Des traductions absurdes soulèvent un tollé chez les Autochtones d’Alaska

Une opération de recherche et d’évaluation des dommages à Deering, en Alaska, montre les dégâts causés par le typhon Merbok, le 18 septembre 2022. (Associated Press/Garde cotière américaine)

À la suite d’une tempête particulièrement destructrice survenue dans l’ouest de l’Alaska, en septembre 2022, le gouvernement américain a contacté les victimes de dégâts en tentant de leur écrire dans leurs langues autochtones, comme le yup’ik ou l’inupiaq.

Quelle ne fut pas la surprise des destinataires à la lecture du courrier envoyé par l’Agence fédérale américaine de gestion des urgences (FEMA)…

Demain, il partira à la chasse très tôt, et ne ramènera rien, peut-on lire dans un extrait soi-disant traduit. Le traducteur a ajouté au hasard le mot Alaska au milieu de la phrase. Ou encore : Votre mari est un ours polaire, maigre, indiquait un autre passage absurde.

Un autre, encore, était entièrement rédigé en inuktitut, une langue autochtone parlée dans le nord du Canada… loin de l’Alaska.

Le yup’ik d’Alaska central constitue la langue autochtone la plus répandue dans cet État, avec environ 10 000 locuteurs répartis dans 68 villages du sud-ouest de l’Alaska. Les enfants apprennent le yup’ik comme première langue dans 17 de ces villages.

Selon le Centre linguistique d’Alaska, il y a aussi environ 3000 locuteurs de l’inupiaq dans le nord de l’Alaska.

Salade de mots

Il semble que les mots et les phrases utilisés dans les documents traduits aient été tirés de l’édition 2011 de Yupik Eskimo Texts from the 1940s (Textes esquimaux yupik des années 1940, en français) de Nikolai Vakhtin, analyse John DiCandeloro, archiviste du Centre linguistique d’Alaska.

Il s’agit de notes de terrain recueillies sur la péninsule russe de Tchoukotka, de l’autre côté du détroit de Béring par rapport à l’Alaska, dans les années 1940, à partir d’entrevues avec les habitants sur leur mode de vie et leur culture.

Ces ouvrages ont ensuite été traduits et diffusés sur le site web du Centre linguistique, ce qui a permis d’enquêter sur l’origine des textes mal traduits, explique Gary Holton, professeur de linguistique et ancien directeur du Centre des langues autochtones d’Alaska (Alaska Native Language Center).

Le spécialiste, qui a environ trente ans d’expérience dans la documentation et la revitalisation des langues autochtones de l’Alaska, a effectué des recherches dans les archives en ligne et trouvé coup sur coup des mots tirés directement de l’œuvre russe et placés au hasard dans les documents de la FEMA.

Il est clair qu’ils ont juste pris les mots du document et les ont placés dans un ordre aléatoire pour donner quelque chose qui ressemble au yup’ik mais qui n’a aucun sens, ajoute-t-il, qualifiant le produit final de salade de mots.

La représentante autochtone de l’Alaska, Mary Peltola, lors d’une conférence qui s’est tenue à la suite d’une tempête destructrice le long de la côte ouest de l’Alaska en septembre 2022. (Photo d’archives /Associated Press/ Mark Thiessen)

Douloureux rappel

Même si la FEMA a reconnu sa responsabilité dans les erreurs de traduction et licencié l’entreprise californienne qui en est l’auteure, l’incident a provoqué un profond malaise au sein des communautés.

Voilà un autre rappel douloureux des mesures prises pour empêcher les enfants autochtones de l’Alaska de parler leurs langues, se désole Tara Sweeney, une Inupiaq qui a été secrétaire adjointe aux Affaires indiennes du ministère de l’Intérieur des États-Unis pendant l’administration Trump.

Lorsque ma mère a été battue pour avoir parlé sa langue à l’école, comme des centaines, des milliers d’Autochtones d’Alaska, et que le gouvernement fédéral distribue de la documentation indiquant qu’il s’agit d’une langue autochtone de l’Alaska, je ne peux même pas décrire l’émotion qui se cache derrière ce genre de symbole, s’indigne Mme Sweeney.

Cette dernière a demandé la tenue d’une audience spéciale au Congrès pour découvrir depuis combien de temps et à quelle échelle cette pratique de traduction est utilisée au sein du gouvernement américain.

Ces traducteurs contractuels du gouvernement ont certainement profité du système et ont eu un impact profond, à mon avis, sur les communautés vulnérables, pressent Mme Sweeney, dont l’arrière-grand-père, Roy Ahmaogak, a inventé l’alphabet inupiaq il y a plus d’un demi-siècle.

La représentante américaine Mary Peltola, qui est Yup’ik et est devenue l’année dernière la première Autochtone d’Alaska élue au Congrès, a déclaré qu’il était décevant que la FEMA ait commis une telle bévue avec les traductions.

Je suis convaincue que la FEMA continuera à apporter les changements nécessaires pour être prête la prochaine fois qu’elle sera appelée à servir nos citoyens, fait valoir l’élue démocrate qui, elle, n’a pas demandé d’audience pour approfondir la question au Congrès.

Absence d’explication

Nous n’avons aucune excuse pour les traductions erronées, et nous regrettons profondément les inconvénients que cela a pu causer à la communauté locale, a déclaré dans un communiqué Caroline Lee, PDG d’Accent on Languages, l’entreprise établie à Berkeley, en Californie, qui a produit les documents mal traduits.

Mme Lee a ajouté que la société allait rembourser à la FEMA les 5116 $ qu’elle avait reçus pour ce travail et effectuer un examen interne pour s’assurer que cela ne se reproduise pas.

Mme Lee n’a pas répondu à certaines questions posées, notamment sur la manière dont les erreurs de traduction se sont produites.

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Espaces autochtones, Radio-Canada

Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

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