Une quarantaine « tout inclus » pour entrer au Nunavut, dans l’Arctique canadien
Comme quelque 3500 personnes avant moi, je dois passer 14 jours confinée dans un centre d’isolement avant d’entrer au Nunavut, ma future terre d’accueil où je travaillerai dorénavant comme journaliste pour Radio-Canada. Une quarantaine « tout inclus » dans un hôtel de la capitale nationale, avec repas préparés et sorties surveillées.
C’est le 6 juillet que mon aventure s’amorce, en route vers ma nouvelle demeure.
Avant de m’installer au Nunavut, je dois faire une escale prolongée à Ottawa, l’une des cinq villes au pays – avec Québec, Winnipeg, Edmonton et Yellowknife – où transitent les résidents du Nunavut qui ont provisoirement quitté le territoire, mais souhaitent rentrer chez eux, au même titre que les travailleurs de la construction.
Chaque ville est sélectionnée en fonction de la destination du voyageur. Ottawa est réservée aux Nunavois qui habitent dans la région de Qikiqtaaluk, dans l’est du territoire.
L’hôtel d’une centaine de chambres où je débarque un lundi après-midi arrive en tête des centres d’isolement qui ont accueilli le plus grand nombre de visiteurs. Près de 1000 personnes sont passées ici depuis la mise en place de ces centres, le 31 mars.
Avec le défi du logement au Nunavut, où, selon le dernier recensement, plus d’un Inuit sur deux habite dans un logement surpeuplé, les quarantaines auraient été impossibles à organiser à l’intérieur du territoire, selon le médecin hygiéniste en chef du Nunavut, Michael Patterson.
« Le grand défi du Nunavut est le logement », résume-t-il, au bout du fil.
À cela viennent s’ajouter le haut taux de roulement des effectifs médicaux et leur rétention, parfois difficile, ainsi que le manque chronique d’infrastructures.
Règles d’or de la quarantaine
À la réception de l’hôtel où je pose mes valises, la scène ressemble curieusement à l’arrivée de vacanciers dans une retraite de méditation… avec, en sus, des agents de sécurité.
« Bienvenue en isolement », me lance, tout sourire, l’employé derrière le comptoir de la réception.
On me dirige ensuite, avec d’autres visiteurs, vers une salle fermée où on nous explique les règles à respecter pendant notre quarantaine :
- rester dans le périmètre de l’hôtel;
- respecter les heures de sortie sur le stationnement;
- ne pas entrer dans la chambre d’autres visiteurs;
- prendre l’ascenseur seul;
- porter un masque;
- aviser le gardien de sécurité de l’étage avant chaque sortie;
- maintenir les 2 mètres de distance entre les personnes.
La responsable du programme de quarantaine nous demande ensuite de choisir « bien attentivement » nos repas pour toute la durée du séjour.
L’exercice demande une certaine réflexion : est-ce que j’aurai encore envie, le 12e jour, d’une autre lasagne à la viande?
Munie d’un masque, une infirmière s’occupe, tour à tour, de chaque nouveau venu. Prise de la température, questions sur l’état de santé, survol des ressources médicales à la disposition des visiteurs : en quelques minutes, la consultation est terminée.
L’isolement dans cet hôtel, dont on doit taire le nom pour la sécurité des voyageurs, peut donc commencer. Direction 6e étage, où une chambre m’attend. Bureau, cuisinette, télévision, divan et, le plus cocasse, une vue panoramique sur Ottawa, où je ne mettrai pas les pieds.
Suivi médical
Le lendemain matin, comme tous les suivants, le téléphone sonne. Au bout du fil, une voix familière : celle d’Amanda, une infirmière affectée au site de quarantaine.
« Avez-vous de la toux, de la fièvre ou une difficulté respiratoire? Avez-vous été en contact avec une personne d’apparence malade? Avez-vous quitté l’hôtel depuis hier? » me demande-t-elle, successivement.
Mes réponses étant négatives, l’interrogatoire s’avère bref.
Le combiné du téléphone immédiatement reposé, j’entends cogner à la porte. Des visiteurs? Peu probable, vu les circonstances.
Devant la chambre, deux boîtes de polystyrène m’attendent : les repas de la journée.
C’est d’ailleurs un sujet qui suscite moult discussions auprès des pensionnaires.
« Je commence à me lasser de tous les féculents », lance mon voisin, qui a quelques jours d’avance sur ma quarantaine.
Les ex-politiciens n’échappent donc pas, contrairement aux travailleurs essentiels, à ces séjours d’isolement.
Depuis quelques semaines, l’hôtel autorise toutefois les visiteurs à commander des repas par l’intermédiaire d’applications de livraison.
Les personnes qui souffrent d’allergies doivent quant à elles le signaler sur le formulaire exigé avant de commencer leur quarantaine.
Surveillance en continu
L’annonce du gouvernement du Nunavut d’ajouter des aliments traditionnels au menu des quarantaines cette semaine s’est d’ailleurs répandue comme une traînée de poudre.
Le lendemain, dans le stationnement, certains évaluaient déjà minutieusement leurs probabilités de goûter les nouveaux repas avant le jour de leur départ.
L’agglutinement a bien vite déplu à un agent de sécurité, qui attendait visiblement le moment venu pour ramener tout le monde à l’ordre : Je vous demande de garder les 2 mètres de distance entre vous
, leur a-t-il lancé, en s’approchant.
Aux quatre coins de l’hôtel, une quinzaine d’autres sentinelles surveillent attentivement les lieux.
Avant chacun de mes déplacements, un agent de sécurité prend en note mon numéro de chambre et mon heure de sortie.
« Ça nous aide à retrouver les gens plus rapidement », me dit Zendrew Audain, un agent d’ERO Sécurité stratégique, affecté à l’hôtel depuis la fin du mois d’avril.
À les voir travailler depuis quelques jours, je me demande s’ils n’ont pas un peu l’impression d’être des gardiens de prison.
Zendrew Audain me répond par la négative, mais admet que le climat était bien différent il y a quelques mois.
Ma cohorte de quarantaine jouit donc d’une plus grande liberté que les précédentes.
« Il y a deux mois, nous étions plus sévères parce que les normes de santé publique l’étaient elles aussi », explique la gestionnaire de mon centre d’isolement, Camilla Sehti.
Garder le moral
Un matin, en sortant dans le couloir, j’entends sangloter dans une chambre proche de la mienne.
Si la situation me paraît parfois difficile, je l’imagine encore plus complexe pour certains pensionnaires. À la réception, on m’indique qu’une ligne d’écoute offre du soutien psychologique aux personnes qui en ressentent le besoin.
« Au départ, nous avions mis en place cette ligne d’écoute spécifiquement pour les étudiants », précise Camilla Sehti.
Elle affirme que l’engouement a été tel que le ministère de la Santé l’a rapidement rendue accessible à toutes les personnes en isolement, dont celles qui sont aux prises avec des dépendances.
Tuer l’ennui
À vue d’œil, certains visiteurs semblent tout de même bien s’en tirer. Tous les jours, dans l’après-midi, j’aperçois Paul Okalik perché sur un muret de béton, à l’extrémité du stationnement.
Plus loin dans le stationnement, la famille Ross-Roy se lance dans une partie de soccer.
« Les garçons ont beaucoup d’énergie. Donc, c’est sûr que sortir seulement dans le stationnement nous restreint un peu », admet Alexandra Ross, mère de deux garçons et future enseignante à l’École des Trois Soleils d’Iqaluit.
La clé, explique-t-elle, est d’avoir rapidement instauré une routine de quarantaine.
Je décide donc d’entamer, à mon tour, une activité digne de cet isolement : la course de stationnement.
« Il faut changer de sens de temps en temps pour diversifier le parcours », me suggère un coureur aguerri.
Je me prête donc à l’exercice, avant de m’apercevoir qu’un agent de sécurité compte attentivement mes tours de piste. La pression me désarçonne.
Ligne d’arrivée
17 juillet, 11e jour d’isolement. Au fond du couloir, l’un des agents de sécurité habituels affectés à mon étage n’est pas à son poste. À sa place, un autre agent, assis sur chaise, est endormi. Je me retiens d’immortaliser la scène.
J’aperçois surtout la lumière au bout du tunnel. D’ici 48 heures, après une ultime consultation médicale, une navette nous escortera à l’aéroport, où nous retrouverons, enfin, notre liberté.
Pour le gouvernement du Nunavut, ces quarantaines à l’extérieur représentent un choix coûteux : jusqu’à maintenant, il aura alloué plus de 15,5 millions de dollars aux centres d’isolement réservés au grand public.
Selon le Dr Patterson, ces quarantaines demeurent toutefois l’une des meilleures stratégies pour limiter les risques de transmission simultanée de la COVID-19 dans de petites collectivités, puisque, encore à ce jour, le Nunavut ne compte que deux cas présumés.