
« Nous voulons montrer que notre culture n’a pas été éliminée. Montrer aussi aux plus jeunes générations ce à quoi une équipe traditionnelle de chiens a l’air », ajoute-t-il.
La fierté qui se lit sur le visage des aînés et l’admiration sur celui des plus jeunes, massés près de la ligne de départ mercredi, semblent confirmer que la tradition des attelages de chiens de traîneau au Nunavik est toujours bien vivante.
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