« Nous avons besoin de votre aide » : des Inuit demandent l’extradition du père Rivoire

La délégation inuit à Paris le 12 septembre 2022 : Kilikvak Kabloona, directrice générale de Nunavut Tunngavik Inc., Aluki Kotierk, présidente, Jesse Tungilik, Tanya Tungilik et Steve Mapsalak. (Juanita Taylor/Radio-Canada)
La délégation inuit qui est en France pour demander l’extradition de Johannes Rivoire a imploré le public français de faire pression sur son gouvernement afin que le prêtre accusé de pédophilie soit traduit en justice au Canada.

Cette conférence de presse à Paris marque le début de la tournée de la délégation, qui sera en sol français jusqu’au 15 septembre.

D’emblée, la présidente de Nunavut Tunngavik Inc., Aluki Kotierk, s’est attaquée aux deux objections principales à l’extradition : l’âge avancé de Johannes Rivoire, qui est nonagénaire, et le fait qu’il est citoyen français.

Elle a rappelé que le père Rivoire a également la citoyenneté canadienne et que la France a un traité d’extradition avec le Canada.

Johannes Rivoire est un ressortissant canadien. C’est un fugitif. Pour nous, il est inacceptable qu’il soit jugé en France. Il doit faire face à la justice au Canada.Aluki Kotierk, présidente, Nunavut Tunngavik Inc.

Quant à l’âge avancé du père Rivoire, Aluki Kotierk a rappelé le procès de l’ex-premier ministre français Édouard Balladur, traduit en justice en 2021 à l’âge de 91 ans. Johannes Rivoire « est lucide », selon elle, et ne devrait pas échapper à la justice.

La presse est rassemblée à Paris le 12 septembre 2022 pour entendre la délégation inuit qui s’est déplacée pour demander l’extradition du prêtre Rivoire. (Juanita Taylor/Radio-Canada)

Steve Mapsalak, une victime alléguée et ancien député territorial, a témoigné avec émotion devant les nombreux journalistes.

J’ai longtemps pensé que j’étais sa seule victime. J’ai besoin de clore ce chapitre. Toutes ces années ont été des années de souffrance.Steve Mapsalak, membre de la délégation inuit en France

Tanya Tungilik, fille de Marius Tungilik, une autre victime alléguée aujourd’hui décédée, a longuement parlé de l’impact intergénérationnel des agressions présumées qu’a subi son père.

« Un an avant la mort de mon père, j’ai dû couper les liens avec lui pour mon propre bien-être. Son alcoolisme était devenu très grave. J’étais si proche de mon père. Couper les liens a été très difficile, et je me sens encore tellement coupable aujourd’hui. Je ne verrai plus jamais mon père à cause de Johannes Rivoire », a raconté Tanya Tungilik.

La délégation de NTI rencontrera cette semaine le ministre français de la Justice et l’ambassadeur du Canada en France Stéphane Dion.

Elle a également demandé de rencontrer le président Emmanuel Macron et la première ministre Élisabeth Borne. Elle souhaite aussi une rencontre avec le prêtre Rivoire, qui vit maintenant à Lyon, mais n’a pas encore reçu de réponse.

Rares extraditions de ressortissants français

Les premières accusations d’agressions sexuelles contre le prêtre ont été déposées en 1998 pour les gestes commis dans les années 1960 dans les communautés d’Arviat, de Rankin Inlet et de Naujaat, au Nunavut. Le prêtre Rivoire a fui le Canada vers la France en 1993, échappant du coup à ces accusations.

Ces accusations ont été suspendues en 2017 par le Service des poursuites pénales du Canada, jugeant qu’il n’y avait plus de perspective raisonnable de condamnation contre le prêtre catholique.

La pression pour que le prêtre soit traduit en justice au Canada ne s’est pas éteinte pour autant. À la suite de nouvelles accusations déposées en 2021 et le lancement d’un mandat d’arrêt en février cette année, plusieurs voix se sont élevées pour demander son extradition vers le Canada.

En mars 2022, le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), Natan Obed, s’est rendu au Vatican pour s’adresser directement au pape et demander qu’il intervienne et ordonne à Johannes Rivoire de revenir au Canada pour y être traduit en justice.

Natan Obed, le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami qui représente environ 65 000 Inuit (archives). (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

En juillet, le Service des poursuites pénales du Canada a fait une demande d’extradition du prêtre Rivoire. Le ministère français des Affaires étrangères a confirmé en août avoir reçu la demande, mais aucune décision n’a été prise dans ce dossier.

Selon le traité entre le Canada et la France, les deux pays ne sont pas obligés d’extrader leurs propres citoyens, et la France accepte rarement de le faire.

L’avocate spécialisée en immigration et asile de droit français, Nadia Debbache, dont les services ont été retenus par NTI, dit que le temps presse pour extrader le prêtre.

« Nous n’avons pas beaucoup de temps, car M. Rivoire est très âgé. »

Julie Plourde, Radio-Canada

Vidéojournalise à Yellowknife