Jardiner en hiver dans le Grand Nord canadien, possible, mais pas simple
Avec des moyennes oscillant entre -14 et -18 degrés Celsius en décembre et en janvier, et moins de 6 heures d’ensoleillement au solstice d’hiver, le jardinage en saison froide au Yukon semble relever de l’impossible. Pourtant, plusieurs s’y adonnent.
Lorrina Mitchell est convaincue que l’hiver est la saison toute désignée pour expérimenter. Cette année, la Yukonnaise de longue date a jeté son dévolu sur les tomates.
La jardinière s’est procurée pas moins de 19 variétés de graines de tomates. Assez, dit-elle, pour manger des tomates pendant les 20 prochaines années en conservant les graines au frigo.
Un besoin de taille
L’autodidacte n’hésite pas à faire partager son savoir avec la communauté grandissante de jardiniers amateurs du coin. L’Université du Yukon offre également des cours aux plus sérieux car, rappelons-le, les zones de rusticité au Yukon vont de zéro à deux.
Toutefois, pour qu’un tel spectacle puisse se produire, il faut s’outiller. Lorrina Mitchell a passé de nombreuses heures à faire ses recherches pour trouver les bonnes lampes avec le spectre lumineux approprié pour chaque type de plantes.
« Je crois que c’est une bonne chose, au Yukon, que d’avoir de plus en plus de gens qui se mettent à l’agriculture et a faire pousser des plantes et des herbes aromatiques, [à élever] du bétail ou [des poules pondeuses pour] des œufs. Je crois que c’est essentiel parce que nous sommes à la fin de la chaîne d’approvisionnement », explique-t-elle.
C’est d’ailleurs ce qui a poussé Tarek Bos-Jabbar a lancer l’entreprise Cold Acres il y a trois ans. D’ici le printemps, cette entreprise de production hydroponique en conteneurs embauchera une vingtaine de personnes. Elle doit approvisionner près de 500 consommateurs et épiceries en laitues et verdures.
« Quand nous avons lancé l’entreprise, le Yukon produisait moins de 1 % de la nourriture [qui y était consommée]. Cette donnée est suffisante pour pousser n’importe qui à trouver un moyen de faire pousser de la nourriture dans le Nord », croit l’entrepreneur.
« Nous sommes à la fin de la ligne [d’approvisionnement]. Tout ce qu’on peut produire localement sera une bonne chose pour l’environnement. Le goût sera meilleur, et la quantité de vitamines plus élevée. Ça crée des emplois et une plus grande rétention économique parce que l’argent des consommateurs sert à financer les emplois des gens qui habitent au Yukon. »
Une laitue, ce n’est pas une carotte
Pour sa part, Sheila Alexandrovich ne croit pas du tout aux avantages de l’agriculture en hiver.
L’agricultrice de longue date, qui habite hors du réseau électrique, n’achète pratiquement pas de légumes en hiver, dit-elle. Je ne mange pas de laitue en hiver parce que ça ne pousse pas. « Je mange des germinations […] et j’ai environ 15 légumes en entreposage ou en fermentation. »
Pour satisfaire son pouce vert, Sheila Alexandrovitch se contente de plantes d’intérieur dont certaines, qui plus est, fleurissent à ce moment-ci de l’année.
« On peut entreposer plus facilement qu’on peut faire pousser en hiver. […] L’empreinte écologique de cette tête de laitue romaine est plutôt lourde », précise-t-elle.
Les coûts?
Lorrina Mitchell affirme avoir déboursé environ 500 $ pour se munir de lampes artificielles et moins de 100 $ pour ses graines, bien qu’elle admette que les prix ont depuis augmenté. Il s’agit pour elle d’un hobby qu’elle recommande à tous ceux et celles qui souhaitent avoir plus de produits frais l’hiver.
De son côté, Tarek Bos-Jabbar affirme que l’approvisionnement énergétique ne représente que de 5 à 10 % de son calcul financier avec l’arrivée des lampes DEL. Ce sont les salaires des employés qui forment la part du lion du budget de l’entreprise.
Par contre, pour ce qui est des légumes fruits, comme les concombres ou les poivrons, le besoin en énergie demeure prohibitif : « Il faudrait des lampes 100 fois plus puissantes », explique-t-il. « Et comme ces produits ne dépérissent pas autant lors du transport vers le territoire, le marché, selon l’entrepreneur, serait plus difficile à percer. »
L’entreprise poursuit ses recherches pour diversifier son offre. Pour l’instant, Cold Acres propose ses verdures, en plus des épiceries, dans un panier hebdomadaire en partenariat avec d’autres producteurs locaux.