Un enseignant d’inuktitut à Paris récompensé par un prix canado-français

L’enseignant d’inuktitut Marc-Antoine Mahieu a reçu mercredi, à Paris, le prix Samuel de Champlain, qui est remis à des Français et des Canadiens qui ont contribué à la diffusion de leur culture respective. (Courtoisie de Vincent Baillais)
Un enseignant d’inuktitut à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), à Paris, est l’un des lauréats du prix Samuel de Champlain, décerné chaque année à un Français et un Canadien qui ont contribué à la diffusion de leur culture respective.

« C’est une occasion formidable de faire parler de l’inuktitut et des langues autochtones du Canada », soutient le maître de conférences à l’INALCO et professeur associé au Département d’anthropologie de l’Université Laval, Marc-Antoine Mahieu, joint à Paris, où il a reçu le prix mercredi soir.

L’inuktitut – un dialecte de la langue inuit – est enseigné à l’INALCO depuis la fin des années 1980, mais c’est depuis 2008 que le linguiste français Marc-Antoine Mahieu en assure l’enseignement.

La formation, qui se déroule sur un minimum de quatre ans, comprend notamment des cours théoriques, de grammaire, de traduction, d’histoire et d’anthropologie. Tous sont focalisés sur l’inuktitut du Nunavik, la région inuit du Nord québécois.

L’inuktitut est l’un des dialectes de la langue inuit qui regroupe le plus grand nombre de locuteurs au Canada. (Marc Godbout/Radio-Canada)
Des étudiants… de l’autre côté de l’Atlantique

L’INALCO est un établissement d’enseignement supérieur, pourtant, les cours de Marc-Antoine Mahieu n’ont rien de classes typiques de jeunes universitaires. « Cette année, j’ai une quarantaine [d’étudiants]; une demi-douzaine [sont] à Paris, et tous les autres, au Canada », explique-t-il. La majorité des étudiants suivent ses cours de langue par visioconférence, à raison d’une fois par semaine.

Médecins, scientifiques, employés de la Direction de la protection de la jeunesse… Les étudiants exercent, pour la plupart, une profession qui gravite autour de locuteurs de l’inuktitut. « Les profils [des étudiants] sont très variés; il y a beaucoup de gens qui travaillent dans le domaine de la santé et des services sociaux », précise-t-il.

Le linguiste reconnaît qu’il est surprenant que ce dialecte soit enseigné à Paris, où les étudiants ont peu de chances de le mettre en pratique. « En réalité, les occasions d’interagir vraiment au jour le jour en inuktitut avec les gens sont limitées », admet-il. Mais selon lui, l’objectif est avant tout de comprendre l’inuktitut.

« Le principal enjeu, c’est d’entrer progressivement et intelligemment dans la compréhension d’un univers linguistique passionnant et très éloigné du nôtre. »

Marc-Antoine Mahieu, maître de conférences à l’INALCO

Selon le recensement de 2016, l’inuktitut compte environ 39 770 locuteurs au Canada, dont 65 % habitent dans le territoire du Nunavut et 30,8 % au Québec. Le dialecte présente toutefois plusieurs nuances d’une région à une autre du pays.

Selon Statistique Canada, près de 31 % des locuteurs de l’inuktitut au Canada se trouvent au Nunavik, la région inuit du nord du Québec. (Matisse Harvey/Regard sur l’Arctique)
Enseigner un dialecte inuit, en tant que non-Inuit

Marc-Antoine Mahieu admet avoir plusieurs fois justifié sa démarche d’enseignement auprès de personnes qui lui reprochaient d’enseigner un dialecte qui ne fait pas partie de sa culture.

« L’immense majorité des Inuit qui le savent et avec qui j’en ai parlé étaient fiers que l’inuktitut soit enseigné à Paris par quelqu’un comme moi qui y consacre sa vie et qui aime cette langue », affirme-t-il.

L’enseignant n’a jamais élu domicile au Nunavik, mais il se rend régulièrement dans la région pour y entreprendre des séjours de recherche et des collaborations avec des Inuit. « En faisant ça, j’ai déjà beaucoup plus de matériaux qu’il n’en faut pour progresser tranquillement dans la constitution de matériel pédagogique valable », soutient-il.

« Il y a une espèce de mythe qui fait croire que ce sont les gens qui ont passé 20 ans sur le territoire qui sont les plus capables. On peut passer 10 ans au Nord et passer complètement à côté! »

Marc-Antoine Mahieu, maître de conférences à l’INALCO
Préservation de la langue

Plusieurs linguistes et experts inuit s’inquiètent de la survie de la langue inuit au Canada, qui perd graduellement du terrain au profit de l’anglais. En 2016, la langue inuit était la langue maternelle de 65 % des Inuit du Nunavut, alors qu’elle était près de 72 % en 2001, selon Statistique Canada.

Certains experts inuit préconisent même une mobilisation politique des parents et des enseignants pour assurer la pérennité de la langue inuit.

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Les Inuit du Nunavut, un territoire de l’Arctique canadien, sont de moins en moins nombreux à avoir comme langue maternelle la langue inuit. Pour assurer la survie à long terme de cette langue, plusieurs experts croient que les enseignants du territoire auront à s’impliquer politiquement et que les parents devront réaliser l’importance de transmettre leur dialecte à leurs enfants. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

« Ce que je veux toujours mettre en avant, c’est qu’il faut d’abord laisser parler les Inuit sur ces questions-là, mais à titre personnel, et ça n’engage que moi, je pense qu’en enjeu fondamental c’est véritablement l’éducation, c’est-à-dire de construire un vrai curriculum de langue inuit pour les écoles », croit-il.

Le prix Samuel de Champlain est décerné chaque année depuis 1997 par l’Institut France-Canada, la branche canadienne du Cercle France-Amériques. À l’occasion de l’Année internationale des langues autochtones, les lauréats sont des personnalités qui se sont démarquées dans la promotion et la préservation de langues autochtones.

La poète innue Joséphine Bacon est la lauréate canadienne, mais aussi la première Autochtone à avoir reçu ce prix.

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