Québec appelé à régler la pénurie de juges dans le Nord
Les pressions se font sentir tant du milieu juridique que de la communauté inuit pour que Québec augmente le nombre de juges dans le nord de la province, à la suite de l’annulation d’une semaine d’audiences à Kuujjuaq.
Selon Makivik, qui est l’un des principaux acteurs du système judiciaire dans le Nord, les Inuit font les frais d’une pénurie de juges dans le district judiciaire de l’Abitibi, qui dessert les différentes communautés du Nunavik.
Le groupe inuit craint non seulement les effets de l’annulation de la semaine d’audiences qui devait commencer lundi, mais aussi d’une réduction prévue de 20 % du nombre de jours d’audiences dans l’année à venir.
Au lieu de siéger 128 jours comme cette année, la Cour a seulement inscrit 101 jours à son calendrier en 2022-2023 dans les communautés inuit de la baie d’Ungava.
« Il est clair que les Inuit du Nunavik sont injustement pénalisés », affirme Makivik dans un communiqué envoyé à Radio-Canada.
Dans ce document, il demande spécifiquement « la nomination de nouveaux juges » qui pourraient siéger au Nunavik.
De nouveaux postes demandés
Selon des sources du milieu juridique, le nouveau calendrier de la Cour du Québec suscite de nombreuses préoccupations parmi les avocats qui travaillent au Nunavik.
La population inuit est beaucoup plus judiciarisée que le reste de la population québécoise, et le système judiciaire peine à traiter le volume de dossiers avec le nombre actuel de jours d’audiences.
Selon sa porte-parole, le Barreau du Québec appuie les demandes de la Cour du Québec pour deux nouveaux postes de juges dans le district judiciaire de l’Abitibi.
« Le Barreau recommande depuis déjà de nombreuses années la nomination de juges additionnels à la Cour du Québec pour desservir la Cour itinérante au Nunavik. Le Barreau a d’ailleurs réitéré sa demande en ce sens auprès du gouvernement lors des consultations prébudgétaires plus tôt cette année », affirme Hélène Brisson.
Pénurie de juges
Il y a 13 postes de juges en Abitibi, mais un poste n’est pas pourvu et deux magistrats sont en arrêt de travail. Des juges suppléants viennent régulièrement en renfort, mais ce n’est pas toujours suffisant pour assurer toutes les journées d’audiences à l’horaire.
En raison du manque de juges, la Cour du Québec a été forcée d’annuler les audiences de la semaine du 18 juillet à Kuujjuaq. Des centaines de dossiers ont été reportés, jusqu’en juin 2023 dans certains cas, et plusieurs avocats de la défense préparent des requêtes en délais déraisonnables dans ces dossiers.
De plus, la Cour du Québec a décidé qu’à partir de cet automne, ses juges bénéficieront d’un jour de délibéré pour chaque jour siégé. À l’heure actuelle, les juges siègent deux jours pour chaque jour de délibéré.
Le cabinet du ministre de la Justice du Québec Simon Jolin-Barrette répond qu’il revient à la Cour du Québec « de coordonner l’assignation de ses 319 juges et 61 juges suppléants ».
« Chaque juge a compétence sur tout le territoire du Québec et pour l’ensemble de la compétence de la Cour, quelle que soit la chambre à laquelle il est affecté », explique le porte-parole Pascal Ferland.
Le gouvernement du Québec a commandé un rapport sur l’état critique du système de justice au Nunavik, qui devrait inclure des solutions concrètes pour régler les problèmes les plus urgents. Il sera rendu public prochainement.
Réduction de services
Makivik craint qu’avec moins de jours d’audiences dans plusieurs communautés du Nunavik, un nombre important d’accusés, de victimes et de témoins doivent se déplacer vers le palais de justice Kuujjuaq dans des conditions difficiles.
La pénurie de logements et de chambres d’hôtel dans le Nord fait en sorte qu’il est difficile pour ces gens de trouver des endroits où habiter lorsqu’ils doivent se rendre devant la cour. Dans certains cas, les accusés et leurs victimes alléguées doivent voyager dans le même avion, ce qui peut « exacerber les tensions et/ou les traumatismes », affirme Makivik.
Makivik demande donc au gouvernement de mettre à niveau les locaux dans diverses communautés qui accueillent la cour itinérante. Formée d’un juge, de procureurs, d’avocats et d’employés du gouvernement, cette cour se déplace périodiquement dans les diverses communautés du Nunavik pour tenir des audiences dans des dossiers criminels ou de protection de la jeunesse.
Makivik voudrait aussi que chaque communauté ait accès à un système de comparutions virtuelles pour accélérer le traitement des causes devant la Cour du Québec.
L’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales se préoccupe de l’état du système de justice dans le nord du Québec, y compris de la pénurie de personnel qui travaille dans le district de l’Abitibi.
« L’annulation des audiences [durant la semaine du 18 juillet] est une autre difficulté qui s’ajoute et complexifie les problématiques avec lesquelles le Nord doit déjà composer. Les grandes perdantes du manque de ressources sont les personnes victimes puisqu’elles ne bénéficient pas des services auxquels elles ont droit », soutient son vice-président, Andy Drouin.
Un texte de Daniel Leblanc, Radio-Canada