Problèmes d’eau, d’ordures, d’ambulance… Des travailleurs d’Akulivik appellent à l’aide

Le CLSC d’Akulivik, communément appelé dispensaire, fait face à de nombreux défis.

Des travailleurs de la santé et des services sociaux du village d’Akulivik, au Nunavik, dénoncent une « situation d’urgence sanitaire hors du commun » au sein de leur village, qui se traduit notamment par un manque alarmant d’eau, l’absence d’une collecte des ordures et une ambulance hors de fonction, ayant été prise dans la neige dans les deux dernières semaines.

Le village, inaccessible par voie terrestre, fait face à certains de ces problèmes depuis maintenant plusieurs mois, voire quelques années. Les travailleurs interviewés pointent du doigt l’irresponsabilité et le manque de leadership de la Municipalité pour justifier l’aggravation de la situation.

« Nous sommes dépendants, et même captifs, des services qui sont donnés – ou pas – par la Municipalité », s’indigne un des travailleurs, qui souhaite d’ailleurs garder l’anonymat par peur de représailles.

Qu’est-ce qu’Akulivik?

Le village d’Akulivik est situé au nord-ouest du Québec, au nord-est de la baie d’Hudson, à plus de 1850 kilomètres de Montréal. Il est établi comme poste de traite par la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1922, pour ensuite être fermé en 1952. Dans les années 1970, le milieu redevient habité et compte aujourd’hui plus de 600 habitants, majoritairement des Inuit.

Un problème majeur auquel font face les Akulivimmiut est le manque d’eau, un problème fréquent, qui peut parfois durer plusieurs semaines.

À l’instar de la majorité des autres villages du Nunavik, Akulivik n’a pas de système d’aqueduc ni d’égouts. Le transport de l’eau potable, tout comme le retrait des eaux usées, se fait par camion-citerne.

Ces derniers mois, de nombreux foyers ont régulièrement manqué d’eau, parfois pendant deux, trois, voire cinq semaines. Une absence totale d’eau qui les a empêchés de boire et de se laver.

Cela s’explique notamment par un problème de traitement des eaux usées : une fois le réservoir d’eaux usées plein, impossible d’avoir de l’eau courante. Il faut donc parfois attendre des semaines avant que ce problème soit résolu.

Résultat : une augmentation des consultations pour des problèmes liés à un manque d’hygiène de base est constatée. Les problèmes dermatologiques, infections urinaires, hépatites et éclosions virales (comme la gastroentérite) sont donc en hausse dans le village, relatent les travailleurs de la santé interrogés au téléphone par Espaces autochtones.

Les parents de poupons doivent, quant à eux, faire fondre de la neige pour pouvoir remplir les biberons de lait avec des préparations lactées pour nourrissons.

Le CLSC local (communément appelé dispensaire) fait aussi face à des problèmes d’accès à l’eau, ce qui complique davantage le traitement de patients.

La semaine dernière, une patiente prise d’une atteinte rénale a dû être envoyée par avion au village de Puvirnituq parce qu’elle avait besoin d’être réhydratée, car il n’y avait pas d’eau à son domicile ni à la clinique locale.

« Ça cause préjudice à la santé des personnes à Akulivik. […] C’est les droits de la personne qui sont compromis », dit un travailleur de la santé et des services sociaux d’Akulivik

Un important problème de salubrité est également provoqué par un système de collecte d’ordures défaillant, voire inexistant.

Le camion qui effectue la collecte serait brisé, forçant les résidents à entreposer leurs déchets pendant des semaines chez eux ou dans leurs lockers, des remises adjacentes à leur maison. Parfois, une motoneige passe chez certains foyers afin de pouvoir récolter les ordures, mais cette motoneige ne peut pas desservir l’ensemble de la population. Autrement, les ordures ne peuvent pas être laissées à l’extérieur, vu la présence de chiens, de loups et d’ours polaires dans la région.

Des véhicules cruciaux pris dans la neige

L’ambulance a été prise dans la neige à partir du 22 février.

L’ambulance d’Akulivik aurait aussi été au cœur des défis auxquels ont dû faire face les travailleurs de la santé et des services sociaux dans les dernières semaines.

Pris dans la neige depuis deux semaines, le véhicule n’a pas été en mesure d’être déneigé, le chargeur s’assurant du déneigement étant aussi pris sous la neige, tout comme la motoneige utilisée comme solution de secours. Par ailleurs, le déneigement des voies publiques serait rarement effectué.

Mercredi, l’ambulance a été remorquée afin de dégeler. Des problèmes mécaniques sont à résoudre une fois l’engin dégelé. Il n’est donc toujours pas utilisable.

Dans les deux dernières semaines, cette situation aura contribué à l’inquiétude partagée par de nombreux travailleurs de la santé.

L’un d’eux se souvient d’un patient battu, magané chez qui l’on suspectait une fracture à la colonne vertébrale. Pas d’ambulance, pas de motoneige de secours : le patient a dû se rendre au dispensaire par lui-même.

« Il aurait pu avoir une blessure aggravée, ou des lésions, ou des traumatismes permanents dus au fait qu’il s’est mobilisé alors qu’il aurait dû être immobilisé », dit un travailleur de la santé et des services sociaux d’Akulivik.

Pour ce cas et un récent cas de convulsions multiples, les patients auraient été transportés par avion ailleurs pour recevoir des soins. Les délais d’intervention pour ces personnes ont considérablement augmenté [à cause de] cette rupture de services, juge un travailleur de la santé, qui a constaté un préjudice évident à leur égard.

Les défis du blizzard

Un important blizzard s’est emparé du Nunavik la semaine dernière, le jeudi 29 février, en soirée. La tempête aura porté un coup dur aux conditions à Akulivik. Aux yeux des travailleurs, il a mis en lumière des problèmes qui étaient déjà là et a démontré l’urgence d’agir.

Le blizzard aurait provoqué une panne d’électricité complète à travers le village. La seule génératrice serait au dispensaire, mais n’aurait jamais fonctionné adéquatement, vu qu’elle ne serait pas régulièrement entretenue ni vérifiée. La clinique n’a donc pas été en mesure de faire fonctionner de nombreux importants outils, comme le défibrillateur, le moniteur et les pompes.

Le CLSC local (communément appelé dispensaire) fait face à des problèmes d’accès à l’eau, compliquant le traitement de patients.

De surcroît, la ligne d’urgence (l’équivalent du 911 pour les habitants du sud) ne fonctionnait pas, tout comme sa solution de rechange, un téléphone satellitaire de secours, qui aurait été mal branché, expliquant son non-fonctionnement.

Pour la majorité de la population, la panne aura duré entre deux et trois jours. Face à des conditions météorologiques extrêmes et sans électricité pour les réchauffer, de nombreux habitants se sont rendus à l’école du village afin de se réfugier.

Les travailleurs interrogés regrettent toutefois la manière dont ils ont été accueillis, jugeant que tout ce que la Municipalité a fait, c’est de débarrer l’école.

 «C’était misérable. On voyait des personnes âgées, vulnérables, complètement laissées à elles-mêmes, avec même pas des installations de base, même pas des petits lits de camping, des sacs de couchage, de couverture. Rien du tout », dit un travailleur de la santé et des services sociaux d’Akulivik

La situation est telle que certains travailleurs auraient voulu que la Croix-Rouge ou l’armée viennent en aide. Des travailleurs en auraient fait la demande à leur supérieure. Celle-ci se serait toutefois butée aux décisions du maire, qui lui aurait dit que tout va bien.

« Les gens se protègent beaucoup entre eux au Nunavik. L’information reste beaucoup en vase clos. […] C’est pour ça que ce n’est pas allé à des paliers supérieurs », estime un des travailleurs.

Parmi ces travailleurs, ils sont nombreux à rejeter l’idée selon laquelle cette situation est normale pour un village du Nunavik.

« On a beaucoup comme argument des autorités en dehors du village : « Ah oui, mais c’est ça, le Nord. » Désolé, mais je suis dans le Nord depuis 20 ans, et je peux vous assurer que le Nord, ça n’a pas toujours été ça. […] Je suis incapable d’accepter ça comme réponse, alors que des moyens existent, » souligne l’un des travailleurs.

À l’heure actuelle, nous allons plutôt bien, selon le maire d’Akulivik

Le maire d’Akulivik ne dresse pas exactement le même portrait de la situation.

Élu en 2021, Eli Angiyou admet qu’un problème d’accès à l’eau et de collecte des ordures persiste au sein de la communauté.

« On a [des problèmes d’eau] à chaque année, et ça ne va pas en s’améliorant, avec les changements climatiques », estime-t-il.

Le maire reconnaît aussi que des problèmes ont eu lieu concernant l’électricité et la tuyauterie, et qu’ils ont eu un certain impact sur le dispensaire. Il considère toutefois que, outre le problème de générateur, à l’heure actuelle, la clinique se porte très bien.

Malgré les circonstances, les infirmières gardent la clinique ouverte, donc elles font ça très bien, résume-t-il.

Par ailleurs, le maire d’Akulivik ne pense pas que sa municipalité ait besoin d’aide extérieure, expliquant que des plans d’urgence ont été mis en place, et que la municipalité collabore déjà avec la Sûreté du Québec et la police régionale, qui font un travail exceptionnel.

« Je ne pense pas que nos mesures d’urgence nécessitent une quelconque aide de l’extérieur […] À l’heure actuelle, nous allons plutôt bien », explique Eli Angiyou.

Le maire a d’ailleurs tenu à saluer le travail remarquable des employés de la fonction publique, et plus particulièrement les premiers répondants, les infirmières et les techniciens chargés de rétablir l’électricité.

Concernant l’ambulance prise dans la neige, le maire Angiyou assure que la Municipalité a demandé un chargeur pour enlever la neige depuis longtemps, mais qu’[elle] n’a pas de fonds pour ça.

Eli Angiyou aimerait ainsi que des chargeurs soient fournis à sa municipalité et qu’une plus grande aide soit apportée à sa communauté, notamment en vue de la croissance de la population et des besoins en infrastructure.

« Nous avons fait tout ce que nous pouvions faire en tant que conseil [municipal], maintenant, il n’y a plus rien que nous pouvons faire, sauf de faire des résolutions demandant ceci et cela. Mais ça ne mène à rien. »

Du côté du gouvernement du Québec, le Secrétariat aux relations avec les Premières Nations et les Inuit assure avoir été mis au courant de la situation dans le village à la suite du blizzard. Le Secrétariat affirme ainsi avoir été averti de quelques petits dommages aux maisons (qui ont été réparés), d’un besoin d’entretien pour la génératrice et du problème relié à l’ambulance. Il dit aussi être au courant des problèmes d’eau récurrents et assure que de l’eau embouteillée sera envoyée.

Le Secrétariat aux relations avec les Premières Nations et les Inuit s’est toutefois montré surpris par l’appel à l’aide partagé par certains travailleurs, et a assuré qu’il verra de quoi il retourne.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux, pour sa part, a dit qu’il entretenait une collaboration avec l’Administration régionale Kativik, gouvernement local qui couvre le Nunavik, et d’autres ministères pour explorer des avenues de solution aux problèmes d’eau dans la communauté.

Au moment de publier l’article, l’Administration régionale Kativik n’avait toujours pas répondu aux questions d’Espaces autochtones, envoyées par courriel.

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