Il y a 25 ans, une avalanche meurtrière détruisait l’école de Kangiqsualujjuaq, au Nunavik

Sammy Etok le 2 janvier 1999 à l’école de Kangiqsualujjuaq, au Québec, un jour après qu’une avalanche ait tué neuf personnes lors d’une célébration du Nouvel An. Etok, qui a réussi à se dégager après avoir été recouvert de neige jusqu’aux épaules, a perdu son meilleur ami Charly dans la tragédie. (Paul Chiasson/Presse canadienne)

Le 1er janvier 1999, une avalanche déferle sur des centaines de personnes réunies dans le gymnase de l’école de Kangiqsualujjuaq, au Nunavik, peu après le coup de minuit. Elle emporte avec elle 9  personnes, et en blesse 25 autres. Un quart de siècle s’est écoulé depuis l’avalanche la plus meurtrière du Québec, mais la cicatrice qu’elle a laissée est encore bien visible aujourd’hui.

Avertissement : cet article contient des informations et des images qui pourraient heurter la sensibilité des lecteurs.

École Satuumavik, 1 h 30 du matin.

Entre 400 et 500 personnes sont rassemblées dans le gymnase pour célébrer la venue de la nouvelle année. Sur la mélodie d’un accordéon, les habitants s’adonnent à une immense danse carrée et à des jeux traditionnels du Nouvel An.

La mairesse de Kangiqsualujjuaq, Maggie Emudluk, participe aux célébrations aux côtés de son mari et de ses deux enfants, âgés de 9 et 14 ans.

Un tirage de 1000 $ qui s’éternise la pousse à rester un peu plus longtemps que prévu. « »Je pense que ça a incité de nombreuses personnes à rester dans le gymnase « », dit-elle.

La mairesse et sa famille sont assises dans le coin du gymnase lorsque la fête tourne au cauchemar. « »Ça s’est passé tellement rapidement « », se souvient-elle.

Une avalanche dévale la montagne située à une quarantaine de mètres de l’école, détruisant sur son passage la majeure partie du bâtiment.

« »Le temps semble, un bref instant, suspendu. Il y a eu un long silence « », se souvient la mairesse. « » Après quelques secondes, j’ai commencé à apercevoir des gens qui sortaient de la neige.»

Tout est devenu chaotique. Nous entendions des cris et des pleurs, pendant que des enfants couraient dans tous les sens.

Maggie Emudluk, mairesse de Kangiqsualujjuaq

Durant les heures qui s’en suivent, Maggie Emudluk fait plusieurs allers-retours entre le lieu de l’avalanche et le centre de santé, qui sont séparés par une quinzaine de minutes à pied. « Après avoir amené mon frère à la clinique, j’ai dit qu’il fallait que je retourne sur les lieux, mais j’ai réalisé que je n’avais pas de manteau », se remémore-t-elle. « J’ai dû emprunter celui d’une des infirmières. »

Malgré le désarroi, la communauté de quelque 650 habitants s’affaire à sortir des rescapés de la neige et des débris.

Une vague de solidarité l’emporte sur le chaos

La catastrophe a coûté la vie de neuf résidents, dont cinq enfants âgés de moins de 8 ans. Au total, 25 autres personnes blessées ont été transportées d’urgence par avion à Kuujjuaq et à Montréal, en fonction de leur état de santé.

Encore à ce jour, il s’agit de l’avalanche la plus meurtrière enregistrée au Québec.

L’absence de routes reliant le Nunavik au sud du Québec, conjuguée à un blizzard, ce matin-là, rendent compliquées l’envoi de secours et l’évacuation des blessés.

« Je pense que ça a pris environ neuf heures avant de pouvoir se rendre à Kangiqsualujjuaq », se souvient Minnie Grey, qui était à l’époque directrice générale du Centre de santé Tulattavik de l’Ungava (CSTU), à Kuujjuaq.

En attendant de pouvoir s’y rendre, l’hôpital, les infirmiers, les médecins, les travailleurs sociaux et moi nous préparions au pire, car nous nous apprêtions à accueillir les personnes blessées.

Minnie Grey, ex-directrice générale du centre de santé de Kuujjuaq

Le 1er janvier 1999, durant la journée, la Sûreté du Québec déploie sur place des policiers et des chiens pisteurs pour tenter de retrouver des personnes ensevelies.

Minnie Grey was the director of Kuujjuaq’s health centre in 1999. (Félix Lebel/Radio-Canada )

Des Rangers canadiens sont aussi parmi les premiers à prêter main-forte pour l’intervention de sauvetage. Leur travail est plus tard récompensé par une Mention élogieuse du Chef d’état-major de la Défense (CEMD).

Dans un reportage diffusé au téléjournal Le Point, le 18 avril 2000, la journaliste Maxime Bertrand rapporte que la municipalité de Kangiqsualujjuaq ne disposait d’aucun plan d’urgence pour répondre à la catastrophe. Devant l’absence d’ambulance et le manque de civières, des résidents transportent des blessés dans des qamutik, des traîneaux de bois.

Une tragédie qui aurait pu être évitée, selon le coroner en chef

Dans les jours suivant l’avalanche, le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, s’est rendu à Kangiqsualujjuaq pour rendre hommage aux victimes et assister aux funérailles. Il a été suivi du premier ministre canadien, Jean Chrétien.

« [Les membres de la communauté] ont bravé des conditions climatiques extrêmes pour se porter au secours de leurs voisins  », a déclaré Jean Chrétien. « Leur réaction rapide a sans doute permis de sauver de nombreuses vies. »

Puisque la seule église de la communauté se trouvait dans la zone de l’avalanche, les funérailles ont eu lieu dans le garage municipal. Minnie Grey se souvient d’avoir fait office d’interprète pour les deux premiers ministres.

« À cette époque, je me rappelle que je venais tout juste d’apprendre le français et, comme tout se faisait en inuktitut, je leur chuchotais dans un français approximatif ce qui se disait durant le [service funéraire] », raconte-t-elle.

Le 5 janvier 1999, les résidents de Kangiqsualujjuaq se sont entassés dans le garage municipal pour les funérailles des personnes décédées dans l’avalanche, quatre jours plus tôt.
(LA PRESSE CANADIENNE / PAUL CHIASSON)

À la demande du ministère de la Sécurité publique du Québec, une enquête du coroner en chef Jacques Bérubé fait la lumière sur les événements.

Le document rendu public en avril 2000 fait surtout état de laxisme. Il met notamment en cause de la négligence entourant la construction et l’agrandissement de l’école, ainsi que l’absence de délimitation des zones dangereuses dans la communauté.

« Sur plusieurs aspects, on a peut-être tourné les coins ronds  », a reconnu le coroner en chef, Jacques Bérubé, dans une entrevue accordée à l’époque à Radio-Canada. « On a peut-être choisi la facilité pour nous dire […] cette montagne n’est pas problématique. »

Dans son rapport, le coroner en chef a recommandé, entre autres, d’identifier les sites d’avalanches potentielles et de développer une expertise pour ce type de catastrophe naturelle.

L’avalanche du 1er janvier 1999 aurait d’ailleurs pu être évitée si les préoccupations de la Municipalité de Kangiqsualujjuaq avaient été entendues, quelques années plus tôt.

En mars 1993, l’école Satuumavik avait déjà été touchée par une avalanche. Lorsqu’est venu le temps d’agrandir le bâtiment, des résidents ont fait part de leurs inquiétudes quant à la proximité de l’école avec la montagne qui la surplombait.

Dans une étude commandée par la Commission scolaire Kativik, en 1995, des experts en avalanches ont confirmé l’existence de plusieurs risques et recommandé l’installation de clôtures à neige sur la montagne, mais ce rapport est tombé dans l’oubli.

Maggie Emudluk est toujours mairesse aujourd’hui. Elle croit que la tragédie a mis en lumière un manque chronique de financement en matière de sécurité publique et civile au Nunavik. « Je me souviens que la région avait de la difficulté à obtenir ce type de financement », affirme-t-elle.

C’est triste à dire et à constater, mais parfois, les tragédies mènent à des prises de conscience.

Maggie Emudluk, mairesse de Kangiqsualujjuaq

Des chercheurs estiment que le gouvernement du Québec a déboursé environ 30 millions de dollars pour sa réponse immédiate à la catastrophe et pour reconstruire l’école.

Avec des informations de Félix Lebel

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Matisse Harvey, Radio-Canada

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