Accouchement loin de chez soi, mais près de leurs traditions pour les femmes du Nunavik

Plus de 300 femmes inuit et cries viennent chaque année donner naissance à l’hôpital Royal Victoria du Centre universitaire de santé McGill. (Radio-Canada/Félix Lebel)

Le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a adapté ses procédures d’accouchement, afin de réduire le stress vécu par les femmes du Nord, qui doivent quitter leurs communautés pour donner naissance, loin de leurs proches et de leurs coutumes.

Paasa Lemire est de retour chez elle depuis quelques mois après avoir donné naissance à son deuxième enfant. Comme bien des femmes du Nunavik, elle a dû se rendre à Montréal plusieurs semaines avant son accouchement. Sa grossesse était considérée comme à risque, ce qui l’empêchait de donner naissance de façon sécuritaire à Kuujjuaq.

Paasa Lemire a donné naissance à sa fille, Dahlia, le 25 octobre dernier. (Radio-Canada/Félix Lebel)

«Si j’avais été capable de donner naissance au Nord, je l’aurais fait. Ça aurait été beaucoup moins stressant pour moi. Quand tu dois aller à Montréal, c’est toujours difficile à vivre. Tu te retrouves parfois seule, sans tes amis et ta famille pour te soutenir», explique-t-elle.

Elle avait toujours en tête ces moments d’angoisses vécus lors de son premier accouchement, qui l’avait fait rester à Montréal pendant des semaines entières.

Cette fois-ci, elle a été accueillie par les équipes du CUSM dans un environnement beaucoup plus familier. De l’art inuit était disposé sur les murs, des peaux de phoques étaient placées près du lit et de la nourriture traditionnelle lui a été servie.

Les accessoires sont installés dans les salles d’accouchement lorsqu’une patiente inuk ou crie doit donner naissance. (Radio-Canada/Félix Lebel)

Des petits détails, qui font toute une différence pour les femmes du Nord, qui doivent déjà vivre avec le stress d’être éloignés de chez eux durant ce moment si important de la vie.

«Ils ont aussi donné un kit à ma mère pour faire du perlage traditionnel. C’était très beau de voir ça! Avec ce projet, c’est un bon pas pour que les femmes se sentent mieux durant l’accouchement», ajoute la jeune mère de famille.

Un pont entre les communautés

Le projet est officiellement en place au CUSM depuis le mois d’août, mais est en préparation par les équipes d’obstétrique depuis plusieurs années déjà.

Le drame vécu par Joyce Echaquan en 2020 a été un élément déclencheur de ce projet.

«Sa mort est venue toucher profondément l’équipe. Il y a eu de la colère […] On voulait faire quelque chose de concret, qui pourrait aider, et qui serait facile à soutenir», indique une des responsables du projet et coordonnatrice en santé des femmes au CUSM, Jennifer Pepin.

Jennifer Pepin est l’une des personnes à l’origine du projet, avec notamment Hilah Silver, du département d’obstétrique. (Radio-Canada/Félix Lebel)

«On souhaite vraiment avoir une ambiance chaleureuse, accueillante et qui soulage les femmes après avoir fait un si long voyage», dit Jennifer Pépin.

En plus de ces accommodements esthétiques dans les chambres d’accouchement, les équipes du CUSM ont assoupli les règles de visites pour les familles du Nord.

Il est maintenant possible d’accueillir jusqu’à quatre visiteurs durant l’accouchement, plutôt que seulement deux à l’habitude.

Le CUSM souhaite ainsi faire plus participer la famille durant l’accouchement. (Photo d’archives/Radio-Canada/Dominique Degré)

Ce changement à la politique des visites permet justement aux familles d’être plus présentes lors de l’accouchement, ce qui est central dans la tradition inuit.

Une grande importance est par ailleurs accordée à la première personne à couper le cordon, qu’on appelle sanajik, soit l’équivalent d’un parrain ou d’une marraine.

Permettre que ce genre de tradition puisse se perpétuer malgré la distance est au cœur des accommodements offerts par le CUSM.

Un pas dans la bonne direction

Selon le médecin de famille Mehdi Bihya, qui pratique à Kuujjuaq, ce genre d’initiative peut faire une grande différence dans la vie des femmes de la région.

Le manque de confiance qu’entretiennent certains résidents du Nord envers le système de santé peut selon lui mettre en péril la vie des mères et des nouveau-nées.

Il est arrivé notamment que des mères accouchent directement dans leur communauté plutôt qu’à Kuujjuaq ou à Montréal.

Les villages du Nunavik ne disposent que de très peu de ressources en chirurgie et n’ont pas la possibilité de faire, par exemple, une césarienne en cas de problème.

Mehdi Bihya exerce la médecine à l’hôpital de Kuujjuaq. (Photo : Mehdi Bihya)

«On peut imaginer qu’une femme qui a une hémorragie post-partum en village et qu’il n’y a pas de sang à transfuser ni de médecin, le risque de mortalité augmente de façon importante», explique le Dr Mehdi Bihya.

Formations déterminantes

Un autre aspect de ce projet de sécurisation culturelle a été la formation offerte aux infirmières du département d’obstétrique du CUSM.

«Plus de 300 femmes du Nunavik ou des communautés cries accouchent au CUSM, c’était donc essentiel de former celles qui allaient interagir avec les patientes», explique Jennifer Pepin.

Les infirmières qui travaillent en obstétrique ont été sensibilisées à la culture inuit et crie. (Radio-Canada/Félix Lebel)

Des sages-femmes cries et inuit ont par ailleurs fait le voyage jusqu’à Montréal pour leur donner une formation, qui a particulièrement touché les équipes du CUSM.

«De faire ce lien et de voir la connexion qui se faisait entre l’équipe et ces femmes-là, était un des meilleurs moments de ma carrière […] On a appris tous les enjeux de la colonisation et ses conséquences qui sont toujours visibles sur le système de santé», souligne Jennifer Pepin.

Cette dernière en est maintenant à recueillir les témoignages des femmes qui ont pu profiter de ce projet pilote afin d’en peaufiner certains détails.

Pour Paasa Lemire, qui en a bénéficié, ce projet est assurément «un pas dans la bonne direction, qui pourrait faire une grande différence dans le bien-être des femmes du Nunavik».

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Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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