Le réchauffement aggrave les risques liés au mercure dans l’Arctique

Des chercheurs prélèvent un échantillon de sédiments au fond d’un lac dans les Territoires du Nord-Ouest. (Ressources naturelles Canada)
Le plus volumineux rapport portant sur l’accumulation du mercure dans l’Arctique et ses effets sur le vivant vient de paraître. Il montre comment les émissions des dernières décennies continuent de causer des ravages chez les résidents des hautes latitudes, chez les mammifères marins et chez les oiseaux. Or, la fonte du pergélisol et la multiplication des feux de forêt contribueraient aussi à augmenter la circulation de ce métal toxique.

Ce rapport en anglais, le 2021 AMAP Mercury Assessment, produit par les scientifiques du Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique du Conseil de l’Arctique, synthétise les données récoltées au cours des 20 dernières années et utilise les récents modèles climatiques et d’émissions de polluants pour faire l’état de la situation.

D’emblée, les chercheurs notent que les niveaux de mercure ont diminué au cours des dernières années dans l’atmosphère de l’Arctique, une conséquence possible des efforts réalisés pour réduire les émissions mondiales. Pas moins de 98 % du mercure atmosphérique provient en effet de l’extérieur de l’Arctique. Toutefois, pour nombre d’espèces arctiques, on enregistre une augmentation du mercure dans les échantillons prélevés.

L’utilisation du charbon comme combustible et certains procédés employés par les minières constituent les plus grandes sources d’émissions de mercure dans le monde. L’amélioration des procédés industriels et le remplacement de certains produits ont permis de réduire les émissions de mercure dans beaucoup de régions du globe. En Asie, notamment en Chine, on constate une hausse des émissions atmosphériques de mercure.

Les principales conclusions du rapport avaient été dévoilées l’an dernier, mais le document complet vient d’être validé, permettant la publication officielle du rapport, souligne par courriel un porte-parole du Conseil de l’Arctique.

Les chercheurs rappellent que le mercure atmosphérique est transporté dans l’air par les courants jusque dans l’Arctique, mais aussi que le mercure émis ces dernières décennies n’est pas disparu comme par magie, mais s’est plutôt accumulé dans la végétation, les sols, les glaces et l’eau. 

Ainsi, par une série de phénomènes naturels, ce mercure peut retourner dans l’air, dans l’eau et dans les sédiments, soit lors de la fonte des glaces, avec les précipitations ou à travers l’action du soleil. À mesure que le mercure se dépose dans les écosystèmes, les microbes présents dans l’environnement le métabolisent, produisant du méthylmercure, une neurotoxine organique dangereuse.

« Le mercure continue de susciter des craintes pour certains mammifères marins arctiques à longue durée de vie, comme l’ours polaire, le globicéphale, le narval, le béluga et le phoque à capuchon », peut-on lire dans le document.

Ces animaux sont situés au sommet de la chaîne alimentaire. C’est pourquoi le mercure, qui s’accumule à chaque maillon de la chaîne, est présent en grande concentration dans la chair ou les poils de ces organismes. On s’inquiète aussi pour des populations d’oiseaux marins. Cependant, les niveaux mesurés chez les animaux varient d’une population à l’autre ou d’une région à l’autre, constatent les chercheurs.

Les chercheurs sont moins inquiets pour de plus petits mammifères ou poissons, chez qui on retrouve moins de mercure.

Les communautés de l’Arctique, qui se nourrissent de poissons et de la chair de cétacés, entre autres, se contaminent à leur tour. On sait que le mercure affecte le système neurologique et cause de graves problèmes de développement chez les enfants.

Le rapport offre une lueur d’espoir : les concentrations mesurées chez les personnes au Nunavik, au Groenland et dans les îles Féroé ont substantiellement diminué depuis les années 90. Les chercheurs mentionnent que leur échantillon géographique est limité et insistent sur l’importance de poursuivre la surveillance.

Les Inuit se nourrissent traditionnellement de mammifères marins dont la chair est très nutritive, mais qui peut contenir beaucoup de contaminants, comme le plomb et le mercure. (Laurence Niosi/Radio-Canada)
Des réservoirs naturels de mercure à surveiller

Les changements climatiques pourraient accélérer les rejets de mercure dans l’air et dans l’eau, selon les scientifiques.

Les chercheurs estiment que la fonte des glaciers et du pergélisol représente une nouvelle menace qui commence à être bien documentée. Le réchauffement climatique libère ainsi du mercure accumulé de façon naturelle et enfoui depuis des milliers d’années. Les répercussions demeurent incertaines.

Ils signalent aussi le rôle joué par les estuaires des grandes rivières et fleuves de l’Arctique. Ils transportent l’eau et des sédiments contenant du mercure accumulé vers l’océan.

Les chercheurs notent également que le mercure peut s’accumuler dans les écosystèmes marins par le phytoplancton, à la base de la chaîne alimentaire. Un processus amplifié par le retrait de la glace de mer et le réchauffement de l’eau. Cela contamine les organismes qui s’en nourrissent et leurs prédateurs.

Une étude montrait l’an dernier que des échantillons d’eau prélevés sur la calotte glaciaire du Groenland avaient des niveaux de mercure extrêmement élevés, comparables à ceux des rivières de la Chine industrielle.

Plusieurs études ont aussi documenté le phénomène d’accumulation de mercure dans les lacs et les rivières du Nord, ce qui est accentué avec le dégel du pergélisol.

L’augmentation prévue des incendies de forêt, causée par un climat plus chaud et plus sec, constitue une autre menace soulignée dans le rapport. Ces feux pourraient libérer dans l’atmosphère une grande quantité de mercure accumulée dans la biomasse, remarquent les scientifiques.

Un lac thermokarstique en Alaska. Les lacs thermokarstiques se forment dans l’Arctique lorsque le pergélisol dégèle.(Photo : JPL-Caltech/NASA)

Des pistes de solutions existent. Il est impératif de réduire les émissions industrielles de mercure et les émissions de GES, croient les chercheurs.

Il faut aussi poursuivre la recherche sur les impacts des changements climatiques sur le transport et l’accumulation du mercure dans les écosystèmes.

« La biosurveillance doit être poursuivie et étendue pour améliorer la compréhension des principales voies d’exposition humaine au mercure, y compris la sécurité et la salubrité des aliments », peut-on lire.

Le rapport mentionne aussi l’importance d’incorporer le savoir autochtone dans la recherche et de tenir compte des pratiques locales et de l’autonomie des communautés. On y évalue en effet que la nourriture traditionnelle comme la chair de baleine a une importance culturelle et comporte de grands bénéfices sur le plan nutritionnel, qui l’emportent sur le risque de contamination au mercure. « Éviter ces aliments n’est pas une option dans de nombreux cas. »

On parle aussi de l’importance d’appliquer de la Convention de Minamata sur le mercure (ONU), qui vise à protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets néfastes de ce métal lourd.

Vous avez remarqué une erreur ou une faute ? Cliquez ici !

Laisser un commentaire

Note: En nous soumettant vos commentaires, vous reconnaissez que Radio Canada International a le droit de les reproduire et de les diffuser, en tout ou en partie et de quelque manière que ce soit. Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette.
Nétiquette »

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *