Première « vraie » traduction française du Chasseur au harpon, de Markoosie Patsauq

L’auteur inuk Markoosie Patsauq chez lui, à Inukjuak, au Nunavik, en 2017. (Marc-Antoine Mahieu)
Une cinquantaine d’années après sa parution, le livre Chasseur au harpon, considéré comme le premier roman inuit au Canada, retourne à l’imprimerie pour une première version traduite directement de l’inuktitut au français.

« Il n’y a jamais eu de traduction directe du texte en inuktitut vers le français », affirme Marc-Antoine Mahieu, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales de Paris (INALCO).

Le linguiste y enseigne l’inuktitut du Nunavik depuis 2008 et a travaillé avec le romancier inuk Markoosie Patsauq à la traduction de son livre, avant le décès de ce dernier en 2020.

Le roman est initialement paru en trois temps entre 1969 et 1970 dans les pages de l’Inuktitut Magazine, une revue en inuktitut autrefois financée par le gouvernement fédéral.

Le rédacteur en chef James McNeil a par la suite réédité l’ouvrage en anglais dans l’optique de le faire connaître à un plus large public.

Cinquante ans après la parution de la version initiale, le livre «Chasseur au harpon» a été traduit en français pour une première fois à partir du manuscrit original en inuktitut. (Valérie Henitiuk)
Des « écarts » avec le manuscrit original

Dans les années qui ont suivi, cette même réédition anglaise a fait office de gabarit pour des versions traduites dans près d’une dizaine de langues, dont le français, l’ukrainien, le braille et l’hindi.

Aucune de ces versions n’a pourtant été traduite à partir de la version initiale en inuktitut de Markoosie Patsauq.

Marc-Antoine Mahieu soutient que ces différentes « traductions-relais » ont contribué à éloigner les lecteurs de la plume originelle de son auteur.

« Il y a tellement d’écarts avec le texte original en inuktitut, dit-il. L’adaptation anglaise est remplie de figures de style qui sont complètement étrangères à la façon inuit de s’exprimer. »

La cotraductrice de la nouvelle version du Chasseur au harpon, Valerie Henitiuk, abonde dans le même sens.

La chercheuse de l’Université Concordia d’Edmonton décrit l’écriture de Markoosie Patsauq comme étant « très simple, […] presque cinématographique, où les yeux se promènent entre les différentes scènes. »

Valerie Henitiuk a par ailleurs rédigé, toujours avec Marc-Antoine Mahieu, une nouvelle traduction anglaise parue au mois de novembre aux Presses universitaires McGill-Queen’s, Hunter with Harpoon.

«Il était très créatif, affirme Valerie Henitiuk. Il s’est inspiré d’histoires entendues durant son enfance.» (Matisse Harvey/Radio-Canada)

L’histoire raconte la traque d’un ours polaire par un jeune chasseur inuk dénommé Kamik, qui tente de manier le harpon avec la même aisance que son père.

Le récit, qui est rédigé de quatre points de vue différents, plonge le lecteur dans le quotidien d’une communauté inuit et dans la dynamique culturelle entre les hommes et les femmes.

« Son livre est une bonne manière de s’éduquer sur notre culture », dit Mary Simon, une militante de longue date pour les droits des Inuits qui a été, entre autres, ambassadrice du Canada pour les affaires circumpolaires et présidente du Conseil circumpolaire inuit (CCI).

Celle qui a aussi écrit la préface des nouvelles versions du livre explique avoir rencontré pour la première fois Markoosie Patsauq vers la fin des années 1970.

Elle décrit l’auteur, qui a aussi été l’un des premiers pilotes d’avion inuit au Canada, comme une personne « très accomplie » et « résiliente ».

L’auteur inuk Markoosie Patsauq est décédé en mars 2020. (Marc-Antoine Mahieu)
Conforter le lecteur du Sud dans sa lecture du Nord

Les traducteurs affirment que l’adaptation anglaise de 1970 a été modifiée pour plaire davantage aux lecteurs du sud du Canada.

« La trame de l’histoire est la même, mais le style et les représentations véhiculées par le texte sont vraiment différentes », relève Marc-Antoine Mahieu.

Il cite l’exemple d’un passage de l’adaptation anglaise teinté par des éléments de la religion chrétienne. « Il n’y a rien de ça en inuktitut », assure-t-il.

Marc-Antoine Mahieu a travaillé avec le romancier inuk Markoosie Patsauq sur la version traduite de son livre. (Marc-Antoine Mahieu)

« Chaque fois que l’on prend des éléments culturels autochtones et les force à s’adapter au grand public plutôt que de leur permettre d’être ce qu’ils sont, […] c’est problématique », complète Valerie Henitiuk.

« C’est intrinsèquement colonialiste de dire que c’est aux artistes autochtones de s’adapter à nous. »Valerie Henitiuk, professeure, Université Concordia d'Edmonton
Une plume qui a laissé sa marque

Environ cinquante ans après sa première parution, Chasseur au harpon est encore aujourd’hui cité parmi les œuvres les plus riches de la littérature autochtone au Canada.

Le récit laisse par ailleurs transparaître le parcours de vie de Markoosie Patsauq.

« Il a vraiment inventé un genre en inuktitut, en plus d’une nouvelle langue composite, en mélangeant les dialectes du Nunavik et de l’Extrême-Arctique », décrit Valerie Henitiuk.

Markoosie Patsauq est né en 1941 à Port Harrison (aujourd’hui Inukjuak), sur la baie d’Hudson. À l’âge de 12 ans, il a été forcé par le gouvernement fédéral à se réinstaller avec sa famille à Resolute Bay, quelque 1200 kilomètres au Nord.

Les autorités leur avaient promis des conditions propices à la chasse, en plus de la possibilité de revenir après deux ans, mais c’est un désert polaire, dénué de vie et de clarté qui les a plutôt attendus à leur arrivée.

Resolute Bay est la deuxième communauté la plus au nord du Canada. Elle a été fondée en 1953 à la suite du déplacement forcé de familles de Port Harrison (aujourd’hui Inukjuak, au Nunavik) et de Pond Inlet. (Matisse Harvey/Radio-Canada)

Mary Simon raconte que Markoosie Patsauq a longtemps milité pour qu’Ottawa reconnaisse les torts de ce chapitre sombre de l’histoire du Canada.

Il a notamment témoigné lors des audiences de la Commission royale sur les peuples autochtones, dont le rapport final, paru en 1996, visait à améliorer les relations entre les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que les nations autochtones au pays.

« Il a été capable de raconter les injustices [qu’il a subies], dit-elle. Je pense qu’il a fait une grande différence et qu’il a brisé des barrières. »

Mary Simon espère que les versions fraîchement traduites en anglais et en français de Chasseur au harpon serviront davantage de référence. Elle aimerait surtout qu’elles soient citées auprès de jeunes dans des écoles.

Le livre paraîtra le 23 février aux Éditions du Boréal.

Matisse Harvey, Radio-Canada

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