Une enquête indépendante sur les enfants autochtones disparus réclamée
L’interlocutrice spéciale indépendante pour les lieux de sépulture non marqués autochtones, Kimberley Murray, a présenté son rapport final.
Elle affirme que le Canada a l’obligation légale internationale de mettre en place une commission d’enquête indépendante sur les enfants autochtones disparus et sur les sépultures anonymes. Selon elle, de nombreux enfants ont « en fait été portés disparus par l’État ».
Devant des survivants de pensionnats pour Autochtones, des chefs autochtones et des défenseurs des droits des Autochtones réunis à Gatineau, au Québec – et devant une chaise vide pour honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés chez eux –, Mme Murray a présenté son rapport et proposé un cadre de réparation dirigé par les Autochtones.
Qu’ils aient été envoyés dans des pensionnats pour Autochtones, des hôpitaux, des sanatoriums, des établissements psychiatriques, des orphelinats ou des institutions pour handicapés, pour elle, nul doute : les enfants autochtones étaient confiés aux soins du gouvernement.
Ces enfants sont morts lorsqu’ils étaient sous la garde de l’État canadien, a affirmé Kimberly Murray. J’exhorte le gouvernement fédéral à honorer ses obligations légales, morales et éthiques conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, aux lois autochtones, aux lois internationales sur les droits de la personne et aux lois pénales.
Elle a noté les domaines à améliorer dans le droit canadien et a formulé des recommandations pour ce nouveau cadre juridique fédéral.
Trop souvent, les gouvernements ne mettent pas en œuvre les recommandations. J’ai donc choisi d’établir les obligations légales, morales et éthiques des gouvernements, des églises et d’autres institutions. Ce rapport final nomme 42 obligations qui doivent être respectées dans un cadre de réparation dirigé par les Autochtones pour la vérité, la responsabilité, la justice et la réconciliation, a-t-elle dit en présentant son rapport au ministre fédéral de la Justice, Arif Virani.
Le rapport arrive à trois principales conclusions :
- de nombreux enfants disparus ont en fait été portés disparus par l’État;
- il est urgent de créer une commission d’enquête sur les enfants autochtones disparus et sur les sépultures anonymes;
- il existe une culture de l’amnistie et de l’impunité au Canada.
Le ministre Virani a reçu le document et l’a décrit comme l’aboutissement de deux années de travail inlassable et émotionnel visant à remédier à l’héritage incroyablement néfaste des pensionnats au Canada.
Nous allons tous lire son contenu et ses recommandations avec beaucoup d’intérêt et d’attention afin de réfléchir à la manière dont nous allons avancer ensemble. Ce travail nécessitera du temps et une coopération entre les gouvernements fédéral, autochtones et provinciaux, les communautés et les institutions religieuses entre autres, a-t-il précisé.
« Nous continuerons à travailler ensemble pour remodeler notre fondation et faire en sorte que les voix des enfants autochtones ne soient plus jamais réduites au silence, a ajouté le ministre Virani.
Lutter contre l’amnistie et l’impunité
Kimberly Murray a martelé que l’amnistie de fait et la culture d’impunité systématique entretenues par le Canada ont permis de mettre à l’abri de toute responsabilité presque tout le monde, y compris les décideurs. Seul un petit nombre de personnes qui ont commis des crimes contre des enfants autochtones dans un pensionnat pour Autochtones ont été poursuivies.
De facto, le gouvernement fédéral a donc adopté une autoamnistie générale illimitée, inconditionnelle, une amnistie des colons, a-t-elle répété. Et cela a créé une culture d’impunité institutionnelle et individuelle.
C’est l’heure, pour le Canada, de changer de cette culture d’amnistie et d’impunité à une culture de responsabilité et de justice. Cela commence par un cadre de réparation approprié dirigé par les Autochtones, a indiqué Kimberly Murray.
Ce cadre de réparation dirigé par les Autochtones doit être indépendant. Si le Canada a, selon elle, l’obligation juridique internationale d’établir la vérité, de tenir les auteurs responsables de ce qui est arrivé aux enfants, aux familles et à leurs communautés, et d’accorder des réparations, il « ne peut pas enquêter sur ses propres méfaits », a-t-elle estimé.
Selon elle, « un cadre de réparation au Canada doit être élaboré dans une optique anticoloniale qui souligne l’importance des lois autochtones, des droits de la personne internationaux et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ».
Elle a mentionné plusieurs obligations qui sont dans ce cadre, notamment la souveraineté des données autochtones, la décolonisation des archives, la protection des lieux de sépultures, l’adoption d’une loi fédérale sur le droit à la vérité, le rapatriement des terres, la guérison et les soins de santé fondés sur la résilience, des excuses, l’adoption de lois sur la commémoration nationale et la mémoire ainsi que la modification du Code criminel.
Pour Kimberly Murray, « la lutte contre l’amnistie et l’impunité des colonisateurs nécessite non seulement des réformes juridiques, politiques et institutionnelles systémiques et structurelles, mais aussi un changement sociétal anticolonial et transformateur ». Elle demande aux Canadiens de s’investir et de s’éduquer davantage.
Pour faire avancer la réconciliation, collectivement, les Canadiens ne peuvent plus être spectateurs, a expliqué l’interlocutrice spéciale pour les lieux de sépulture non marqués autochtones.
Kimberly Murray a rappelé qu’avant tout, il faut continuer d’écouter les survivants de pensionnats, notamment en luttant contre le négationnisme.
Les survivants partagent ces vérités depuis des décennies, mais leurs témoignages ont été rejetés ou ignorés. Ils sont aussi à l’avant-garde de la défense et de la responsabilisation du gouvernement fédéral pour ces préjudices, a-t-elle ajouté.
Mme Murray a entamé sa présentation avec la projection d’une vidéo poignante, ponctuée de photos et de témoignages de plusieurs survivants de pensionnats pour Autochtones provenant de partout dans le Canada. Parmi eux, l’Anishinabeg Norman Kistabish, l’ancien chef de la Première Nation de Fort Albany, Edmund Metatawabin, l’Inuk Piita Irniq, ainsi que des jeunes expliquant les impacts qu’ont eus sur eux les traumatismes vécus dans les pensionnats.
En 2022, Ottawa a nommé Kimberly Murray à titre d’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats pour Autochtones pour un mandat de deux ans.
Son mandat était de travailler avec les survivants des pensionnats et avec les communautés afin de recommander un cadre juridique à Ottawa pour un traitement respectueux et adapté à la culture des tombes et des sépultures anonymes sur les sites d’anciens pensionnats.
Le rapport prévient : ce « cadre de réparation n’est pas un modèle unique; il s’agit d’un cadre inclusif et souple qui peut être adapté pour répondre aux besoins particuliers des survivants, des familles autochtones et des communautés de diverses nations autochtones du pays ».
En juillet, Kimberly Murray a publié un rapport préliminaire baptisé Lieux de vérité, Lieux de conscience, qu’elle a présenté comme « un antidote au négationnisme ». La décision a été prise de publier des photos inédites pour faire taire ceux qui remettent en cause la mort des enfants autochtones dans les pensionnats.
Selon elle, ce rapport préliminaire permet d’asseoir l’idée que les Autochtones ont été victimes d’un génocide.
Dans un rapport provisoire en juin 2023, elle avait fait notamment état de l’accès difficile aux documents officiels qui rend le fardeau encore plus lourd pour les familles des victimes.
Pendant un siècle et demi, plus de 150 000 enfants des Premières Nations, métis et inuit ont été arrachés à leurs familles et placés dans des pensionnats dirigés par l’Église et financés par le gouvernement. En 2021, le Centre national pour la vérité et la réconciliation avait documenté plus de 4100 décès d’enfants dans ces pensionnats.
Quatre questions à Kimbely Murray :
- L’enquête a-t-elle contribué à créer un espace de guérison et de réflexion, à l’instar de celle de la Commission sur la vérité et la réconciliation?Absolument, j’ai organisé six rassemblements nationaux au cours desquels des survivants et des membres de la communauté se sont réunis. Ils disent tous qu’il est très réconfortant pour eux de se réunir et de continuer à partager leurs expériences dans ces institutions, d’être ensemble, de se soutenir mutuellement et de partager les choses qu’ils font dans leurs communautés pour retrouver les enfants disparus et effacés.
- Parmi les recommandations que vous formulez dans le rapport final figure la création d’une commission d’enquête nationale. Pourquoi est-ce nécessaire?Le Canada a commis des violations massives des droits de la personne et maintenant nous ne pouvons pas le laisser enquêter. Le Canada ne peut pas enquêter sur lui-même, car il est l’auteur de ces crimes. Nous avons donc besoin de cette commission d’enquête indépendante, dirigée par des Autochtones, pour faire le travail.
- Vous avez justement déploré la portée limitée de vos pouvoirs d’enquête durant votre présentation. Quels pouvoirs d’enquête accrus devraient donc être accordés aux communautés autochtones à cet égard?Des pouvoirs de contraindre à la production de documents et de documents d’archives. Parce que les archives ne fournissent pas de dossiers. Les lois coloniales empêchent les communautés de consulter les dossiers. Toutes ces lois protègent les gouvernements. Nous avons aussi besoin d’un commissaire d’enquête qui a le pouvoir de pénétrer dans les propriétés privées et dans les terres de la Couronne afin de pouvoir mener les enquêtes et les recherches qui s’imposent sur le terrain.
- Durant votre présentation, vous avez réitéré les obligations internationales auxquelles est assujetti le Canada et qui doivent les pousser à l’action. Quelles sont ces obligations et quels sont les mécanismes potentiels d’imputabilité sur la scène internationale?En ce qui concerne les personnes disparues, le Canada a l’obligation de soutenir les recherches et d’enquêter sur les personnes disparues, et il ne l’a pas fait. Nous avons la Cour pénale internationale, mais elle a refusé de venir au Canada pour enquêter sur les enfants disparus. J’ai rédigé mon rapport pour faire valoir l’argument juridique selon lequel ils ont commis une erreur, car ce dont nous avons besoin, c’est qu’ils viennent enquêter sur les disparitions forcées. Il existe également un groupe de travail des Nations unies contre les disparitions forcées. Ce groupe n’est jamais venu au Canada. Nous devons l’encourager à venir au Canada et à mener une enquête et à faire rapport aux Nations unies sur ce que le Canada a fait et sur la manière dont il a manqué à ses obligations en vertu des lois internationales de l’ONU.
Avec les informations de Simon Filiatrault
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