Sans glaces, où les phoques du Groenland donnent-ils naissance cet hiver?

Selon les données de Pêches et Océans Canada, jusqu’en 2004, 85 % des phoques gris donnaient naissance sur la glace. Depuis, ce nombre a chuté à moins de 5 %. Ils utilisent plutôt les berges d’îles isolées, dont l’île Brion, comme site de reproduction. (Photo d’archives/CBC/Robert Short)

Pêches et Océans cherche actuellement à savoir où les phoques du Groenland se réfugient pour mettre bas, compte tenu de l’absence de glaces solides dans le golfe du Saint-Laurent et près des côtes de Terre-Neuve.

La semaine dernière, une équipe de l’Institut Maurice-Lamontagne a survolé durant deux jours les environs de l’Île-du-Prince-Édouard, des Îles de la Madeleine et la baie des Chaleurs.

Ils n’ont décelé aucun signe de mise bas dans le sud du golfe, même aux rares endroits où les glaces s’étaient formées.

« Ce qu’on a vu, ce sont des glaces qui étaient de très mauvaise qualité, parfois on a vu des glaces où il aurait pu y avoir des naissances, mais on n’a vu aucun signe de naissances, cette année, durant nos deux vols », affirme la biologiste spécialisée en dynamique des populations de mammifères marins à l’Institut Maurice-Lamontagne, Joanie Van de Walle.

« On a vu un peu de phoques du Groenland, mais c’étaient toujours des individus qui étaient seuls sur la glace, on n’a vu aucune femelle avec un jeune », dit Joanie Van de Walle.

Le 27 février et le 2 mars, une équipe de l’Institut Maurice-Lamontagne a survolé le sud du golfe du Saint-Laurent en hélicoptère, mais n’a observé aucun signe de mise bas.(Photo : Joanie Van de Walle)

Bien que la scientifique admette qu’il soit possible que son équipe ait manqué certaines mises bas en raison du temps de vol limité et de l’impossibilité de ratisser l’ensemble du golfe, elle croit qu’il est plus plausible que les mouvées de phoques se trouvent plus au nord.

« Lors des hivers de très mauvaises glaces, les phoques du Groenland iraient mettre bas ailleurs, plus au nord, là où les conditions de glaces sont meilleures », fait-elle remarquer. « Par contre, cette année, les conditions de glaces ne sont pas très bonnes non plus dans le nord du golfe, au large de Terre-Neuve. »

Les eaux du golfe du Saint-Laurent sont actuellement libres, alors qu’historiquement, une banquise s’y formait. (Photo : Environnement et Changement Climatique Canada)

D’autres équipes de Pêches et Océans devraient procéder à des survols la semaine prochaine pour tenter de repérer les phoques au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador. Traditionnellement, les mises bas y ont lieu deux semaines plus tard que celles dans le sud du golfe.

Toutefois, les observations pourraient être ardues si les glaces propices à la mise bas sont trop éloignées des côtes, car les aéronefs utilisés pour ces vols à basse altitude ont une quantité de carburant limitée.

« Ils pourraient être très limités dans leur capacité d’aller les voir », indique Joanie Van de Walle. « Les phoques vont peut-être se trouver au-delà de la limite où ils peuvent faire des observations. »

La faible couverture de glaces solides favorise une mortalité élevée des jeunes phoques. (Photo d’archives/Tourisme Îles-de-la-Madeleine)

Mortalité massive?

Selon la biologiste Joanie Van de Walle, une mortalité massive des blanchons a déjà été observée lorsque l’état des glaces était mauvais, notamment en 2010.

« On pense que, lorsque les conditions de glace sont mauvaises, les femelles iraient quand même mettre bas sur les morceaux de glaces de mauvaise qualité, mais, lorsqu’il y a des tempêtes ou que la glace fond, les jeunes peuvent se noyer et ça résulte en une mortalité massive », explique-t-elle.

En l’absence de glaces, est-ce que les femelles pourraient même être contraintes de mettre bas dans l’eau, causant la mort immédiate de leur rejeton qui ne peut nager dès la naissance?

La biologiste ne peut répondre à cette question avec certitude.

« On ne sait pas vraiment ce que les femelles font », admet Mme Van de Walle. « Peut-être que cet été, on va observer des blanchons qui vont s’échouer sur les berges dans le sud du golfe, ça pourrait nous donner une indication qu’il y a eu quelques naissances cette année quand même, mais c’est plus probable, selon nous, que [les mères] soient montées au nord pour aller chercher des conditions de glaces meilleures pour donner naissance. »

Les phoques du Groenland pourraient-ils donner naissance sur la terre ferme?

Le directeur de l’Association des chasseurs de phoque intra-Québec, Gil Thériault, est d’avis que le phoque du Groenland pourrait s’adapter à l’absence de glaces et aux changements climatiques.

« Selon moi, c’est assez clair que le phoque du Groenland va s’adapter assez rapidement », croit-il. Il va rester dans le nord plutôt que de venir dans le golfe, et si les glaces ne sont même pas assez suffisantes là, il va mettre bas sur les berges assez rapidement comme son cousin, le phoque gris, l’a appris très rapidement. »

Cette hypothèse n’est toutefois pas confirmée par des observations scientifiques.

« Pour l’instant, on n’a jamais fait d’observation de mise bas de phoque du Groenland sur la terre ferme », indique Joanie Van de Walle.

La biologiste précise que tout le cycle de vie du phoque du Groenland est intimement lié à la présence de glaces, contrairement à celui du phoque gris. Ce dernier passe l’année entière dans le golfe du Saint-Laurent, alors que le phoque du Groenland, comme son nom l’indique, passe la majeure partie de l’année au large des côtes du Groenland, dans la baie de Baffin ou le détroit de Davis, et descend dans le golfe l’hiver venu.

Fin d’une époque pour les chasseurs

Pour le directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec, les conditions actuelles donnent à penser que la chasse annuelle au phoque du Groenland au large des Îles-de-la-Madeleine est chose du passé.

Selon M. Thériault, les dernières grandes excursions de chasse au phoque du Groenland sur la banquise, autour de l’archipel, remontent à 2008.

Il croit tout de même que l’activité traditionnelle, qui a permis aux insulaires de survivre durant des décennies, pourra se pratiquer sporadiquement.

« Peut-être une année sur cinq, une année sur huit, à condition que le phoque du Groenland ne perde pas complètement l’habitude de venir dans le golfe, ce qui est possible aussi », souligne-t-il. « C’est à voir, ce n’est pas facile de faire des prédictions. On sait que la nature change rapidement et énormément.

Gil Thériault ne croit pas que l’absence de glaces soit une menace pour le phoque du Groenland, dont le nombre d’individus est estimé à 4,7 millions d’individus dans l’Atlantique Nord-Ouest.

« Je n’ai pas vraiment de craintes pour la survie du phoque, c’est un animal qui est très intelligent, très adaptable », croit M. Thériault.

Par ailleurs, l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec demande à Ottawa de mettre à jour la réglementation entourant la chasse.

Selon Gil Thériault, cette réglementation n’est plus à jour, car elle a été mise en place pour la chasse au phoque du Groenland, sur la banquise, alors que c’est dorénavant le phoque gris qui est le plus chassé dans le golfe, directement sur la terre ferme.

« Il y a une résistance de Pêches et Océans pour réviser les règlements, mais il faut absolument le faire parce que là, on est complètement à côté de la track avec le phoque gris », déplore-t-il.  « Le phoque gris est là à l’année, donc on peut le chasser presque annuellement. »

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Isabelle Larose, Radio-Canada

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