Insécurité alimentaire : des représentants du Nord demandent des mesures immédiates
Un rapport fédéral sur la sécurité alimentaire dans le Nord est tombé dans l’oubli après plus de deux ans de retards parlementaires, ralentissant toute avancée en la matière. Des acteurs du milieu regrettent que ce dossier soit politique et pressent le gouvernement fédéral d’agir immédiatement.
Le 27 septembre, le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord a finalement redéposé à la Chambre des communes son rapport sur la sécurité alimentaire dans les collectivités nordiques et isolées, présenté pour la première fois en juin 2021.
En raison de plusieurs retards parlementaires, dont les élections fédérales de septembre 2021, Ottawa n’a toujours pas répondu aux recommandations du rapport.
«Tout retard gouvernemental a un impact sur la prestation de programmes et sur les subventions qui sont essentielles dans le Nord», dit Adamie Delisle-Alaku, vice-président directeur et responsable du département de l’environnement, de la faune et de la recherche à la Société Makivvik.
L’organe politique est voué à la défense des intérêts des Inuit signataires de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.
En décembre 2020, Adamie Delisle-Alaku a d’ailleurs été invité à témoigner devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord sur la question de l’insécurité alimentaire au Nunavik.
Près de trois ans se sont écoulés depuis, et l’inflation a grandement accentué la précarité des ménages à faibles revenus, souligne-t-il.
«Les gens qui ont du mal à joindre les deux bouts, qui vivent d’un chèque de paie à un autre, dépendent fortement de programmes de subventions et des mesures du gouvernement pour réduire le coût élevé de la vie», soutient-il.
Environ un Nunavummiut sur deux fait face à de l’insécurité alimentaire, selon un récent rapport de l’organisme Banques alimentaires Canada.
Pour une raison quelconque, j’ai l’impression que nous sommes toujours laissés pour compte.
– Adamie Delisle-Alaku, vice-président directeur, Société Makivvik
À Iqaluit, le centre alimentaire Qajuqturvik constate que la situation ne s’est pas améliorée au cours des trois dernières années.
L’établissement, qui distribue cinq fois par semaine des repas à des personnes dans le besoin, continue de voir sa demande grimper frénétiquement. Depuis 2020, le nombre quotidien de visiteurs est passé d’une soixantaine de personnes à environ 500.
La directrice générale de l’établissement, Rachel Blais, croit que les recommandations du rapport sont, dans l’ensemble, toujours pertinentes. «Les recommandations sont encore valides, mais la situation s’est détériorée pendant que nous attendions une réponse du gouvernement fédéral», dit-elle.
La proportion de visiteurs est encore plus importante que lorsque le rapport a été écrit. Nous sommes maintenant en mode de survie.
– Rachel Blais, directrice générale, centre alimentaire Qajuqturvik
Réformer le programme Nutrition Nord
Le rapport regroupe plusieurs recommandations, dont une réforme du programme de subventions Nutrition Nord, qui vise à faciliter l’accès aux aliments sains dans les communautés nordiques pour réduire l’insécurité alimentaire qui persiste dans le Nord.
La transparence et l’efficacité du programme ont toutefois été remises en question depuis sa création, en 2011.
Adamie Delisle-Alaku reproche notamment au programme de manquer de transparence en ce qui concerne la subvention offerte à des entreprises à but lucratif.
Plus de 10 ans après la création du programme, il croit que trop de questions demeurent : «Combien Nutrition Nord subventionne-t-il réellement? Et combien les commerces perçoivent-ils?», s’interroge-t-il.
Rachel Blais abonde dans le même sens. «Nutrition Nord profite clairement aux détaillants […] et les Nunavummiut en payent le prix.» Selon elle, le programme doit mieux surveiller les commerçants et leur demander de rendre plus de comptes.
Le vice-président aux relations avec les intervenants d’Arctic Co-Op, Duane Wilson, n’est toutefois pas du même avis. Le réseau de coopératives est administré par 33 communautés, principalement du Nunavut, des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon.
Il affirme pour sa part que plusieurs défis auxquels sont exposés les détaillants ne sont pas atténués à travers le programme Nutrition Nord.
Selon lui, le nombre restreint d’habitants dans certaines communautés est l’un des problèmes principaux, puisque la demande est faible, mais que les coûts fixes d’approvisionnement demeurent élevés. «La qualité s’en ressent quand la demande n’est pas suffisante», indique-t-il.
Aide au revenu et soutien aux chasseurs
Plusieurs s’entendent pour dire que la souveraineté alimentaire est l’une des clés pour lutter contre l’insécurité alimentaire. Devant le coût toujours élevé des aliments en épicerie, de nombreuses familles dépendent de la nourriture traditionnelle pour s’alimenter.
«À l’échelle territoriale, nous aimerions que des chasseurs touchent un salaire», affirme Rachel Blais. «De cette manière, les chasseurs seraient payés pour aller chasser et pour rapporter de la nourriture traditionnelle dans leur communauté. Nous savons que les chasseurs le font déjà, mais sans être payés.»
À l’heure actuelle, Ottawa offre une subvention aux chasseurs, notamment pour l’achat d’équipement, d’essence et de munitions, mais Rachel Blais rappelle que ces dépenses continuent de grimper.
Duane Wilson croit qu’une autre solution est l’aide au revenu, pourvu qu’elle soit indexée sur le coût de la vie. «Tout ce que le gouvernement peut envisager pour améliorer le revenu renforcera la sécurité alimentaire», soutient-il.
Dans un échange de courriels, l’organisme national Inuit Tapiriit Kanatami indique que le gouvernement fédéral «a commencé à travailler avec les Inuit» pour mettre en œuvre certaines des recommandations du rapport du comité permanent.
Ottawa est tenu de fournir une réponse au comité permanent dans un délai de 150 jours, à partir du jour de son dépôt à la Chambre des communes, le 27 septembre 2023.
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