Le Canada a tenté d’affaiblir la déclaration de l’ONU sur les droits des Autochtones

L’administration de Jean Chrétien voulait modifier le texte de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pour en réduire la portée sur les gouvernements. Ici, il s’adresse à l’Assemblée générale de l’ONU en 2003. (PC/Andrew Vaughan)

Le Canada a dirigé des manœuvres pour réduire la portée de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Ottawa a travaillé en secret avec l’Australie pour produire un texte alternatif édulcoré au début des années 2000, démontrent des documents du gouvernement australien.

L’élaboration d’un texte plus clément envers les gouvernements était l’idée de l’administration libérale de Jean Chrétien à l’époque. L’Australie l’appuyait dans le cadre de tactiques contre des leaders autochtones qui refusaient d’amender le texte original de la déclaration datant de 1993.

«L’Australie a décidé de négocier avec le Canada un texte alternatif complet et robuste pour contrer la proposition existante et l’empêcher d’atteindre le statut de droit international coutumier», ont écrit deux ministres australiens dans un document de mai 2003 aujourd’hui public.

Le Canada considérait l’Australie comme son «partenaire le plus prometteur» dans la rédaction d’un nouveau texte, et il était prêt à consacrer des «ressources considérables» à cet effort, lit-on dans un autre document australien, celui-là daté de 2002.

Le Canada et l’Australie seront sans doute critiqués par des groupes autochtones plus purs et durs, dont des groupes australiens, pour leurs efforts de développer un texte alternatif de manière non transparente et bilatérale.

– Extrait d’une note du gouvernement australien datant de 2002

Ces révélations proviennent de documents rendus publics par les archives nationales de l’Australie, qui publient ce genre de notes destinées aux membres du gouvernement après 20 ans. Le Guardian a été le premier à relayer ces informations. Au Canada, des archives du genre peuvent aussi être accessibles au bout de 20 ans, mais dans ce cas-ci, elles ne sont pas publiques.

Les deux États du Commonwealth comprenaient que leurs tractations qui contournaient les tables de négociations officielles de l’ONU étaient une question épineuse, suggèrent les documents d’archives.

Pendant au moins un an à partir de juin 2002, aucun des deux gouvernements n’a ébruité les discussions.

«Le fait que nous soyons en train de discuter d’un texte alternatif avec le Canada n’a pas encore été rendu public», lit-on également dans un document signé par des ministres en 2003.

«Notre approche a été de ne discuter de ce texte alternatif qu’avec les États clés qui semblent avoir les mêmes points de vue et préoccupations que nous.»

«En coulisses, il nous poignardait dans le dos»

Kenneth Deer a participé à l’élaboration de la DNUDPA. (Photo d’archives/KA’NHEHSÍ:IO DEER/CBC)

«Je ne suis pas surpris. Déçu, oui, mais pas surpris», souligne Kenneth Deer, un homme kanien’kehá:ka de Kahnawà:ke qui a participé à la création de la DNUDPA entre 1987 et 2007.

«Le Canada a toujours tenté d’avoir une façade sympathique, mais en coulisses, il nous poignardait dans le dos», dénonce-t-il.

L’Australie était de plus en plus isolée dans son opposition au droit de peuples autochtones à l’autodétermination au début des années 2000, car elle redoutait que ce droit permette aux premiers peuples de faire sécession, selon les archives. Le gouvernement australien voulait carrément éliminer ce terme et le remplacer par «autogestion».

Le Canada, de son côté, acceptait le terme «autodétermination», mais seulement s’il était accompagné de négociations et d’une «entente avec le gouvernement».

Jean Chrétien (au centre) a été ministre des Affaires indiennes (nom de l’époque) sous Pierre Elliott Trudeau (à droite). (Photo d’archives/PC)

Les deux États s’entendaient toutefois sur l’élimination des références à la démilitarisation, à la restitution de territoires, aux conflits armés et aux génocides culturels. Ils voulaient aussi tous deux ajouter du vocabulaire mentionnant l’intégrité territoriale et politique des États souverains, ce qui a donné en fin de compte des résultats mitigés dans la déclaration finalement adoptée à l’ONU.

Par exemple, une ligne affirmant l’intégrité territoriale et politique des États s’est retrouvée dans le texte final. Par contre, un autre article interdisant l’enlèvement ou le retrait de force des peuples autochtones de leur territoire est demeuré inchangé. Ottawa et Canberra voulaient modifier cette clause, car pour l’Australie «il y a des circonstances où il est légitime de retirer une personne de son territoire (par exemple, pour des raisons de protection de la jeunesse)».

L’espoir de failles au sein du caucus autochtone

À l’époque, le caucus autochtone engagé dans les tractations à l’ONU avait une position hostile à toute modification, selon M. Deer. L’Australie espérait que le texte alternatif pourrait rallier les factions plus «modérées» du caucus pour qu’elles rompent les rangs avec les «puristes», montrent aussi les archives rendues publiques récemment.

L’Australie voyait comme prometteuse une proposition canadienne datant de 1999 qui visait à développer des textes «avec les États seulement» pour certains articles plus «faciles» de la déclaration.

«Des divisions apparaissent dans le caucus autochtone entre les partisans de la ligne dure, favorables à la déclaration originale, et les représentants autochtones ouverts à la négociation de compromis», indique le document de 2002.

Malgré tout, l’Australie réfléchissait à des «stratégies de sortie» qui incluaient, entre autres, de faire avorter les pourparlers.

«Le refus de groupes autochtones plus durs de discuter du texte alternatif préparé par l’Australie et le Canada pourrait nécessiter la mise en œuvre d’une stratégie pour mettre un terme au groupe de travail», dit la note du gouvernement australien.

La déclaration de l’ONU a finalement été adoptée en 2007 par l’organisation, mais le Canada et l’Australie ont mis plus de temps à l’appuyer. (ONU)

En septembre 2003, le texte alternatif a finalement été dévoilé, ce qui a suscité le dégoût des Premières Nations au Canada.

Au milieu de toutes ces pressions, certains leaders autochtones ont commencé à proposer des amendements, ouvrant la porte à d’autres négociations, explique M. Deer.

Après 2003, le texte original de la déclaration a été modifié, au terme d’âpres discussions, se souvient Kenneth Deer, sans pour autant être éviscéré, comme l’auraient voulu l’Australie et le Canada.

Le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Australie sont les seuls États qui ont voté contre la DNUDPA en 2007 lors de son adoption par les Nations unies.

Selon Kenneth Deer, le Canada a assoupli sa position quand Paul Martin est devenu premier ministre en 2003, avant de se raffermir avec l’arrivée au pouvoir des conservateurs de Stephen Harper en 2006. Mais peu importe le parti au pouvoir, la bureaucratie canadienne a toujours été réticente quant aux droits des Autochtones, croit M. Deer.

Les documents australiens remettent en question des affirmations de M. Martin qui, en 2007, a noté que le Canada avait toujours soutenu la déclaration, accusant au passage Stephen Harper de ne rien faire dans ce dossier, ce qu’ont réfuté les conservateurs.

Un porte-parole de l’Initiative de la famille Martin, une organisation caritative fondée par Paul Martin qui se consacre au bien-être des enfants autochtones, a indiqué que l’ancien premier ministre s’en remettait à ce qui est dans les archives au Canada. Il a également noté que Paul Martin a quitté le cabinet en 2002 et qu’il a été assermenté comme premier ministre en décembre 2003.

Les ministres des Affaires autochtones et des Affaires étrangères sous Jean Chrétien n’étaient pas disponibles pour commenter cette affaire.

Le gouvernement Harper a quant à lui appuyé la DNUDPA, mais à titre de «document d’ambition» en 2010. Son successeur, Justin Trudeau, a fait adopter une loi en 2021 pour que la législation fédérale canadienne soit harmonisée avec la déclaration. Un plan d’action pour l’implanter a été présenté l’an dernier.

Quant à l’Australie, elle a appuyé la déclaration en 2009, mais n’a rien proposé pour mettre en place ses principes.

À lire aussi :

Espaces autochtones, Radio-Canada

Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

Vous avez remarqué une erreur ou une faute ? Cliquez ici !

Laisser un commentaire

Note: En nous soumettant vos commentaires, vous reconnaissez que Radio Canada International a le droit de les reproduire et de les diffuser, en tout ou en partie et de quelque manière que ce soit. Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette.
Nétiquette »

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *