Droits des Premières Nations et Charte : une cause au Yukon avec un impact national au Canada

Une cause au Yukon soulève la question de la primauté de la Charte canadienne des droits et libertés sur l’autonomie de gouvernance des Premières Nations. (Claudiane Samson/Radio-Canada)
Un débat au sein de la Première Nation Vuntut Gwitchin du Yukon qui a été porté devant les tribunaux pourrait se retrouver en Cour suprême du Canada et avoir des conséquences partout au pays, selon un expert.

En 2018, Cindy Dickson, membre de la Première Nation des Vuntut Gwitchin a voulu se présenter au conseil de la Première Nation. Toutefois, un règlement de la Première Nation stipule que les membres de son conseil doivent habiter sur son territoire. La résidence de Mme Dickson, située à Whitehorse, ne s’y trouve pas.

Mme Dickson a alors déposé une requête devant la Cour suprême du Yukon. Quand la cause a été entendue, son équipe juridique a fait valoir que l’exigence de résidence des Vuntut Gwitchin était une violation du droit à l’égalité pour tous les Canadiens garanti par la Charte des droits et libertés.

La membre de la Première Nation des Vuntut Gwitchin, Cindy Dickson, n’a pas pu se présenter lors des élections au conseil en 2018, car elle n’habitait pas sur le territoire de la Première Nation. (Cindy Dickson)

Les avocats du conseil des Vuntut Gwitchin ont quant à eux argué que la Première Nation n’avait jamais accepté que la Charte canadienne des droits et libertés s’applique à ses accords définitifs et d’autonomie.

Le juge Ron Veale de la Cour suprême du Yukon a déclaré que la Charte s’appliquait au conseil de la Première Nation Vuntut Gwitchin, mais que l’exigence de résidence ne portait pas indûment atteinte aux droits des personnes.

Un premier jugement et beaucoup de questions

Déçues par le jugement, les deux parties sont engagées dans une procédure d’appel. « Le juge n’a donné ni à une partie ni à l’autre tout ce qu’elle voulait », explique l’avocat vancouvérois Ryan Beaton, de la firme Juristes Power.

Selon lui, l’affaire est particulièrement d’intérêt dans un contexte où les cours canadiennes sont prêtes à reconnaître aux Premières Nations le pouvoir de légiférer. « C’est un des premiers cas où l’on voit que la cour va vraiment dans les détails du droit constitutionnel, examiner l’interaction du pouvoir inhérent autochtone de légiférer avec le droit canadien », souligne Ryan Beaton.

L’avocat Ryan Beaton est un spécialiste des droits autochtones. Il pense que l’affaire concernant Cindy Dickson et la primauté des lois autochtones ou de la Charte canadienne des droits et libertés se retrouvera éventuellement devant la Cour suprême du Canada. (Ryan Beaton)
« Dans un sens, le juge a dit qu’il peut y avoir des cas dans lesquels une loi de la Première Nation cause une infraction aux droits de la Charte, mais que cette loi est quand même légitime et que la cour ne va pas interférer avec celle-ci. »Ryan Beaton, avocat

L’avocat croit qu’il est très probable que l’affaire soit éventuellement portée en Cour Suprême du Canada. Car le jugement en cour de première instance semble avoir soulevé plus de questions qu’il n’a donné de réponses.

« L’article 25 de la charte s’applique… jusqu’à un certain point », résume Maître Beaton, qui ne plaide pas la cause, mais qui a récemment fait une présentation à son sujet.

Article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés :

Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada, notamment :

a) aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 7 octobre 1763;
b) aux droits ou libertés existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

(Source : Charte canadienne des droits et libertés)

D’autres Premières Nations s’intéressent au cas

L’affaire dépasse les frontières d’Old Crow puisque quatre nouvelles parties ont demandé à être ajoutées comme intervenants. Les intervenants sont des parties qui n’étaient pas concernées au début, mais pour qui les décisions pourraient avoir des conséquences.

La Nation Métis de l’Ontario (MNO) fait partie de ces nouveaux intervenants, au même titre que le Conseil des Tlingits de Teslin, la Première Nation Carcross/Tagish et le Conseil des Premières Nations du Yukon.

« Cet appel aura des implications pour les communautés autochtones de tout le pays qui sont actuellement en négociation avec le gouvernement fédéral afin que leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale soit officiellement reconnu dans la loi canadienne », fait savoir la Nation Métis de l’Ontario, elle-même en négociation avec Ottawa, dans un mémorandum d’argumentation.

Les Tlingit de Teslin considèrent eux aussi le sujet comme dépassant les frontières d’Old Crow. « Je crains que l’application de la charte canadienne n’entraîne une nouvelle érosion ou assimilation de nos coutumes, lois et institutions uniques », écrit Yankáxh Tláa (Barbara Hobbis), une aînée du Conseil des Tlingits de Teslin, dans une déclaration sous serment accompagnant la demande d’intervention de sa Première Nation.

La Première Nation des Vuntut Gwitchin a accepté, lors de son assemblée générale en 2019, que les candidats au conseil puissent habiter en dehors de Old Crow. Néanmoins, si ceux-ci sont élus, ils ont 14 jours pour déménager dans la communauté. (Jane Sponagle)

Trois ans après le début de l’affaire, l’admissibilité de la candidature de Cindy Dickson aux élections du conseil de la Première Nation Vuntut Gwitchin paraît anecdotique à la lumière des questions de la primauté du droit constitutionnel par rapport aux droits autochtones qui ont été soulevées au fil des discussions.

Sans compter que cette cause n’est pas une question du pouvoir canadien contre le pouvoir des Premières Nations, explique l’avocat Ryan Beaton. « C’est une citoyenne de la Première Nation elle-même qui dit « je réclame mes droits comme citoyenne canadienne dans le contexte des lois de ma Première Nation » », souligne-t-il.

Ce dernier pense donc que les interrogations ne cesseront pas de sitôt. « On n’aura pas des réponses simples ou extrêmes : ça va être un long processus de comprendre comment les lois autochtones vont interagir avec les lois territoriales, provinciales et fédérales », prédit-il.

Avec des informations de Claudiane Samson, Jane Sponagle et Jackie Hong

Radio-Canada

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