Interdiction du mazout lourd dans l’Arctique : le Canada et la Russie comptent se prévaloir de la période de grâce

Des navires près de la ville d’Iqaluit dans l’est de l’Arctique canadien (Sean Kilpatrick/La Presse canadienne)
Ottawa et Moscou ont signifié ces dernières semaines à l’Organisation maritime internationale (OMI) qu’ils pourraient ne pas appliquer de façon volontaire l’interdiction du mazout lourd dans l’Arctique dès juillet 2024, comme inscrit dans un traité qui prévoit toutefois l’interdiction obligatoire pour tous les pays en 2029. Le Canada signale toutefois qu’il garde le cap pour s’y conformer le plus tôt possible.

Les deux pays, qui occupent la majorité de l’espace arctique, se prévalent ainsi d’une période de grâce maximale de cinq ans, prévue dans un amendement à la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL).

Cette convention, adoptée par les États en 1973, a été modifiée à l’été 2021 à la suite de pourparlers entre les pays pour inclure l’interdiction planifiée de l’utilisation du mazout lourd un hydrocarbure très polluant comme carburant et comme cargaison dans les navires dans la région arctique.

La date du 1er juillet 2024 avait été inscrite comme début d’une période d’interdiction volontaire par les pays. Cela permettait à certains de convertir leurs flottes et de trouver des solutions de rechange, le tout en prévision de l’interdiction formelle en 2029.

Ainsi, « une partie à la Convention MARPOL dont le littoral donne sur les eaux arctiques peut dispenser temporairement de l’application des prescriptions pour les navires battant son pavillon lorsqu’ils sont exploités dans des eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction de cette partie, jusqu’au 1er juillet 2029 », peut-on lire sur le site de l’OMI concernant l’amendement à la Convention.

Les pays devaient avertir l’OMI de leur intention de se conformer de façon volontaire aux dispositions de la Convention avant le 1er novembre 2022.

Dans sa lettre transmise à l’OMI le 10 octobre dernier, la Russie n’a pas cité de raison spécifique pour se prévaloir de la période de grâce jusqu’en 2029.

Le Canada, lui, rappelle dans sa lettre transmise à l’OMI le 28 septembre sa volonté de se conformer aux prescriptions de la Convention, mais signale ne pas avoir encore finalisé le processus législatif requis. 

« La note envoyée le 28 septembre 2022 au secrétaire général de l’Organisation maritime internationale […] indique que le gouvernement du Canada appuie entièrement les modifications à la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires et qu’il a l’intention de s’y conformer », explique par courriel une porte-parole de Transports Canada.

« Le Canada suit les procédures nationales pour adopter ces modifications dans le droit canadien. La note du 28 septembre explique que le processus national peut prendre du temps, ce qui pourrait retarder la mise en œuvre du régime obligatoire. Il faut notamment suivre le processus national d’adoption des traités concernant les traités avec les peuples autochtones, tel que reconnu et affirmé dans la section 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 », poursuit-elle.

« Le Canada a commencé ses procédures nationales et il informera [l’OMI] de leur achèvement dans une note ultérieure », peut-on lire dans la lettre transmise à l’OMI. L’OMI a confirmé à Regard sur l’Arctique avoir bien reçu la lettre du Canada. 

Un produit pétrolier dangereux pour l’environnement

Le mazout lourd est largement utilisé dans le transport maritime international, notamment au Canada, pour approvisionner les communautés isolées de l’Arctique. Il est interdit dans les eaux antarctiques depuis 2011.

Le mazout lourd est un terme générique utilisé pour décrire des carburants à faible coût, de viscosité et de densité élevées, qui restent longtemps présents dans l’environnement en cas de déversement d’hydrocarbures causé par un navire, rendant ainsi sa récupération particulièrement difficile. Il peut contaminer tout l’écosystème et sa toxicité a des effets pendant des années.

Aussi, lorsqu’utilisé comme carburant, le mazout lourd émet dans l’air du carbone noir, des particules qui noircissent la glace et la neige lorsqu’elles retombent. Cela contribue à l’accélération de la fonte des glaces.

Ottawa privilégie une approche graduelle dans l’interdiction de ce produit pétrolier, car plusieurs routes de transport en dépendent et son remplacement risque d’entraîner des coûts élevés, qui se répercutent sur les communautés de l’Arctique.

Pour le gouvernement du Canada, « il est prioritaire d’établir un équilibre entre les avantages environnementaux de l’interdiction et les réalités économiques des communautés autochtones et inuit du Nord qui utilisent du mazout lourd pour se réapprovisionner », rappelle Transports Canada sur son site Internet.

La volonté des pays d’interdire le mazout lourd dans l’Arctique avait été saluée ces dernières années par le milieu environnemental et par les organisations inuit.

Des organisations environnementales jugent toutefois que les modalités de l’interdiction adoptée par les pays en 2021 ne vont pas assez loin, contiennent trop d’exceptions et laissent une période de grâce trop longue, alors que le trafic maritime augmente rapidement dans cette région du monde.

En réaction aux lettres du Canada et de la Russie à l’OMI, le regroupement d’ONG Clean Arctic Alliance se dit préoccupé par l’intention des deux pays de retarder l’interdiction.

« [Nous demandons] au Canada d’exclure les échappatoires telles que les soi-disant dérogations qui exempteraient les navires de l’interdiction, et de mettre en place un fonds fédéral de transition pour le carburant marin afin de garantir que toute conséquence économique négative de la mise en œuvre de l’interdiction n’aura pas d’impact négatif sur les communautés du Nord », dit dans un communiqué Sam Davin du Fonds mondial pour la nature (WWF Canada).

« Le Canada devrait également exiger que tous les navires opérant dans les eaux intérieures utilisent des alternatives plus propres aux carburants lourds, dont les distillats, comme la Norvège l’a fait dans les eaux de l’archipel du Svalbard », poursuit-il.

Augmentation du trafic maritime

Seulement dans les eaux arctiques canadiennes, le nombre de voyages a plus que triplé au cours des trois dernières décennies, pour atteindre 464 voyages en 2019.

En 2019, 165 navires, soit environ 10 % de la flotte circulant dans l’Arctique, utilisaient du mazout lourd comme carburant, selon les données du PAME (Protection of the Arctic Marine Environment), un groupe de travail du Conseil de l’Arctique. Pour la plupart, ce sont des vraquiers, des pétroliers et des navires-cargos. 

Une étude menée sur la période 2010-2018 montrait quant à elle que 37 % des navires qui avaient circulé dans l’Arctique canadien durant cette période utilisaient du mazout lourd.

Par ailleurs, une grande proportion des navires qui circulent dans l’Arctique battent pavillon russe.

La Russie, qui avait milité pour l’obtention d’une période de grâce avant l’interdiction du mazout lourd, appuie sur l’accélérateur pour exploiter les ressources pétrolières et gazières dans l’Arctique, avec le développement d’énormes gisements dans le Grand Nord. Elle multiplie en même temps les voies d’exportations maritimes qu’elle entend développer davantage vers l’Asie.

Regard sur l’Arctique a tenté de joindre le ministère russe des Transports pour connaître les raisons du report de l’interdiction par ce pays, mais n’avait pas obtenu de réponse au moment d’écrire ces lignes.

Avec les informations de Mathiew Leiser, Regard sur l’Arctique

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