Nord québécois : des chercheurs analysent les émissions de contaminants d’une nouvelle centrale

La rivière Innuksuac, près de la communauté inuit d’Inukjuak, où est construit un barrage pour produire de l’électricité. (Dominic Ponton)
La communauté inuit d’Inukjuak sera bientôt alimentée en énergie par un barrage hydroélectrique bâti sur le pergélisol plutôt que par une centrale au diesel. Mais le pergélisol qui sera ennoyé pourrait aussi libérer des contaminants dans l’environnement, notamment du mercure. Et c’est ce qu’étudie une équipe de chercheurs dirigée par le professeur Marc Amyot de l’Université de Montréal.

« À notre connaissance, ce sera la première centrale sur pergélisol à être étudiée de façon aussi intensive par une équipe multidisciplinaire de scientifiques pour bien cerner les effets environnementaux », indique M. Amyot dans un courriel. Il ajoute que « c’est l’un des rares projets de ce type qui se fait en mode de co-construction des savoirs entre une communauté autochtone, l’industrie hydroélectrique et les universités ».

Comme la nouvelle centrale hydroélectrique est construite au fil de l’eau, elle sera alimentée par le débit de la rivière Innuksuac. Ainsi, il n’est pas nécessaire de construire un réservoir artificiel, donc d’inonder un grand territoire.

Il y a tout de même une surface limitée en amont de la centrale près de la rivière qui sera ennoyée.Marc Amyot, professeur au Département de sciences biologiques à l'Université de Montréal

Selon lui, « lorsqu’une région terrestre avec du pergélisol est inondée, il peut y avoir propagation de chaleur causant une dégradation du pergélisol. La première étape est de bien comprendre comment se distribue le pergélisol avant l’inondation, puis de suivre sa progression suite à l’inondation ».

Pour étudier les émissions de mercure sur le site du barrage, l’équipe a creusé deux trous de 15 mètres, le premier dans la zone qui sera inondée, et un second dans une zone à proximité du barrage, qui va servir de référence.

On équipera ces trous de sondes qui nous permettront d’estimer l’état du pergélisol au niveau thermique. On fera aussi une série de forages de surface pour compléter notre évaluation de l’état du pergélisol avant inondation.Marc Amyot, professeur au Département de sciences biologiques à l'Université de Montréal

Une vue de la foreuse servant à faire les trous de 15 mètres. Ceux-ci seront munis de sondes pour estimer l’état du pergélisol. (Dominic Ponton)

Pourquoi étudier le pergélisol et les émissions de mercure plus spécifiquement? Pour M. Amyot, la principale raison est que « le pergélisol et la couche de surface peuvent contenir des contaminants qui se sont déposés par voie atmosphérique sur de longues périodes de temps ». L’équipe de chercheurs veut donc déterminer « si le mercure accumulé dans les couches de sols de surface ou plus profondes pourrait être libéré dans la rivière après la mise en eau ».

Ce phénomène est important, car le mercure présent dans le pergélisol subit une méthylation par les micro-organismes de la rivière. C’est un processus naturel, mais qui produit un composé très toxique appelé méthylmercure. Il s’accumule dans les tissus vivants et se retrouve ensuite dans la chaîne alimentaire. Le méthylmercure est d’abord absorbé par les insectes aquatiques et les poissons, puis il est ingéré par les organismes qui se nourrissent de ces poissons et de ces insectes. Ultimement, c’est l’être humain qui est contaminé.

« On voudra voir si les concentrations augmentent avec le temps après l’inondation » du terrain en amont de la centrale hydroélectrique, explique M. Amyot.

Une recherche menée en partenariat

Si le projet de recherche se déroule en partenariat avec la communauté inuit, l’industrie et différentes universités, les préoccupations de la communauté ont été prises en compte dès le départ, insiste M. Amyot.

Le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), Innavik Hydro et Hydro-Québec s’allient à des chercheurs en écologie, en écotoxicologie, en géomorphologie, en anthropologie, en génomique microbienne, qui proviennent de l’Université de Montréal, de l’Université Concordia et de l’Université du Québec en Outaouais.

Marc Amyot et Michel Sliger près d’un trou de 15 mètres sur la berge de la rivière Innuksuac. (Dominic Ponton)

Le projet de recherche d’Inukjuak n’est pas le seul qui étudie les effets environnementaux de la production d’hydroélectricité. En effet, d’autres initiatives sont menées en partenariat avec d’autres Premières Nations, notamment les Atikamekw de Wemotaci (pour l’étude de la rivière Saint-Maurice) et les Innus d’Ekuanitshit (pour la rivière Romaine).

La particularité de ces projets de recherche est que l’équipe a « réservé des fonds afin de pouvoir réellement intégrer les communautés autochtones dans la recherche », se réjouit M. Amyot, qui ajoute que les demandes ont été co-construites avec les communautés.

« On souhaite intégrer des guides et des jeunes, par des emplois d’été, aux travaux sur le terrain [et] on vise également à faire des camps du savoir avec les écoliers, en partenariat avec les communautés […] Les savoirs traditionnels et les savoirs scientifiques liés au projet seraient présentés comme complémentaires », souligne M. Amyot.

À son avis, « il s’agit de la plus grande étude scientifique à ce jour sur les conséquences environnementales des centrales au fil de l’eau dans des zones pouvant contenir du pergélisol ».

Une source d’énergie renouvelable

La construction d’un barrage a été annoncée en mai 2019. Le projet, évalué à 125 millions de dollars, est mené par Innavik Hydro. Il est issu du partenariat entre Innergex énergie renouvelable inc. et la Corporation foncière Pituvik.

Le barrage sur la rivière Innuksuac produira 7,5 mégawatts d’électricité et permettra à la communauté de combler ses besoins en énergie et même de diversifier son économie en accueillant de nouvelles entreprises.

La centrale hydroélectrique d’Inukjuak en construction (Dominic Ponton)

En 2019, Hydro-Québec soutenait que l’alimentation en électricité de la communauté d’Inukjuak grâce au barrage hydroélectrique lui ferait économiser 20 % des coûts, tout en réduisant de plus de 80 % la consommation d’hydrocarbures, et de 700 000 tonnes les émissions de gaz à effet de serre.

« Je pense que ce qu’on trouvera à Inukjuak pourrait informer d’autres communautés nordiques et les aider à prendre des décisions dans un contexte de transition énergétique », dit M. Amyot.

Il est intéressant pour une communauté de pouvoir s’affranchir des énergies fossiles, mais il faut pouvoir optimiser les bénéfices et minimiser les effets négatifs d’une telle transition.Marc Amyot, professeur au Département de sciences biologiques à l'Université de Montréal

La durabilité financière du barrage hydroélectrique sur la rivière Innuksuac repose sur un contrat d’approvisionnement en électricité de 40 ans signé entre les promoteurs et Hydro-Québec.

Des audiences publiques ont eu lieu en mars 2019 pour permettre aux membres de la communauté de s’exprimer sur le projet. Puis 83 % de la population a voté pour la construction du barrage lors d’un référendum tenu le même mois.

Les habitants d’Inukjuak avaient toutefois fait part à l’époque de leurs préoccupations quant à la qualité de l’eau. Le président de Pituvik avait alors affirmé que la teneur en mercure des eaux serait « surveillée de près ».

Un texte de Charles-Émile L’Italien-Marcotte

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