Au Canada, 40 milliards pour les enfants autochtones : «le coût de 30 ans d’échec»
Ottawa annonce un montant de 40 milliards de dollars pour indemniser des enfants des Premières Nations retirés de leur foyer, mais aussi pour réparer à long terme le système de protection de l’enfance pour les Autochtones.
Après six semaines de négociations chapeautées par l’ancien sénateur autochtone Murray Sinclair, Ottawa a décidé de présenter cette offre lors du nouvel énoncé économique de la ministre Chrystia Freeland mardi, tout juste avant l’ajournement des travaux aux Communes pour la période des Fêtes.
Cependant, les discussions sont toujours en cours et elles sont très fragiles, de l’aveu du ministre Marc Miller. Des désaccords persistent.
L’Assemblée des Premières Nations et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, qui sont en bataille juridique contre Ottawa dans ce dossier, ont d’ailleurs rappelé qu’aucun accord n’avait encore été signé.
Le ministre Miller assure faire preuve d’un « optimisme prudent », mais il souhaite néanmoins que le « chiffre soit dans l’esprit des gens dans le contexte de la mise à jour économique ».
Il n’a pas voulu se prononcer sur la ventilation précise de cette somme entre l’indemnisation des enfants et des familles des Premières Nations et les investissements à long terme pour mettre en place un système de protection de l’enfance qui ne répète pas les mêmes erreurs.
Il s’agit de « réparer le système pour de bon afin qu’il ne soit plus discriminatoire envers les enfants autochtones et leurs familles et indemniser les gens pour un préjudice historique », a résumé Marc Miller.
L’offre proposée par Ottawa ne représente pas un accord final. Les parties ont jusqu’au 31 décembre pour en finaliser un. Si l’offre est acceptée, ce sera la fin d’une bataille de 14 ans entamée notamment par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations.
Une leçon pour le gouvernement
Cette offre représente une étape importante, reconnaît la directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, Cindy Blackstock. Mais il reste encore des étapes juridiques à franchir avant que les familles obtiennent l’indemnisation qui leur est due et que les enfants des Premières Nations obtiennent les services qu’ils méritent.
« L’ampleur de l’indemnisation proposée témoigne de la façon dont beaucoup de nos enfants ont été arrachés à leurs familles et à leurs communautés », souligne la cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, RoseAnne Archibald.
Selon Cindy Blackstock, le gouvernement paie maintenant le prix fort pour ses dizaines d’années d’inaction et de financement inégal des services pendant lesquelles les enfants des Premières Nations et leurs familles subissaient de graves préjudices.
Un siècle avant qu’elle dépose sa plainte contre le gouvernement du Canada devant le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP), soit en 1907, elle rappelle que le médecin canadien Peter Henderson Bryce avait lui-même alerté le gouvernement canadien de la situation de ces enfants.
Cindy Blackstock estime qu’encore beaucoup d’Autochtones sont toujours aux prises avec des inégalités dans les services publics de base.
Une longue bataille
La cheffe régionale de l’Assemblée des Premières Nations au Manitoba, Cindy Woodhouse, qui dirige les négociations pour l’APN, reste aussi prudente concernant la suite des négociations.
Elle relève toutefois qu’après tant d’années de bataille juridique, cette offre de règlement est « un exemple concret de ce que l’on peut faire quand on est à la table des négociations au lieu de se battre devant les tribunaux ».
En 2016, le TCDP a rendu une décision qualifiée d’historique par l’Assemblée des Premières Nations et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Celles-ci avaient déposé une plainte dès février 2007 contre le gouvernement canadien.
Le Tribunal avait conclu qu’Ottawa avait fait preuve de discrimination envers les enfants des Premières Nations en sous-finançant sciemment les services à l’enfance et à la famille pour ceux qui vivent dans les communautés.
Toutefois, il n’avait pas proposé de mesures précises de réparation des victimes. Le gouvernement était aussi sommé de mettre en œuvre le « principe de Jordan », qui vise à assurer aux enfants autochtones le même accès aux services de santé que les autres petits Canadiens.
Finalement, en 2019, le Tribunal a ordonné au gouvernement fédéral de verser 40 000 $, soit le maximum prévu par la loi, à chaque enfant des Premières Nations retiré de façon inappropriée de la garde de ses parents et placé dans le système de protection de l’enfance après 2006. Depuis, le Tribunal a rappelé à l’ordre Ottawa 19 fois.
En septembre 2021, la Cour fédérale a enjoint au gouvernement canadien d’indemniser ces enfants, mais à la fin d’octobre, à la dernière minute, Ottawa avait décidé de faire appel. Il avait tout de même promis de conclure une entente négociée d’ici la fin de l’année.
Selon Marc Miller, faire appel était la bonne décision à prendre. Sinon, le gouvernement serait en train de déterminer une compensation et le volet des réformes à faire à long terme ne serait peut-être pas pris en compte.
Le gouvernement a toujours assuré vouloir indemniser les enfants et les familles, mais chercher un moyen de dédommager équitablement les victimes.
Dans un rapport de février 2021, le bureau du directeur parlementaire du budget estime que plus de 160 000 enfants et 200 000 parents pourraient recevoir une compensation, selon l’interprétation des parties. La somme représenterait 15 milliards de dollars.