Dans le paysage arctique, s’il y a une chose qu’on voit rarement, ce sont les éclairs. Or, avec les températures qui grimpent de trois à quatre fois plus vite dans cette région du globe, la présence d’air chaud et humide est de plus en plus fréquente. Il en résulte des conditions propices à la formation d’orages et d’éclairs.
Chris Vagasky en a fait le constat. Ce météorologue est expert du système de détection d’éclairsGlobal Lightning Networkde la compagnie Vaisala.
En 2021, on a détecté 7000 éclairs au total. C’était presque deux fois le nombre combiné d’éclairs détectés les neuf années précédentes. C’est un nombre important à ces latitudes et même au-delà de 80 degrés Nord.Chris Vagasky, météorologue, Vaisala
À l’été 2019, des éclairs sont détectés à 50 kilomètres seulement du pôle Nord, une latitude à laquelle la foudre n’a jamais été détectée. En Alaska, dans l’Arctique canadien, comme en Sibérie, les éclairs sont de moins en moins rares.
Comme le souligne Alex Young, météorologue américain à Fairbanks, en Alaska, c’est en partie la capacité de détection améliorée qui explique pourquoi on dénombre plus d’éclairs. Les systèmes de détection d’éclairs, dans l’Arctique, se sont surtout développés depuis une dizaine d’années, ce qui rend les comparaisons, au-delà de cette période, plus difficiles.
Cela dit, les météorologues situés à de hautes latitudes observent les conditions changeantes du climat. Alex Young fait état d’événements météo plus sévères qu’à l’habitude ces dernières années en Alaska. Ce temps chaud, dans le cercle arctique, n’est pas étranger à l’intensification des feux dans ces régions.
À l’été 2022, l’Alaska et la Sibérie ont connu des saisons de feux parmi leurs plus sévères. Et les éclairs peuvent jouer un rôle important dans le déclenchement de certains incendies. Des chercheurs, comme Sander Veraverbeke, de l’Université libre d’Amsterdam, ont étudié les sites de récents feux en Sibérie.
La majorité des feux sont allumés par des humains. Mais dans les régions reculées de l’Arctique, la bougie d’allumage, ce sont les éclairs. Presque tous les feux, à l’intérieur du cercle arctique, sont déclenchés par des éclairs.Sander Veraverbeke, professeur en étude du climat et des écosystèmes, Université libre d’Amsterdam
Comme la forêt et la toundra s’assèchent avec la hausse des températures, la capacité d’ignition augmente et ce serait, selon Sander Veraverbeke, la combinaison de matières plus sèches au sol et du nombre d’éclairs qui mènerait à plus d’allumages dans l’extrême nord.
Avec l’intensification des feux en été à de très hautes latitudes, on a aussi observé un curieux phénomène l’hiver qui suit : des feux qui persistent incognito dans les profondeurs de la tourbière et se consument lentement tout l’hiver, sous la neige. On les a surnommés « zombie fires ».
Les feux déclenchés par les éclairs surviennent surtout au solstice d’été, en juin. Mais avec ces feux fantômes qui perdurent tout l’hiver, les sites se renflamment aussitôt que la neige a disparu. En conséquence, la saison des feux commence plus tôt.Sander Veraverbeke, professeur en étude du climat et des écosystèmes, Université libre d’Amsterdam
C’est ce que l’équipe du chercheur a récemment observé en Sibérie. Les images satellitaires montrent que, très tôt au printemps, le feu a démarré sur le pourtour d’un site incendié l’été précédent avant de gagner du terrain tout l’été durant.
Comment expliquer que ces feux qui courent sous la neige ne soient pas éteints au contact de l’eau résultant de la fonte de la neige? Jennifer Baltzer, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les forêts et le changement mondial à l’Université Wilfrid-Laurier en Ontario, explique que ces feux ne font pas systématiquement fondre toute la neige qui se trouve au-dessus d’eux.
« Ces tourbières sont un super isolant. Si vous avez un feu qui consume des couches profondes de cette tourbière, il va être isolé de la neige et du froid tout au-dessus. Ces propriétés isolantes contribuent à maintenir l’activité de ce feu », ajoute-t-elle.
À l’été 2022, Jennifer Baltzer a dirigé une équipe de chercheurs dans les Territoires du Nord-Ouest pour y arpenter des zones récemment dévastées par les feux et tenter de mieux comprendre la nature et la portée de ces feux hivernaux (zombie fires). Les chercheurs souhaitaient, entre autres, mesurer l’impact de ces feux sur les émissions de carbone.
« Si les feux atteignent de grandes profondeurs, est-ce qu’on risque de consumer du carbone ancien et de le relâcher dans l’atmosphère? C’est une des questions qu’on se pose », indique Jennifer Baltzer.
La hausse des températures, la multiplication des éclairs et des feux ainsi que les émissions supplémentaires de dioxyde de carbone sont un cercle vicieux auquel l’Arctique ne pourra échapper.