Marie Wilson : « Pour que les survivants aient toujours le dernier mot »
![Marie Wilson porte une veste rose, des boucles d'oreilles perlées et une broche symbolisant un chandail orange pour la journée de commémoration des survivants de pensionnats pour Autochtones.](https://www.rcinet.ca/regard-sur-arctique/wp-content/uploads/sites/31/2024/10/marie-wilson.jpg)
Tout est trop lent pour moi, mais des gestes et des actions me donnent l’espoir que nos jeunes vont faire mieux que nous avons fait comme adultes.
Marie Wilson, l’une des trois commissaires de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR), a foi en l’avenir et en la jeunesse, même si les progrès sont lents. Pour la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, elle a donné une grande entrevue à la journaliste et présentatrice du Téléjournal, Céline Galipeau.
Marie Wilson estime que les Canadiens ne mesurent pas encore assez le poids que représente la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, qui, depuis 2021, a lieu le 30 septembre. Mais elle nuance : cette journée n’existait pas il y a cinq ans.
Maintenant, c’est l’occasion à chaque fois d’apprendre cette partie de notre histoire! lance-t-elle.
Près de Marie Wilson : le livre qu’elle a publié cette année, North of Nowhere, qui, avec de nombreux détails et souvenirs, revient sur les six années passées à sillonner le pays et à écouter les milliers de survivants de pensionnats qui sont venus, courageusement, raconter leurs souffrances, leurs histoires.
Les maux entendus en mots sur papier
Mettre en mots ces maux entendus était un moyen de ne rien oublier, mais aussi un processus de guérison, car ces rencontres étaient chargées.
Après avoir entendu près de 7000 survivants de pensionnats pour Autochtones, mais aussi leur famille, les commissaires Murray Sinclair, Wilton Littlechild et Marie Wilson ont déposé leur rapport avec 94 appels à l’action en 2015.
Je voulais vraiment que les gens aient le courage de se plonger dans les détails et qu’ils se rappellent que la CVR existe grâce aux survivants. Ils ont lutté dans les tribunaux pour l’avoir. Ils ont insisté pour avoir ce forum afin que leurs expériences et vécus soient enregistrés et gardés pour toujours, poursuit-elle.
En effet, la CVR a été mise sur pied dans la foulée de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, qui a permis de régler les multiples recours collectifs.
Le gage, selon les survivants, était que [la CVR] pourrait contribuer à leur guérison, celle de leur famille, de leur communauté et, pour plusieurs, à la guérison de l’ignorance de notre pays et mettre le Canada sur un meilleur chemin! Et c’est ça que je vois petit à petit, très lentement.
De plus, la Commission a « eu comme effet d’ouvrir quelques portes et de frapper à d’autres » pour qu’elles s’entrouvrent. Des organisations, des associations font des efforts, précise-t-elle, prenant pour exemple l’Association médicale canadienne (AMC) qui vient de présenter des excuses officielles pour son rôle et celui de la profession médicale dans les préjudices passés et présents causés aux Autochtones au sein du système de santé canadien.
Elle émet néanmoins un bémol.
Cela doit dépasser des excuses, c’est sûr et certain. Sinon, ça devient juste un autre dommage. Mais si les gens font vraiment autrement, [c’est bien]. Qu’ils le fassent plus vite. C’est ça, mon espoir.
Le code du silence au sein de sa famille
Marie Wilson a découvert les pensionnats et ses répercussions sur le plan large d’abord, puis plus intime, personnel. Alors journaliste, elle faisait beaucoup de reportages dans le Grand Nord et le nord du Québec et avait constaté la situation et les défis dans les communautés.
Mais les gens n’en parlaient pas; on ne savait pas trop pourquoi, résume-t-elle.
Lorsque les premières plaintes sont arrivées devant les tribunaux, la parole a commencé à se libérer pour comprendre les pensionnats et leurs legs. C’est là que son mari, le Déné et ancien premier ministre des Territoires du Nord-Ouest Stephen Kakfwi, a commencé à parler, après 15 ans de mariage. Originaire de Fort Good Hope, il a été envoyé dans un pensionnat pour Autochtones quand il avait 9 ans. Et il n’était pas exceptionnel que ces récits arrivent si tardivement.
Soit les enfants ne parlaient pas, soit ils avaient essayé enfant, mais personne ne les croyait, ou bien ils s’exprimaient, mais on les punissait davantage ou, [devenus adultes], ils voulaient sauvegarder leurs enfants en ne leur racontant pas des choses qui pouvaient les endommager, dit Marie Wilson. Il y avait un code du silence autour de ça pendant des décennies.
Cette « conversation nationale » pendant la CVR a permis d’ouvrir « les armoires » de leur vie pour raconter leur réalité.
Beaucoup de mariés ont dit : je ne l’ai jamais raconté à mon époux, mon épouse, mes enfants. C’était comme une libération pour dire la vérité et mettre de côté un fardeau qu’ils traînaient depuis des décennies, spécifie-t-elle.
![Le livre North of Nowhere posé sur une table.](https://www.rcinet.ca/regard-sur-arctique/wp-content/uploads/sites/31/2024/10/north-of-nowhere.jpg)
Page après page, elle raconte les horreurs que les enfants ont subies, les milliers de témoignages entendus pendant six ans à sillonner le pays. Cependant, Marie Wilson a écrit ce livre parce que « dans tout cela, il y a beaucoup d’espoir, de courage, d’inspiration et d’attente que le gouvernement, les Églises et la société plus largement réagissent et agissent à partir de maintenant d’une manière plus appropriée, plus juste, plus légale », dit-elle.
Marie Wilson a réussi à écouter, à passer à travers les récits douloureux et horribles avec toujours la même écoute, car elle n’était là que pour écouter et témoigner de ce que ces aînés, devant elle, ont subi lorsqu’ils étaient enfants.
Un des souvenirs le plus touchant? Elle n’ose le qualifier de pire, mais elle souffle le mot. Pire et touchant. Quand les enfants s’occupaient, protégeaient d’autres enfants, les plus petits. Elle se rappelle les jeunes qui s’occupaient d’une petite fille très malade et qui n’a pas survécu, sans compter les expérimentations médicales faites sur les enfants.
C’est vraiment une trahison de l’enfance de notre part, insiste Marie Wilson.
Le dernier mot
Marie Wilson rappelle l’une des raisons du choix du 30 septembre pour la Journée de la vérité et de la réconciliation. C’est le mois où les enfants étaient enlevés à leurs parents pour aller dans les pensionnats pour des mois, voire des années.
Un survivant nous a dit que c’est le mois où tout le monde pleurait, un mois très triste. Il disait même que, dans les communautés, c’était tellement vidé d’enfants que même les chiens pleuraient, raconte Marie Wilson.
Questionnée sur ceux qui nient la réalité des pensionnats et des enfants disparus, Marie Wilson répond en leur demandant pourquoi ils ne sont pas venus poser des questions lors des passages de la CVR.
Pourquoi venir se manifester quand il y a du changement et du progrès? poursuit-elle, avant de préciser qu’elle n’avait pas de temps à investir dans ce domaine et qu’elle préfère consacrer son énergie aux survivants; à ceux qui posent des actions, des gestes.
« Je veux que les survivants aient toujours le dernier mot, et c’est ce que j’offre dans mon livre », conclut-elle avec pudeur.
Marie Wilson siège au conseil d’administration de CBC/Radio-Canada depuis 2017.
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