Arctique canadien : les services de santé mentale du Nunavut insuffisants pour les jeunes
Les services de santé mentale offerts au Nunavut, dans le Nord canadien, ne répondent pas suffisamment aux besoins des jeunes et des enfants, déplore un récent rapport de la représentante de l’enfance et de la jeunesse du territoire qui lève le voile sur l’état « inacceptable » du système de santé.
« Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les résultats s’améliorent sans investir de façon importante et sans changer la manière dont nous répondons aux besoins en santé mentale des jeunes [Inuits du Nunavut] », écrit la représentante de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut, Sherry McNeil-Mulak, dans son rapport de 56 pages (en anglais) rendu public mercredi.
Peur d’un manque de confidentialité, mauvaises expériences avec les travailleurs de la santé, manque de connaissances sur les types de services offerts… Les lacunes du système de santé du Nunavut nuisent à la santé mentale des jeunes et des enfants, conclut le document.
Cet état des lieux correspond à la première étude systémique menée par le bureau de la représentante de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut, un organe indépendant créé en 2015 et dont le mandat est de veiller à ce que le gouvernement territorial protège les droits et les intérêts des jeunes Nunavutois.
Un système de santé « inadéquat »
Jusqu’à environ 70 % des problèmes de santé mentale commencent durant l’enfance ou l’adolescence, selon la Commission de la santé mentale du Canada. Entre le 1er avril 1999 et le 31 décembre 2017, 545 décès au Nunavut étaient associés à des suicides, souligne le rapport. Plus de 60 % de ces cas concernaient des Inuits de moins de 25 ans.
« Bien que des initiatives positives et des personnes dévouées travaillent pour fournir des services de santé mentale aux jeunes de tout le territoire, le système actuel est inadéquat et ne répond pas aux besoins des enfants et des jeunes du Nunavut », mentionne Sherry McNeil-Mulak dans son analyse.
Les 15 recommandations émises à l’issue de cette enquête vont de l’amélioration des services de santé mentale dans les écoles au financement de programmes collégiaux du Nunavut, et ce, dans l’optique de limiter la main-d’œuvre transitoire au territoire, en passant par l’inclusion des aînés dans les services offerts aux jeunes et aux enfants. Le rapport propose aussi de modifier la Loi sur la santé mentale afin que la famille d’une personne qui a tenté de se suicider ait accès à du soutien psychologique.
À la lumière de ces recommandations, le gouvernement du Nunavut a fait savoir dans un échange de courriels qu’il « les utilisera pour informer et réviser les pratiques gouvernementales à venir, combler les lacunes et orienter les actions futures en faveur de la santé mentale des enfants et des jeunes ».
Pour mener cette étude, les experts du bureau de la représentante de l’enfance et de la jeunesse ont interrogé 475 participants, parmi lesquels figuraient 225 jeunes de 16 ans et plus ainsi que des travailleurs en santé mentale, des fonctionnaires et des membres d’organisations représentant les Inuits. Leur analyse a aussi porté sur la couverture médiatique des enjeux de santé mentale chez les enfants et les jeunes au Nunavut de 2008 à 2017.
Le rapport dresse par ailleurs un lien entre des problèmes de santé mentale et différents déterminants sociaux de la santé des Inuits, dont l’insécurité alimentaire, le surpeuplement des logements, la violence familiale, l’isolement, l’intimidation et les agressions sexuelles. En 2016, 39 % des Inuits du Nunavut résidaient dans un logement surpeuplé, contre 4 % pour les non-Autochtones, selon Statistique Canada.
Sherry McNeil-Mulak estime que différentes pratiques découlant de la colonisation ont compromis la langue, la culture, la spiritualité, les traditions et les croyances des Inuits, qui contribuent selon elle au renforcement de la confiance en soi, de l’identité et d’un sentiment d’appartenance. Elle cite, à titre d’exemple, « les déportations, les pensionnats, l’abattage de chiens, les déménagements forcés liés à la tuberculose et l’utilisation d’un système d’identification pour les Inuits ».
Manque de services de santé mentale dans les écoles
Le bureau de la représentante de l’enfance et des jeunes met aussi l’accent sur le manque criant de travailleurs en santé mentale dans les écoles du territoire. « Au moment de mener cette étude, les écoles du Nunavut n’offraient aucun service clinique de santé mentale », lit-on dans son analyse.
Certains jeunes interrogés ont déploré que les conseillers en orientation soient les seules personnes vers qui se tourner. « Ce serait encore mieux d’avoir un travailleur [spécialisé] en santé mentale dans notre école secondaire », estime un jeune participant interrogé.
« Les ministères de l’Éducation et de la Santé travaillent ensemble à la mise en place d’un projet pilote de formation qui donnera aux travailleurs en santé mentale et aux Ilinniarvimmi Inuusilirijiit (conseillers scolaires communautaires) les compétences et la confiance nécessaires pour intervenir auprès des enfants et des adolescents », a mentionné la porte-parole du gouvernement territorial, Angela A. Petru, dans un échange de courriels.
Le gouvernement du Nunavut a aussi fait savoir qu’il préparait une stratégie territoriale en matière de santé mentale et de dépendances dont l’objectif sera notamment d’accroître le nombre de postes en santé mentale occupés par des Inuits.
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