Autochtones au Vatican : une visite des musées au goût amer
La visite du Musée du Vatican, un ensemble de musées, a laissé un goût amer à de nombreux Autochtones de la délégation venue cette semaine à Rome pour rencontrer le pape. En cause : les artefacts autochtones.
Quand il a levé les yeux en l’air pour regarder le plafond de la chapelle Sixtine, Norman Yakeula, un Déné des Territoires du Nord-Ouest, n’en revenait pas.
Il se souvient d’avoir découvert cette fresque réalisée par Michel-Ange entre 1508 et 1512 à l’école secondaire dans ses lectures.
« Si jamais j’avais imaginé à ce moment que je serais là, à l’observer… Je ne peux pas croire que je suis là et que je la regarde », lance-t-il les yeux pétillants.
La chapelle Sixtine était l’un de ses deux moments phares de la visite du Musée du Vatican.
« Le deuxième, c’est quand on est allés dans la section réservée aux peuples autochtones. » La suite de la visite l’a mis mal à l’aise.
Le Vatican avait réservé une section du musée ethnologique Anima Mundi, qui contiendrait un nombre indéterminé d’objets autochtones, pour la délégation autochtone. Ce que de nombreux Autochtones ont apprécié, même si certains ont vite déchanté.
Selon le responsable des communications de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), Neil MacCarthy, « les délégués ont vu une variété d’artefacts qui sont actuellement sous la garde du Vatican, dont certains n’avaient jamais été exposés auparavant ».
Sur trois tables se trouvaient plusieurs objets, dont des mocassins provenant de la Colombie-Britannique datant de la fin du XIXe siècle, des morceaux d’écorce de bouleau avec des motifs provenant de la nation atikamekw du Québec et datant du début du XXe siècle, une longue ceinture wampum provenant de Kanesatake et fabriquée en 1831, un collier fait de dents de béluga ou encore un très vieux kayak dont les Inuvialuit réclament la restitution.
Et il y avait aussi une « pipe de la paix » Haudenosaunee, celle qui a fait sortir de ses gonds Norman Yakeula.
« J’ai vu cette pipe qui est quelque chose de très sacré et qui était là, à la vue de tous. Je me suis souvenu qu’un aîné m’avait dit que nos pipes sacrées ne devaient pas être montrées, mais mises à l’écart et juste utilisées lors de nos cérémonies. Ce n’est pas pour tout le monde », explique l’homme.
Selon lui, le prêtre qui a fait la visite a dit que les peuples autochtones avaient autorisé cela. « Mais je n’en sais rien », lâche-t-il.
« Ils ont dit que les artefacts ont été « donnés » » lance la grande cheffe de la nation crie du Québec, Mandy Gull-Masty, en mettant ses doigts en forme de guillemets pour appuyer sur le mot « donnés ». Mais on se doute bien que tout n’a pas été donné.
Le sentiment « étrange » qui l’a habité durant cette visite a commencé plus tôt. Lors d’un passage dans une salle où le plafond était complètement doré, « en or », selon les explications du guide, précise Mandy Gull-Masty.
« De voir tout cet or, on sait que ça vient des chercheurs d’or, mais il n’y a aucune évocation des Autochtones qui ont aidé, qui ont permis cela. Aucune évocation d’où ça venait. Je me suis sentie bizarre, mal à l’aise », raconte la grande cheffe crie.
Dans la section où étaient exposés les artefacts autochtones, une section interdite aux journalistes, elle a continué à ressentir ce malaise.
Un peu plus loin, un kayak inuvialuit qui avait été récupéré par un évêque dans les années 1920, aux Territoires du Nord-Ouest, était exposé. Natan Obed, le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), l’a regardé longuement.
« C’est un artefact très rare, une belle partie intégrante de notre culture », a-t-il dit à haute voix, les yeux rivés sur le kayak.
Déjà en décembre, le chef de Société régionale inuvialuit (SRI), Duane Ningaqsiq Smith, en avait demandé la restitution, précisant que le kayak appartenait au peuple inuit dans l’Arctique de l’Ouest et qu’il ne devait pas être à des milliers de kilomètres.
« Il n’y a eu aucune information sur le nombre d’artefacts appartenant aux Autochtones du Canada qui vont être restitués, rien », renchérit Mandy Gull-Masty.
« On ne leur appartient pas, répète Norman Yakeula. On doit avoir une bonne discussion. Ces artefacts sont spirituels, ils comptent beaucoup pour nos peuples. Ils sont en train de s’en rendre compte, mais ils ne l’ont toujours pas bien compris. C’est un processus », affirme le Déné.
L’historien, artisan et conseiller élu métis Mitch Case garde un « goût amer » de cette visite.
Il raconte de son côté avoir demandé pendant sept mois s’il y avait des artefacts provenant de la nation métisse à l’Église. En vain. Il n’a jamais eu de réponses, mentionne-t-il.
Il a été particulièrement interpellé par une paire de gants brodés « attribués à la nation crie » à la fin du XIXe siècle, début du XXe. Originaire de Sault-Sainte-Marie, le Métis aimerait en savoir plus sur ces gants dont les motifs ressemblent énormément à ceux faits par sa nation.
« Cela fait bizarre de voir ces artefacts ici. Ils devraient revenir dans nos communautés. On essaie d’avoir des moyens pour pouvoir récupérer des objets et monter des expositions, pour pouvoir montrer à nos jeunes la culture. Ça me paraît normal que [le Vatican] retourne des objets pour permettre cette transmission », indique Mitch Case.
Il regrette de ne pas avoir eu le temps de vraiment regarder chaque objet autochtone lors de cette visite privée.
La délégation a effectivement passé beaucoup de temps à arpenter les musées pour découvrir les œuvres d’art, l’architecture et l’histoire religieuses, mais très peu devant les artefacts autochtones.
« Un pas à la fois », résume le chef de la délégation des Premières Nations, Gerald Antoine.
Il dit comprendre l’importance d’un musée et de sa mission, lui-même ayant été stagiaire au Musée des civilisations de Hull (qui s’appelle désormais Musée canadien de l’histoire).
Comme plusieurs Autochtones de la délégation, il a aimé déambuler et regarder les grands tableaux impressionnants, les peintures, les colonnes, les objets. Nombreux ont été les Autochtones à filmer et à prendre en photo chaque pièce.
Le chef Antoine a tout de même préféré tout ce qui était lié au pape Jean-Paul II. Ce dernier lui avait fait une promesse qu’il a tenue il y a plusieurs années, à savoir venir voir sa communauté, puisque lors de la première tentative, le mauvais temps avait empêché l’atterrissage de l’avion.
Quant à la question du rapatriement des artefacts autochtones, il rappelle qu’elle fait partie des actions concrètes qui seront demandées au pape pendant l’audience privée jeudi. D’abord, il rappellera que les Autochtones veulent des excuses, sur leur sol, puis il formulera les autres demandes. « Mais restituer une partie, c’est l’un des gestes concrets. »
Le responsable des communications de la CECC, Neil MacCarthy, a indiqué que le conservateur et responsable de la préservation du musée ethnologique Anima Mundi, le père Nicola Mapelli, souhaitait travailler « main dans la main » avec les Autochtones du Canada « pour en apprendre davantage sur les artefacts du Canada ».
« Le père Mapelli a pris contact avec les dirigeants autochtones du Canada pour discuter de certains de ces objets et leur demander conseil » sur ce qui devrait être rendu aux communautés locales. « D’autres dialogues sont prévus », a précisé Neil MacCarthy dans un courriel.
Il y a un peu plus d’une semaine, le célèbre conservateur et artiste de Toronto membre de la nation siksika en Alberta, Gerald McMaster, a appelé une nouvelle fois le Vatican à donner accès à toute sa collection d’art autochtone.
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