Inclure les Inuit dans l’extraction minière : le défi de Raglan au Nunavik
Au beau milieu de la toundra arctique du Nunavik, l’immense installation de la mine Raglan détonne dans un paysage presque lunaire. La mine de nickel existe depuis 1997, et ses opérations se poursuivront pour au moins une autre vingtaine d’années.
Au cœur de sa stratégie de développement se trouve l’intégration des employés inuit dans les opérations de la mine avec des emplois bien payés et de réelles possibilités d’avancement. Il s’agit là d’une des conditions de l’entente qui lie la minière et la corporation Makivvik, qui représente les Inuit du Nunavik.
Parmi ces employés inuit, se trouve David Junior Angutinguak, de la communauté d’Aupaluk. Nous le rencontrons à la fin de son long quart de travail, casque et lampe frontale en main. Le mineur fait partie des quelque 210 employés inuit de la mine, soit 17,5 % des effectifs.
Il ne le cache pas, le travail est difficile, mais valorisant et, surtout, très payant. Son bon salaire, bien supérieur aux emplois disponibles dans sa communauté, fait partie des raisons pour lesquelles il s’engage à fond dans son métier.
« De la façon dont je le vois, c’est bon pour tout le village. Tu reçois de l’argent de l’extérieur et tu contribues ensuite dans ta communauté. C’est bon pour l’économie », dit-il.
« Je peux dépenser mon argent pour ma famille, mes neveux. C’est vraiment concentré sur la famille », ajoute David Junior.
Comme de nombreux employés, il travaille en rotation sur un horaire de deux semaines de travail, suivi de deux semaines de congés. Le quotidien à la mine peut être éprouvant, mais avoir autant de temps pour faire ce qu’il aime ensuite en vaut la peine selon lui.
« Tout mon temps libre est concentré sur la chasse et la pêche sur le territoire. L’équilibre est là entre la vie de travailleur et [celle] de chasseur », raconte David Junior Angutinguak.
Un programme adapté
Un peu plus loin dans les installations de la mine, des géologues analysent des carottes de minerai, prélevées aux alentours. On y retrouve Jimmy Uqaituk, employé de Raglan depuis 2001.
Maintenant technicien au département de géologie, il a gravi les échelons un à un depuis son embauche grâce au programme Tamatumani, qui signifie « un second départ ».
Le programme a été créé afin de favoriser l’ascension des employés inuit dans l’entreprise grâce à des formations adaptées dans de nombreux secteurs miniers. Jimmy Uqaituk a pu profiter de ce programme, qui lui a ouvert les portes de la « carottière ». C’est comme une deuxième maison pour lui et il parle avec grand intérêt du potentiel de sa région.
« Parfois, on cherche à un endroit, et on trouve de l’or. On a beaucoup de minerai entre Akulivik, Salluit et Kangiqsujuaq, comme du nickel, du lithium, de l’or. Il y a aussi de l’uranium. On a une des plus vieilles terres au monde », dit Jimmy Uqaituk, qui a peaufiné sa maîtrise du français en compagnie de ses collègues.
Ce programme de formation interne est pour lui une solution prometteuse face au manque d’offres de formations professionnelles dans la région.
Bien souvent, les Inuit doivent s’exiler hors du Nunavik pour obtenir un diplôme professionnel, qui donne généralement accès à ces emplois mieux rémunérés.
Augmenter la proportion
Avant la pandémie de COVID-19, 250 Inuit travaillaient à la mine Raglan. Ce nombre a progressivement chuté à 210 en 2022. Les chiffres sur l’emploi à Raglan pour 2023 seront connus sous peu.
Cette baisse importante serait due aux différentes restrictions sanitaires, qui auraient découragé une portion des employés à venir travailler à Raglan à partir de 2020.
« Vous savez, le Nord a été fermé, donc la main-d’œuvre est retournée chez elle. Plusieurs ont décidé de ne pas revenir par après […] On est vraiment en mode réembauche », souligne le vice-président de la mine Raglan, Pierre Barrette.
L’entreprise multiplie ses efforts pour recruter directement dans les villages. Des agents de recrutement, issus des communautés, y sont envoyés régulièrement pour faire la promotion des différents corps de métiers.
La conseillère en recrutement dans le programme de Tamatumani, Jeannie Kakayuk-Puxley, y participe.
La formule d’embauche de la mine, adaptée à la réalité inuit, est gagnante selon elle.
« Ils n’ont pas besoin de beaucoup d’études […] Quand on voit qu’ils ont du potentiel et de la volonté, ils vont toujours progresser au sein de la compagnie », indique-t-elle.
La baisse récente du nombre d’employés inuit est difficile à expliquer d’après elle. Il est possible que certains travailleurs inuit vivent un certain choc en arrivant dans une installation de cette ampleur.
« C’est un défi parfois de venir d’une communauté de 300 personnes, et d’arriver à la mine où il y a plus de 800 personnes à la fois. C’est beaucoup », souligne Jeannie Kakayuk-Puxley.
« Quand ils voient qu’il y a beaucoup d’Inuit qui travaillent avec eux, ça met l’accent sur la communauté, et ça soulage », ajoute-t-elle.
Parmi les petits réconforts qui facilitent l’intégration des employés inuit, une cuisine leur a été dédiée. On y retrouve de la viande de caribou et d’autres gibiers. Les employés peuvent donc partager des repas traditionnels et avoir le sentiment d’être chez eux, dans un contexte industriel si éloigné de leur réalité.